Liberté de la presse : désinformation, menaces et propagande dans les Balkans

|

Reporter sans frontières vient de publier son classement 2022 de la liberté de la presse dans le monde. Situation contrastée dans les Balkans : stagnation dans l’espace post-yougoslave, et effondrement en Albanie et en Grèce. La Turquie ferme la marche. Partout, RSF dénonce des pressions sur les journalistes.

Cet article est accessible gratuitement pour une durée limitée. Pour accéder aux autres articles du Courrier des Balkans, abonnez-vous !

S'abonner

Par la rédaction

Classement mondial RSF en 2022
RSF

Comme chaque année à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, Reporters sans frontières a publié son classement dressant l’état des lieux des médias dans 180 pays. Le constat est sévère : pour 73% de ces États, la situation est jugée très grave, difficile ou problématique. Comparé à l’an dernier, le nombre de pays virant au rouge atteint un record tandis que huit pays seulement affichent une « bonne situation », quatre de moins qu’en 2021.

La détérioration des conditions de travail des journalistes est aussi visible dans les pays des Balkans. Si la Macédoine du Nord, la Croatie, le Monténégro, le Kosovo et la Serbie gagnent des places au classement, bénéficiant surtout de l’effondrement d’autres pays, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie régressent, tandis que l’Albanie et la Grèce chutent.

En 79ème position, la Serbie se classe en queue de peloton des pays de l’ancienne Yougoslavie. Belgrade se situe dans la catégorie des pays jugés « problématiques », au même titre que la Bosnie-Herzégovine (67e), le Monténégro (63e place), le Kosovo (61e), la Macédoine du Nord (57e) et la Slovénie (54e). La Serbie gagne 14 places grâce au travail acharné d’une poignée de titres indépendants et de qualité. Mais RSF nuance : « Les journalistes subissent des pressions politiques et souffrent de l’impunité des crimes commis à leur encontre ».

En Croatie (48e), la situation est jugée satisfaisante même si selon Reporters sans frontières, le gouvernement ne parvient pas à protéger les journalistes contre les procédures « baillons » et autres tentatives judiciaires de les réduire au silence. L’ONG ajoute en outre que le gouvernement lui-même constitue une menace pour la liberté de la presse. La Roumanie se classe 56ème et RSF note que le pays dispose d’un « paysage médiatique divers, relativement pluraliste, et qui produit des enquêtes d’intérêt public percutantes », tout en notant des « pressions » et le « manque de transparence » sur le financement des médias.

La Grèce et l’Albanie en chute libre

De son côté, la Grèce dégringole de 38 places et se classe désormais à la 108e place. Comme pour l’Albanie et la Slovénie, le rapport pointe des mesures liberticides à l’égard des journalistes du gouvernement ces derniers mois, mais aussi l’assassinat de Giorgos Karaivaz, journaliste d’investigation spécialisé dans les affaires de police et de justice, tué par balles devant son domicile dans la banlieue sud d’Athènes en avril 2021. Le pays se situe désormais derrière la Bulgarie, remontée en 91e position, en raison de l’amélioration notoire de la situation des médias depuis le changement de gouvernement fin 2021, estime RSF. Mais le rapport note que « la liberté de la presse est fragile et instable »

L’Albanie (103e) d’Edi Rama, dégringole de 20 places, le pays étant pointé du doigt pour la concentration des médias, « aux mains d’une poignée d’entreprises liées au monde politique ». « Les journalistes subissent des pressions politiques qui, en 2021, ont été exacerbées par la volonté de contrôler l’information durant les élections parlementaires et la pandémie. »

Quant à la Turquie, elle stagne tout au fond du classement, à la 149e place sur 180. « L’autoritarisme gagnant du terrain en Turquie, le pluralisme des médias est plus que jamais remis en cause. Tous les moyens sont bons pour affaiblir les plus critiques », précise RSF. À l’inverse, la Moldavie obtient une étonnante 40ème place. RSF note pourtant que « le paysage médiatique est à l’image d’un pays marqué par l’instabilité politique et le poids des oligarques », un environnement « diversifié mais extrêmement polarisé ».

Sur le plan international, le rapport 2022 souligne une asymétrie croissante entre les sociétés dites ouvertes et les régimes despotiques qui contrôlent leurs médias tout en menant des guerres de propagande. La crise sanitaire pendant la pandémie de Covid-19 et l’invasion russe en Ukraine en février ont encore aggravé la tendance, notamment dans les Balkans où les débats parfois violents sur les réseaux sociaux entre pro-russes et pro-Européens ont pris le relais des Fake news anti-covid de l’an dernier.