Blog • Les Balkans et l’intégration européenne : la fin d’une illusion

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En une semaine, deux faits sont venus enterrer toute perspective d’« intégration européenne » des Balkans. Le Parlement de Serbie a donné son feu vert à l’exploitation du lithium et l’Albanie a accueilli les premiers demandeurs d’asile « délocalisés » d’Italie. L’EU n’a pas plus l’intention « d’intégrer » une colonie minière qu’une zone de rétention pour migrants indésirables.

Les Huns menés par Attila, déferlant sur l’Italie, vus par Ulpiano Checa y Sanz (1887).
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Jeudi 10 octobre, le Parlement de Serbie a donné son feu vert à l’exploitation du lithium, balayant les arguments des écologistes et de l’opposition. Le lithium, comme d’autres minerais, est indispensable à une économie mondiale en voie de « décarbonation » : le cours du lithium s’est provisoirement affaissé, car le marché des voitures électriques est bien loin de tenir ses promesses, mais ce minerai est nécessaire à bien d’autres application, notamment dans les domaines aéronautiques et militaires.

La formule mensongère de « transition verte » consiste à vouloir faire passer l’humanité de Charybde en Scylla. Du Charybde des énergies fossiles, pillées au cours des deux premiers siècles de la « révolution industrielle », au Scylla de l’extractivisme minier. On sait que les conséquences de la traque toujours plus intensive des minerais aura des conséquences encore plus lourdes et destructrices que celles de l’exploitation du charbon et du pétrole.

Non seulement il n’existe pas de mines « propres », mais celles-ci sont de plus en plus « salissantes » et destructrices, car la concentration des minerais recherchés s’affaiblit, obligeant à des chantiers de plus en plus colossaux, ainsi que l’a montré Celia Izoard dans son livre sur La Ruée minière au XXIe siècle. Le gisement du Jadar, en Serbie occidentale, présente, certes, un taux de concentration intéressant, mais les réserves globales du pays sont certainement moins importantes que celle de l’Allemagne, voire de la France [1].

Il ne reste plus à des Vučić et consorts que de prétendre que la destruction de régions entières de Serbie serait « un pas de plus » vers le radieux avenir européen...

Or, l’exploitation éventuelle du lithium se heurte à de fortes résistances dans ces deux pays. Il faut donc en développer l’extraction dans des pays où elle se heurtera à moins d’opposition, et la périphérie dominée de l’Union européenne que constituent les Balkans occidentaux remplit toutes les conditions requises. D’une part, ils sont proches des centres de l’économie européenne - les constructeurs de voiture allemands l’ont bien rappelé en accompagnant le chancelier Scholz à Belgrade en juillet dernier. Ensuite, les dirigeants de ces pays, à commencer par l’autocrate serbe Vučić, sont « tenus » par la promesse de l’intégration européenne.

Il s’agit en effet d’une promesse qui n’engagent que ceux qui y croient, ou font semblant d’y croire, à commencer par ces dirigeants des Balkans qui répètent à leurs opinions publiques depuis des années, voire des décennies, qu’ils « prépareraient » leurs pays à cette glorieuse épiphanie. Ils ne peuvent donc pas prendre le risque d’entrer en conflit avec l’Union. Les dirigeants européens, eux, sont sans illusions sur la corruption morale et politique de ces dirigeants des Balkans, mais ils ne peuvent que s’en réjouir, car cela leur donne autant de prise sur eux. Il ne reste plus aux Vučić et consorts qu’à prétendre que la destruction de régions entières de Serbie serait « un pas de plus » vers le radieux avenir européen...

Il va pourtant de soi que la transformation de la Serbie en colonie minière de l’Europe est incompatible avec toute perspective européenne du pays : si les Serbes rejoignaient l’Union dans les prochaines années, ils pourraient en effet s’opposer à la destruction de leur pays.

Il en va de même pour l’accueil des exilés dont l’Europe ne veut pas. Le 16 octobre, les centres italiens de Shengjin et de Gjadër, « délocalisés » en Albanie, ont accueilli leurs premiers hôtes, seize réfugiés interceptés au large de Lampedusa et conduits à grands frais jusqu’au port adriatique.

Nul ne saurait considérer comme des égaux ses valets, les habitants d’un espace soumis, les gardiens d’une zone de relégation.

L’accord conclu un an plus tôt entre l’autoritaire et corrompu Premier ministre albanais Edi Rama et son homologue néo-fasciste italienne Giorgia Meloni avait d’abord été critiqué par les autres Etats membres de l’Union, qui se sont finalement pour la plupart ralliés à cette option. La présidente reconduite de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, appelle même à « tirer les leçons » de l’exemple albanais en proposant la généralisation de « hubs de retour », c’est-à-dire de centres de rétention et d’expulsion à l’extérieur des frontières de l’Union.

Où ces « hubs » seront-ils implantés ? En Tunisie peut-être, voire en Libye, alors que la Turquie, depuis l’accord passé en 2016 avec l’Union européenne, a déjà pour « mission » de retenir les exilés syriens, contre espèces européennes sonnantes et trébuchantes. Pour le reste, les futurs « hubs » sortiront de terre dans les pays des Balkans, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie ou au Monténégro.

Edi Rama, dont les liens sont trop voyants avec les réseaux du crime organisés et du narco-trafics, a toujours besoin de « se rendre utile » à son grand voisin, ce qu’il assume lui-même, en répétant que l’Italie pourra toujours compter sur l’Albanie... Sauf que Rome compte sur Tirana comme l’on compte sur un valet que l’on domine d’autant mieux que l’on connaît ses frasques et ses turpitudes. Nul ne saurait considérer comme des égaux ses valets, les habitants d’un espace soumis, les gardiens d’une zone de relégation.

Le spectacle de l’intégration

Il est hors de question de voir l’Albanie devenir l’égale en droits de l’Italie en rejoignant l’Union européenne, et que Tirana ait ouvert, la veille même de l’arrivée des premiers exilés à Shengjin, son premier chapitre des négociations d’adhésion à l’Union européenne ne doit être vue que comme une farce cynique. Il faut continuer le « spectacle » de l’intégration - moins du reste pour les citoyens des Balkans qui ne sont plus dupes de ce jeu depuis longtemps que pour ceux des Etats-membres, qui conservent encore un peu l’illusion de vivre dans des sociétés privilégiées, démocratiques et prospères, qui représenteraient toujours un modèle enviable et envié à travers le monde.

Les citoyens des Balkans ne sont plus dupes depuis longtemps et c’est la raison majeure pour laquelle ils s’exilent massivement vers les pays de l’UE mais aussi vers le Canada, la Chine, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou les riches États du Golfe arabo-persique... La Serbie a perdu 500 000 habitants en dix ans, la plus petite Albanie autant en vingt ans, mais cela ne dérange nullement les maîtres de ces pays ni leurs mentors européens, bien au contraire. Ni les mines de lithium ni les camps de rétention ne demandent une main d’oeuvre nombreuses et des Balkans peu peuplés seront plus faciles à contrôler.

Les Balkans occidentaux n’ont plus aucune « vocation » à rejoindre l’Union européenne, celle-ci a trop besoin d’eux pour d’autres taches subalternes. Ils peuvent tout au plus aspirer au statut de « peuples fédérés » que Rome accordait à ses alliés et supplétifs barbares, menés par des chefs cupides et corrompus, exactement comme le sont les actuels dirigeants des Balkans, qui ont toujours besoin de prétendre qu’ils agissent pour le plus grand bien de « l’avenir européen », ou bien ad majorem gloriam Romae...