Bosnie-Herzégovine : la diaspora ne croit pas à la guerre

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Il n’y aura pas de nouvelle guerre en Bosnie-Herzégovine... parce que personne n’est prêt à reprendre les armes. La diaspora est unanime pour dénoncer les manipulations des politiciens ethno-nationalistes, qui agitent les questions identitaires pour asseoir leur pouvoir mais ne font rien pour sortir le pays de l’ornière. Reportage.

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Par Marion Roussey

Bicanski, Pixnio

Cet article est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.


Amra est arrivée en France voilà deux ans pour ses études. Une manière pour elle de repartir de zéro. « J’en avais marre que l’on me classe en fonction de mon nom, de ma nationalité, de mon identité. Ici, je suis Bosnienne et puis c’est tout », explique-t-elle. Depuis, elle s’est éloignée de l’actualité des Balkans. « J’étudie, je travaille et je vis avec des Français, je m’intéresse surtout à ce qui se passe ici. » Quand, il y a une semaine, l’une de ses amies lui a demandé, affolée, si elle pensait qu’une nouvelle guerre en Bosnie-Herzégovine était possible, Amra est restée bouche bée. « Je ne comprenais pas ce qu’elle me disait, je pensais que c’était une blague. »

Même réaction pour Dragan, qui a quitté Banja Luka il y a quelques années pour s’installer aux Émirats arabes unis. Comme des milliers de Bosniens de la diaspora, il a suivi de loin les récentes mesures de Milorad Dodik pour reprendre le contrôle de l’administration fiscale, de la défense et la justice. « La sécession est une vieille rengaine qu’il ne cesse de répéter », rappelle le jeune homme. En Republika Srpska comme en Fédération, les discours nationalistes et identitaires tournent en boucle. « Cela fait 30 ans que les dirigeants s’en servent pour se maintenir au pouvoir, attisant la peur et la haine des électeurs pour gagner des voix et remporter les élections », déplore Dragan.

Cela ressemble à une farce, à un mauvais feuilleton dans lequel les dialogues se répètent et les politiques s’agitent comme des marionnettes.

Lors des élections municipales de l’automne 2020, qui ont vu vaciller les partis ethno-nationalistes en place, l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) de Milorad Dodik a perdu des électeurs et le contrôle de Banja Luka, le chef-lieu de l’entité serbe. En se plaçant en sauveur d’une identité menacée, le membre serbe de la présidence tripartite tente de remonter la pente avant les élections générales prévues pour l’automne 2022. « Ce qui se passe en ce moment n’est rien d’autre qu’un jeu politique qui se fait aux dépens des besoins et de la volonté réelle des Bosniens », continue Dragan.

Revenue quelques jours d’Arabie Saoudite pour voir sa famille qui réside non loin de Sarajevo, Ivana s’énerve de la situation. « Cela ressemble à une farce, à un mauvais feuilleton dans lequel les discussions se répètent et les politiques s’agitent comme des marionnettes », souligne-t-elle. La jeune femme voit deux évolutions possibles : l’intervention de puissances internationales pour reprendre les commandes du pays ou bien un soulèvement des citoyens, pour en finir avec le régime actuel. « Quel que soit l’endroit où ils vivent, les Bosniens en ont marre de subir passivement ces crises à répétition. » Ces dernières semaines, plusieurs manifestations pacifistes ont eu lieu dans la capitale.

Les gens que je connais n’ont aucune envie de prendre les armes, d’envoyer leurs enfants se battre. Surtout ceux qui se sont déjà battus.

Un ras-le-bol que partage Nikolina, installée depuis quelques mois à Paris pour reprendre ses études, après avoir quitté Banja Luka. Avec sa famille et ses amis restés en Bosnie-Herzégovine, elle ne parle pas des récentes déclarations de Milorad Dodik, encore moins d’un possible risque de guerre. Selon elle, le projet de sécession de l’entité serbe n’est ni réalisable, ni souhaitable, en particulier pour les Serbes de Bosnie-Herzégovine qui se retrouveraient isolés, politiquement et économiquement. « Il y a des enjeux tellement plus importants », soupire la jeune femme, qui énumère pêle-mêle la hausse du prix de l’essence et des matières premières, l’impossibilité pour de nombreuses familles de joindre les deux bouts, la destruction des rivières, la pollution de l’air, les inondations à répétition, la corruption, les meurtres jamais résolus de David et Dženan, les routes en piteux état, le système de santé à bout de souffle... Des problèmes ignorés par les dirigeants qui feraient mieux selon elle « d’œuvrer à construire un pays uni plutôt que de diviser les habitants et leur faire croire que vivre ensemble menace leur identité ».

Amra ne parle pas non plus de la crise politique avec ses proches, ni avec sa mère restée en Bosnie-Herzégovine, ni avec son copain qui vit en Serbie. Pour elle, la situation est absurde et la guerre n’aura pas lieu car elle ne connaît personne qui serait prêt à la faire. « Les gens que je connais n’ont aucune envie de prendre les armes, d’envoyer leurs enfants se battre. Surtout ceux qui ont déjà combattus. Ils ont été traumatisés et préféreraient mourir que d’imaginer leurs enfants vivre le même enfer. » Si la situation venait à se détériorer, elle essaierait de faire venir sa mère et sa sœur en France, comme elle l’a fait elle-même, pour ne plus subir les nationalismes qui empoisonnent son pays natal.