Par Valentin Smoliak
Le président serbe Aleksandar Vučić a exprimé sa vive indignation face à la livraison par la Turquie de plus de 1 000 drones de combat Skydagger au Kosovo, qualifiant cette opération de « violation flagrante du droit international » et accusant Ankara de déstabiliser les Balkans occidentaux tout en nourrissant des ambitions de restauration de l’Empire ottoman.
« Je suis consterné par ce comportement — déclare Vučić sur son profil X — par la Turquie et sa violation flagrante de la Charte des Nations Unies ainsi que de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité, tout en poursuivant l’armement des autorités de Pristina. Il est désormais parfaitement clair que la Turquie ne cherche pas la stabilité dans les Balkans occidentaux et rêve à nouveau de restaurer l’Empire ottoman. La Serbie est un petit pays, mais nous avons bien compris le message... »
Comme le rapporte le Premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, sur son compte Facebook : « Le contrat pour la livraison des drones a été signé en décembre de l’année dernière avec la célèbre entreprise turque Baykar, société mère du fabricant des Skydagger. Les drones devaient arriver en janvier 2026, mais nous les avons reçus avec trois mois d’avance... »
La Serbie, sous la direction de Vučić, désapprouve naturellement la militarisation du Kosovo ainsi que le double jeu de la Turquie dans les Balkans. La stratégie d’« influencemodérée » d’Ankara, visant à maintenir un équilibre entre Serbes et Albanais, vient en partie éroder l’image de Vučić comme « garant de l’ordre dans les Balkans ». Par ailleurs, la Turquie poursuité galement un objectif économique : promouvoir ses produits sur le marché international de l’armement. Vučić a également rappelé que la Turquie avait
initialement proposé ces drones à la Serbie, avant de changer brusquement de cap. Le Kosovo s’est montré plus ouvert et disposé à les acquérir, alors que la vente d’armes à la Serbie aurait provoqué une réaction défavorable de l’UE et des États-Unis, ce qui aurait été délicat pour un pays membre de l’OTAN et candidat à l’adhésion à l’UE.
Ainsi, ce geste politiquement prudent de la Turquie montre son soutien à la stabilité et à la défense du Kosovo, tout en évitant d’aggraver ses relations avec la Serbie. Il témoigne de la présence turque dans la région et complique la possibilité de nouvelles provocation militaires, comme celles survenues à Banjska en 2023 [1].
Dans ce contexte, il convient de souligner que la Moldavie a procédé à 250 perquisitions dans le cadre d’une enquête sur un plan présumé russe visant à provoquer des troubles avant les élections législatives du 28 septembre 2025. Les personnes suspectées, âgées de 19 à 45 ans, se rendaient en Serbie sous prétexte de pèlerinages, où elles recevaient une formation destinée à déstabiliser la situation en Moldavie. Selon Madalin Nescutu pour Balkan Inside : « Pendant plusieurs semaines, l’entraînement a eu lieu près de Banja Luka, en République serbe, une entité serbe de Bosnie-Herzégovine. Par la suite, les exercices ont été déplacés dans une ville proche de la frontière entre la Serbie et la Roumanie. Des sources des services de sécurité moldaves af irment que la formation était assurée par des citoyens serbes et bulgares, liés aux services de renseignement russes et aux sociétés militaires privées Wagner et Ferma. Les jeunes ont été recrutés à Moscou, puis, après des vérifications, envoyés dans des camps d’entraînement situés dans deux pays des Balkans. »
La vente de drones par la Turquie modifie l’équilibre régional et rend une nouvelle opération ouverte à la manière de Banjska (2023) beaucoup plus périlleuse pour Vučić, sans toutefois l’exclure. Aujourd’hui, les drones tiennent une place centrale dans l’évolution des technologies militaires ; leur rôle tendra néanmoins à s’atténuer à mesure que se développeront les systèmes de défense aérienne, les capacités de guerre électronique et les systèmes robotisés intégrant l’IA. Si Vučić opte pour des actions clandestines via des proxys et des groupes paramilitaires, la présence de drones kosovars compliquera ces opérations, sans les rendre impossibles. La Serbie privilégiera d’autres
voies hybrides : entraînement de groupes, cyberattaques et campagnes d’influence.
Vučić constitue un exemple emblématique de politicien de la nouvelle ère, évoluant à la croisée des guerres hybrides, des manipulations informationnelles et des calculs géopolitiques froids.
Aleksandar Vučić a orchestré l’opération à Banjska en ayant la certitude d’en tirer un bénéfice assuré — un exemple typique de politique hybride à risque nul.
En cas de succès :
– Le conflit au Kosovo s’intensifie, ralentissant ou bloquant l’intégration du pays dans les structures internationales (UE, PfP/OTAN).
– La Serbie se positionne comme un acteur central dans la région et consolide la position de la minorité serbe dans le nord du Kosovo.
– Vučić renforce sa popularité intérieure en se présentant comme le « protecteur des Serbes » et un leader puissant.
En cas d’échec de l’opération :
– L’attaque est contenue et les répercussions pour la Serbie restent limitées. Le Kosovo démontre sa capacité de défense, tout en conservant une certaine instabilité, ce qui permet à Vučić de déclarer : « Vous voyez, j’avais prévenu des menaces, je contrôle la situation ».
Vučić affirme également son influence vis-à-vis de l’UE :
– Il contrôle les minorités serbes et exerce un poids important dans la région.
– La seule manière d’assurer la stabilité dans les Balkans consiste à négocier directement avec lui, plutôt que par des mécanismes internationaux externes.
En résumé, Aleksandar Vučić constitue un exemple emblématique de politicien de la nouvelle ère, évoluant à la croisée des guerres hybrides, des manipulations informationnelles et des calculs géopolitiques froids. Les paradoxes de sa politique — entre l’Ukraine, la Russie et l’UE — ne sont pas absurdes, mais traduisent logiquement la réalité contemporaine, où la contradiction devient un outil de survie. La Serbie accueille des réfugiés ukrainiens et soutient l’intégrité territoriale de l’Ukraine, tout en n’imposant pas de sanctions à la Russie et en maintenant des liens étroits avec elle. Vučić affirme son distancement vis-à-vis du Kremlin — il n’a pas souhaité deux fois l’anniversaire de Poutine et a bloqué la tentative du parlement de rejoindre les BRICS. Il se présente comme
un acteur central de la stabilité des Balkans en tant que gestionnaire de crises, mais ne se limite pas à réagir aux conflits existants : il crée également des crises artificielles pour les contrôler et renforcer son influence, tant sur la scène nationale qu’internationale.









