Par Belgzim Kamberi
À l’issue d’une compétition serrée dans plusieurs communes, la carte politique du Kosovo se redessine en vue du second tour des élections municipales. Plus de la moitié des 38 communes du pays devra retourner aux urnes le 9 novembre, ouvrant la voie à de possibles alliances entre partis rivaux.
Pour le premier tour, le 12 octobre, le taux de participation s’est établi à 39,5 % des inscrits, en léger recul par rapport à 2021. Le scrutin s’est déroulé sans incidents majeurs. Les résultats confirment un pluralisme politique affirmé : les trois principaux partis albanais, Vetëvendosje (VV), le Parti démocratique du Kosovo (PDK) et la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), maintiennent leur influence, tandis que l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK) de Ramush Haradinaj conserve son ancrage dans l’ouest du pays.
Dans les communes à majorité serbe, la Lista Srpska reste largement hégémonique, remportant dès le premier tour neuf des dix municipalités concernées. Une relative érosion de son soutien est toutefois perceptible dans quelques conseils municipaux, tandis qu’à Klokot, une liste concurrente serbe locale est parvenue à se qualifier pour le second tour.
Au total, seize communes devraient départager leurs candidats au second tour. Les votes de la diaspora, au nombre d’environ 30 000, pourraient influencer le résultat final dans ces communes, en déterminant la tenue d’un second tour ou en modifiant le classement des candidats. Bien que représentant à peine 1,4 % du total des suffrages, ces voix venues de l’étranger pourraient être décisives dans des communes clés où les écarts sont très serrés.
Les vraies batailles se joueront à Mitrovica-Sud et Pristina, où les écarts entre candidats sont extrêmement serrés. Trois autres grandes communes, Prizren, Gjakova et Peja, demeurent également disputées, mais les affrontements électoraux y paraissent moins tendus, avec des dynamiques locales plus prévisibles susceptibles de peser sur l’issue finale.
Le mouvement VV d’Albin Kurti, historiquement peu enraciné localement, affiche cette fois une légère progression de son implantation territoriale. Ses candidats se sont imposés dès le premier tour dans les communes qu’ils dirigeaient déjà - Podujevo, Gjilan, Kamenica et Shtime - ce qui représente un succès appréciable, notamment à Gjilan et Podujevë, où la concurrence avec la LDK était censée serrée.
Renforçant sa présence dans le centre et l’est du Kosovo, notamment à Fushë-Kosovë et Obiliq, VV enregistre en revanche une contre-performance dans l’ouest du pays et surtout deux revers majeurs, à Pristina et Mitrovica-Sud. Dans la capitale, bastion du mouvement depuis une décennie, son candidat Hajrulla Çeku n’est arrivé qu’en deuxième position, tandis que le parti est tombé à la troisième place au sein du Conseil municipal. À Mitrovica-Sud, où une victoire dès le premier tour semblait facilement acquise, VV se retrouve finalement au second tour avec le candidat de la PDK, Arian Tahiri, jusque-là considéré comme un outsider.
Pour VV et Albin Kurti, ces deux villes constituent de véritables baromètres politiques. À Pristina, capitale et vitrine institutionnelle du pays, VV teste sa capacité à préserver son ancrage urbain et son influence politique, tandis qu’à Mitrovica-Sud, la bataille revêt une dimension stratégique liée à la politique du Premier ministre dans le nord. L’issue de ces deux scrutins déterminera en grande partie le bilan final du mouvement dans ces municipales.
Prime à l’ancrage local
Le PDK de Memli Krasniqi confirme, quand à lui, son ancrage territorial. Le parti a conservé ses bastions de Ferizaj, Skenderaj et Hani i Elezit, remportés dès le premier tour. Le PDK est qualifié pour le second tour dans six communes, Dragash, Kaçanik, Klinë, Mitrovica-Sud, Prizren et Vushtrri. À Pristina, le PDK enregistre un résultat historique : son candidat Uran Ismaili frôle le second tour et hisse le parti à la seconde place au sein du Conseil municipal, devant VV.
Son échec majeur reste celui de Glogovcë/Drenas, au cœur de la région de la Drenica, considérée comme le « berceau historique » du parti. Son candidat officiel, Petrit Hajdari, a été battu dès le premier tour par le maire sortant Ramiz Lladrovci, lui aussi issu du PDK, mais dont la candidature indépendante n’avait pas été validée par la direction centrale. Sa victoire étant probable à Prizren, Mitrovica-Sud constitue le principal défi du second tour pour le PDK.
