Sofia et Roussé (Bulgarie)

La fratrie Canetti : un destin européen exceptionnel

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Les 12 et 13 mai 2025 à Sofia et Roussé

Il est rare qu’une seule famille incarne à elle seule un pan entier de l’histoire intellectuelle, artistique et scientifique de l’Europe du XXe siècle. Trois frères, trois trajectoires singulières, trois esprits portés par une même exigence : faire du savoir, de l’art et de la recherche un acte d’engagement face au siècle — Qu’il s’agisse de faire avancer la science, d’ouvrir de nouvelles voies en littérature et en philosophie, ou de révéler de nouveaux talents musicaux.

Une histoire européenne, entre Roussé, Vienne, Francfort, Berlin, Manchester, Londres, Paris, Zurich et au-delà

Elias Canetti, prix Nobel de littérature, né en 1905 à Roussé, en Bulgarie, sur les bords du Danube, est aujourd’hui encore un penseur de notre temps. Son œuvre, à la frontière de la littérature, de l’anthropologie et de la philosophie politique, continue d’éclairer les grands défis de notre époque : la séduction du pouvoir, l’attrait des masses, la peur de la complexité. Il écrivait pour déchiffrer le vacarme du siècle.

Canetti n’était pas un intellectuel parmi d’autres : il se voulait un veilleur. Il croyait que l’on pouvait « passer sa vie entière sur une seule œuvre ».

Bien qu’il ait choisi l’allemand comme langue d’écriture — dans la lignée de Kafka et Musil —, Elias Canetti parlait un français absolument parfait, langue dans laquelle il s’exprimait avec une clarté, une nuance et une élégance rares.

Né dans une famille judéo-espagnole, il resta profondément attaché à cette langue première, le ladino, et à cette identité balkanique, marquée par la pluralité des traditions. Une vision du mélange et de la transformation qu’il portait jusque dans sa façon de se définir : écrivain autrichien, penseur allemand d’origine espagnole, sujet britannique installé en Suisse… Une biographie éclatée, comme un miroir à facettes de l’Europe elle-même.

Georges Canetti, son cadet, chercheur à l’Institut Pasteur, pionnier dans la lutte contre la tuberculose, a donné son nom à une souche rare de mycobactérie (Mycobacterium canettii). Médecin, pédagogue, humaniste, il incarne un autre versant de l’intelligence canettienne : rigueur scientifique et engagement social — au cœur d’un Paris d’après-guerre où la médecine rejoignait l’humanisme. Il devient citoyen français, comme son frère Jacques.

Jacques Canetti, enfin — et quelle personnalité ! Brassens l’appelait le « Socrate de la chanson ». Découvreur de talents, fondateur du Théâtre des Trois Baudets, il a lancé la carrière de Brel, Piaf, Brassens, Gainsbourg, Leclerc, Legrand, Vian… Mais aussi Marlène Dietrich, à qui il offre ses premières chansons en français dans un geste audacieux — elle qui, d’abord réticente, se laissera convaincre et séduira le monde.

Et puis, il y a Félix Leclerc. Canetti l’écoute au Québec, le fait enregistrer sur-le-champ, le fait venir en France, le propulse sur la scène parisienne. Un geste artistique, mais aussi politique : celui de donner à la chanson québécoise une reconnaissance, une voix, un avenir. Leclerc deviendra l’un des symboles du Québec moderne.

Un événement franco-bulgare pour faire revivre un esprit

Les 12 et 13 mai 2025, l’Institut français de Bulgarie propose un événement à la mesure de ce destin familial : lectures, rencontres, projections, exposition et musique, à Sofia puis à Roussé — cette ville fluviale d’où tout est parti. En Bulgarie, pays d’enfance et d’ancrage, on redécouvre ici l’influence durable d’une fratrie européenne.

Deux moments forts marqueront ces journées :

Lundi 12 mai à 18h30 – Salle Slaveykov, Sofia
Conférence : Elias Canetti, penseur du XXIe siècle ?
Avec Gabrielle Halpern, philosophe. Elle dira combien la pensée de Canetti, faite de pluralité, d’identité mouvante, de résistance au figé, est une lanterne précieuse dans le monde d’aujourd’hui.

« Elias Canetti ne simplifiait jamais le réel. Il s’y enfonçait, pour en restituer toute l’ambivalence. »

Canetti croyait que l’écrivain devait tenir à distance toute forme de compromis. Il refusait d’« adoucir le chaos », et n’a jamais cessé de scruter les mouvements de foule, les regards, les silences, les stratégies de domination. Son œuvre est aussi une résistance à la dissolution de la pensée dans le confort.

Mardi 13 mai à 18h30 – Salle Slaveykov, Sofia
Débat : Jacques Canetti, découvreur de légendes
Avec Françoise Canetti, fille de Jacques, mémoire vivante d’un homme qui croyait aux artistes parfois plus qu’eux-mêmes. Elle reviendra sur les débuts fulgurants de Brassens, de Brel, sur l’hospitalité musicale offerte à Félix Leclerc, sur les moments d’improvisation géniale avec Boris Vian, Marlène Dietrich ou Michel Legrand.

La vie, la voix, la cuisine – une mémoire incarnée

La fratrie Canetti, c’est aussi un style de vie. Une mémoire charnelle. Les lectures à voix haute dès l’enfance, les fiches d’écoute à neuf ans, les dimanches passés au théâtre. Une culture faite d’érudition joyeuse, de transmission vive, et de cuisine — judéo-espagnole, bien sûr, mais aussi bulgare.

« On sonnait à la porte, c’était Brel. On dînait, Félix Leclerc se racontait. Devos nous embrassait dans les coulisses », écrit Françoise Canetti.

Et la tante Ernestine apportait les beureks, les feuilles de vigne farcies à la bulgare, le caviar d’aubergine.

« Mon père se pourléchait à la seule odeur de ces plats. »

Un souffle européen, un legs vivant — entre la Bulgarie et la France

À travers leurs parcours si différents, Elias, Georges et Jacques sont liés par une figure centrale : leur mère, Mathilde, femme visionnaire, indépendante, qui quitte l’Allemagne après avoir entendu un certain Hitler gesticuler dans une brasserie. Elle sauve ses fils, les pousse à lire, à penser, à être à leur tour des visionnaires.

C’est elle, déjà, qui fit de la lecture un art du quotidien, et du langage une exigence vitale.

Cette fratrie nous parle encore aujourd’hui. Elle incarne un esprit européen libre, inquiet, inventif, où la culture est à la fois exigence et liberté. À l’heure des replis, elle nous rappelle ce que peut une vie traversée par l’art, la pensée, et la mémoire. Entre la Bulgarie natale et la France adoptive, leur héritage nous relie à ce que l’Europe a de meilleur : un espace de transmission, de création et d’espoir.

Les 12 et 13 mai, ce souffle reprendra voix.
Venez l’écouter. Venez dialoguer avec Elias, Jacques, Georges — et celles qui, aujourd’hui, prolongent leur trace.

Entrée libre, sur inscription – interprétation français / bulgare
Institut français de Bulgarie – Salle Slaveykov