Blog • Voyage au bout des Balkans

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Les critiques n’hésitent pas à qualifier le déplacement d’Ursula von der Leyen dans les Balkans occidentaux de « mantra rituel ». On pourrait parler de « cyclicité » : chaque automne, généralement en octobre ou novembre, la Commission européenne effectue cette tournée avant le sommet UE–Balkans occidentaux ou le Conseil européen, où les questions d’élargissement sont discutées.

Par Valentin Smoliak

Ursula von der Leyen et le Premier ministre monténégrin Milojko Spajić
© Wikipedia Commons

Aucun progrès tangible ne se produit, et le processus prend des allures de rituel — une simple mise en scène de l’intégration européenne des pays des Balkans. En réalité, il s’agit davantage d’un soutien au statu quo, garantissant l’absence de chaos, ce qui, aux yeux de la politique européenne, est déjà perçu comme une réussite. Le « voyage au bout des Balkans », organisé à la veille d’un nouveau rapport européen sur l’élargissement, se présente ainsi comme un contrepoint inversé et quelque peu discréditant aux valeurs que ses promoteurs prétendent défendre.

Serbie

À Belgrade, von der Leyen a répété les phrases classiques sur les réformes et la démocratie, tout en restant silencieuse sur les pratiques autoritaires de Vučić : arrestations de manifestants, contrôle des médias et falsifications électorales. L’UE privilégie une stabilité encadrée par le président, craignant de le contrarier et de favoriser un rapprochement du pays avec Moscou. Ce silence face aux répressions confère en pratique une légitimité implicite au régime autocratique.

Monténégro

Pays modèle des Balkans, ayant accompli la majorité des réformes, le Monténégro reste néanmoins bloqué. Les négociations progressent lentement, car l’ouverture de nouveaux chapitres nécessite de reconnaître les retards des autres pays. L’UE ne peut permettre qu’un État avance trop rapidement sans rompre l’équilibre symbolique du processus. Le Monténégro se retrouve ainsi contraint à patienter, avec un enthousiasme qui s’amenuise au fil du temps. 

Bosnie-Herzégovine

Lors de sa visite, Ursula von der Leyen a évoqué « l’unité », mais a soigneusement évité de mentionner le séparatisme de Milorad Dodik et la profonde crise institutionnelle du pays. À Bruxelles, l’élargissement se résume souvent à des « étapes techniques » — adoption de lois, création de conseils, envoi de rapports — sans réellement aborder les problèmes de gouvernance, de corruption ou le chantage ethnique. En soutenant les anciennes élites, l’UE contribue à un système où les partis ethno-nationalistes exploitent la peur et entravent les réformes, plutôt que de construire un État véritablement fonctionnel.

Macédoine du Nord

Le cynisme européen y atteint son paroxysme. Le pays a changé de nom et a engagé des réformes — et pourtant reste sous pression constante : modifier sa Constitution selon les exigences de la Bulgarie, qui se sert depuis des années de ce levier pour bloquer le processus. La France, par sa proposition, cherche à maintenir ce mécanisme comme partie intégrante du « compromis européen ».

La proposition française (juin 2022) prévoyait :
• l’inclusion de la minorité bulgare dans la Constitution de Macédoine du Nord au même titre que les autres minorités nationales ;
• la reconnaissance d’une histoire et d’une culture communes avec la Bulgarie ;
• des engagements pour lutter contre les discours de haine et la discrimination ;
• un suivi annuel de la mise en œuvre de ces engagements par l’UE.

L’acceptation de ces conditions a permis à la Bulgarie de lever son veto et de lancer officiellement les négociations d’adhésion. Mais ce compromis comporte le risque de nouvelles revendications territoriales et culturelles de la part de la Bulgarie, qui ne reconnaît pas officiellement la langue et l’identité macédoniennes. La mise en œuvre de ces conditions pourrait conduire à une assimilation progressive de la langue et de l’identité nationale au profit du récit et de la langue du voisin le plus puissant, à l’instar du scénario biélorusse.

En soutenant cette proposition, la France a en pratique légitimé le nationalisme bulgare comme partie intégrante du « compromis européen », affaiblissant les principes d’égalité et de justice. En 2025, le Parlement européen a supprimé les mentions de « l’identité macédonienne » et de « la langue macédonienne » dans son rapport sur les progrès, provoquant tensions entre Skopje et Sofia et indignation au sein de la société macédonienne (Balkan Insight, 2025).

Ukraine et Balkans

Historiquement, les pays des Balkans ont souvent avancé comme un bloc relativement cohérent, coordonnant leurs réformes en vue des sommets de l’UE. Aujourd’hui, cette dynamique s’inscrit dans un « cluster » plus vaste incluant l’Ukraine et la Moldavie, où Bruxelles considère toutes ces nations comme un ensemble indissociable.

La guerre et l’incertitude politique font de l’Ukraine un facteur de ralentissement pour l’ensemble des candidats. Les Balkans doivent attendre les progrès ukrainiens pour que l’UE puisse ouvrir de nouveaux chapitres de négociation ou organiser des sommets. Même les États les plus avancés dans leurs réformes, comme le Monténégro, se trouvent contraints de patienter, tandis que Bruxelles veille à une synchronisation formelle entre tous les pays candidats.

Cette logique de « cluster » révèle les doubles standards de l’UE : ceux qui font preuve d’un engagement maximal se retrouvent en attente derrière l’Ukraine. Confrontés à un pays qui lutte pour son indépendance et son avenir européen, les États balkaniques ressentent un mélange de solidarité et de frustration : leur soutien à Kyiv est sincère, mais ils prennent conscience que leur propre trajectoire vers l’UE reste suspendue. L’intégration européenne apparaît alors comme un rituel d’attente plutôt qu’un moteur réel de réformes et de modernisation, reléguant à l’arrière-plan des années d’efforts conséquents.