La LDK enregistre une performance stable à ces municipales de 2025, confirmant sa résilience électorale malgré une légère baisse de voix. Le parti de Lumir Abdixhiku a remporté Istog et Lipjan dès le premier tour et se place au second tour dans huit communes, Fushë-Kosovë, Obiliq, Pejë, Prishtinë, Viti, Dragash, Suharekë et Junik. Le principal succès de la LDK se trouve à Pristina. Elle retrouve la première place avec le maire sortant Perparim Rama, en lice pour un second mandat, et redevient également pour la première fois depuis 2013 la première force au sein du Conseil municipal. Les principaux échecs de la LDK se situent à Gjilan et Podujevo, où elle est battue dès le premier tour par Vetëvendosje, alors qu’elle espérait opérer un retour stratégique dans ces anciens bastions.
À Fushë-Kosovë et Obiliq, le parti joue gros dans des bastions traditionnels désormais menacés par la montée de VV, tandis qu’à Suharekë, il vise un retour historique après plusieurs années de domination de l’AAK. Pour la LDK, Pristina et Pejë représentent les deux batailles décisives du second tour. Une issue favorable permettrait au parti d’afficher un bilan globalement positif pour l’ensemble de ces élections municipales.
L’AAK conserve sa domination dans l’ouest de la Plaine de Dukagjini, remportant Deçan dès le premier tour et restant favorite dans cinq ballotages - à Gjakovë, Rahovec, Klinë, Suharekë et Junik. Nisma Socialdemokrate de Fatmir Limaj s’est imposée sans surprise dans son bastion de Malishevë.
Le Parti social-démocrate (PSD), en revanche, a de nouveau échoué : ses trois candidats ont été battus dès le premier tour à Pristina et Deçan, et surtout à Kamenica, que l’ancien maire Qendron Kastrati échoue à reprendre la commune, conquise par VV lors des dernières élections.
Le Kosova Demokratik Türk Partisi (KDTP) parvient à conserver la petite commune à majorité turque de Mamusha, la seule à majorité ni serbe ni albanaise, en l’emportant dès le premier tour avec un peu plus de 50 % des voix.
Albin Kurti sur la corde raide
Au-delà des enjeux locaux, ces élections s’inscrivent dans un contexte national tendu. Le 11 octobre, la présidente Vjosa Osmani a confié à Albin Kurti le mandat de former le nouveau gouvernement, huit mois après les législatives du 9 février 2025. Si le Parlement a finalement été constitué après plus de sept mois de blocage, la formation du cabinet reste paralysée, faute de majorité claire pour approuver le gouvernement.
Avec 48 sièges sur 120, VV a besoin de trouver treize voix supplémentaires pour atteindre la majorité parlementaire. La LDK a refusé toute alliance, tandis qu’Albin Kurti a écarté toute coopération avec le PDK, l’AAK et la Lista Srpska, réduisant considérablement ses marges de manœuvre. Il ne lui reste donc comme potentiels allés que Nisma Socialdemokrate (trois députés) et les dix représentants minoritaires non serbes. Un scénario fragile, d’autant que Nisma revendique la présidence du Parlement, déjà attribuée, et qu’au moins deux députés des minorités non serbes refusent pour l’instant de rejoindre la majorité d’Albin Kurti.
Si le Premier ministre désigné n’obtient pas les 61 voix requises d’ici le 26 octobre, la présidente Vjosa Osmani devra, dans un délai de dix jours, consulter les partis et, à sa discrétion, confier le mandat à un autre candidat disposant d’une majorité potentielle. En cas d’échec prolongé, le Parlement serait dissous et de nouvelles élections législatives devraient être organisées dans les 45 jours.
En parallèle, le 16 octobre, la Lista Srpska a de nouveau saisi la Cour constitutionnelle du Kosovo, contestant l’élection de Nenad Rašić comme vice-président du Parlement représentant la communauté serbe. Dans sa plainte, la Liste serbe a demandé à la Cour constitutionnelle d’imposer une mesure provisoire affirmant que cette désignation viole la Constitution, le règlement intérieur du Parlement et un arrêt antérieur de la Cour. Nenad Rašić, l’un des dix députés serbes du Parlement, a été élu après trois tentatives infructueuses, les neuf députés de la Lista Srpska n’ayant pas obtenu le nombre de voix requis pour imposer leur propre candidat. La Lista Srpska, qui regroupe la majorité des élus de la minorité serbe, dénonce une procédure anticonstitutionnelle, estimant que la majorité albanaise a violé le droit garanti par la Constitution permettant aux députés serbes de proposer et d’élire eux-mêmes leur représentant au sein de la présidence de l’Assemblée.
Si la Cour constitutionnelle venait à statuer en faveur de la Lista Srpska, le Parlement ne serait pas considéré comme pleinement constitué, ce qui pourrait remettre en cause la légitimité de la présidence du Parlement et, par extension, affecter la formation du nouveau gouvernement, voire même entraîner son annulation si celui-ci venait à être constitué d’ici là.









