Sommet UE-Balkans occidentaux de Brdo : l’élargissement dans l’impasse

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Encore un rendez-vous pour rien ? Depuis le sommet de Thessalonique en 2003, l’Union européenne promet l’intégration aux pays des Balkans occidentaux. Mais depuis dix ans, rien n’avance. Le jeu de dupes entre les stabilocrates du sud-est de l’Europe et Bruxelles risque de durer encore longtemps : chacune des parties a intérêt à gagner du temps.

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Par Milica Čubrilo-Filipović et Simon Rico

Capture d’écran de la bande annonce du sommet UE-Balkans occidentaux de Brdo
© Newsroom Union européenne

Cet article est publié avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll (Paris)


L’ambiance promet d’être particulière à Brdo lors du sommet entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux ce mercredi 6 octobre, une semaine après les révélations de l’agence Reuters sur une note interne de l’UE dévoilant les doutes des diplomates européens sur la concrétisation d’un élargissement à l’Europe du sud-est. Selon ce document, l’UE « ne peut plus accepter de donner une garantie d’adhésion future aux Balkans occidentaux » du fait des réticences de certains États-membres, dont plusieurs fondateurs, et de l’impossibilité à tenir une ligne commune.

Autant dire que l’accueil réservé à Ursula von den Leyen, la présidente de l’UE, qui entamait alors une tournée régionale préparatoire de trois jours, a été pour le moins circonspect, voire même houleux. « Nous allons de sommet en sommet et nous ne voyons aucun progrès, la même déclaration est constamment répétée », lui a lancé Edi Rama, le Premier ministre albanais, alors qu’elle tentait d’assurer que « l’avenir de l’Albanie [était] dans l’UE ». Un peu plus tard, Ursula Von den Leyen en a remis une couche en Macédoine du Nord : « Vous ferez partie de l’UE. Il ne s’agit pas de savoir si, mais quand ». Sans réellement convaincre.

L’Union européenne est devenue un « facteur de déstabilisation »

Il faut dire que le pouvoir décisionnel d’Ursula von den Leyen est nul : c’est au Conseil européen, autrement dit aux chefs de l’exécutif des 27, de donner ou non leur feu vert à l’élargissement. Or, aucune avancée n’a pu avoir lieu ces dernières années, marquées par plusieurs blocages symptomatiques de la fatigue de l’élargissement. Ce sont d’abord la France et les Pays-Bas qui ont empêché l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord, avant que la Bulgarie ne prenne le relais à l’automne 2020. Pour des questions historiques et linguistiques, Sofia refuse de lever son véto contre Skopje, ce qui impacte par ricochet Tirana, dont le processus est inclus dans le même « paquet ».

Pire, l’Union européenne serait même devenue « un facteur indirect de déstabilisation dans la région », poursuivent les diplomates cités par Reuters. En cause, le processus d’élargissement qui fait du surplace depuis des années, lassant les populations et les gouvernements, et favorisant la pénétration des intérêts de puissances concurrentes. La Chine a ainsi fait une arrivée très remarquée depuis la dernière crise financière dans tout le sud-est de l’Europe, au point que certains cadres européens se sont inquiétés du risque que les Balkans ne se transforment en cheval de Troie pour Pékin.

Dans sa lettre d’invitation au sommet de Brdo, le président du Conseil européen, le belge Charles Michel, a donc rappelé, encore, « l’importance stratégique » des Balkans occidentaux. Les plus optimistes noteront qu’il sera cette fois fait explicitement référence à l’élargissement, ce qui n’était pas le cas du communiqué final du sommet précédent, à Zagreb, au printemps 2020. C’est l’hôte de ce rendez-vous, l’ultraconservateur Premier ministre slovène, Janez Janša, qui a insisté pour, lui qui espère donner un coup de fouet à sa présidence tournante de l’UE. Tout porte néanmoins à croire que rien n’avancera. Une fois de plus, les invités devraient s’en tenir à des déclarations d’intentions floues pour noyer le poisson et on parlera encore d’« agenda stratégique » ou d’« efforts conjoints ».

Des promesses économiques, faute d’accord politique

Au mieux, les Balkans occidentaux peuvent espérer un plan d’investissements pour la région. Le Commissaire à l’élargissement, Olivér Várhelyi, (voir encadré ci-dessous) a récemment promis de débloquer « 30 milliards d’euros au total, afin de réaliser, au cours des quatre à cinq prochaines années, des changements fondamentaux sur le terrain pour la population et l’économie - relier les capitales par des autoroutes et des voies ferrées rapides, éliminer progressivement le charbon, introduire plus d’énergies renouvelables, investir dans les PME, créer un climat d’investissement attractif, apporter l’Internet à très haut débit ». Ce proche de Viktor Orbán insiste sur le fait qu’il n’y a « plus de temps à perdre ».

Faute d’accord politique entre les 27, il apparaît en effet impossible d’imaginer plus. Voilà sans doute pourquoi Charles Michel a tenu à plaider pour l’unité des États-membres sur ce dossier. Si un tiers d’entre eux (Autriche, Croatie, Slovénie, Hongrie, Grèce, République tchèque, Irlande, Allemagne) veulent ouvrir les portes de l’Union, d’autres, à commencer par la France, le Danemark et les Pays-Bas, conditionnent l’avancée du processus à un « approfondissement de l’Union » et à des « réformes en profondeur » sur le respect de l’État de droit et des valeurs européennes.

Pour voir le verre à moitié plein, Paris insiste sur le fait que le Monténégro et la Serbie négocient actuellement leur adhésion... Tout en faisant remarquer que « certains pays » reculent sur des questions fondamentales comme la liberté de la presse, le respect des droits des minorités ou les relations de bon voisinage. La récente crise des « plaques d’immatriculation » entre le Kosovo et la Serbie a été l’illustration de ces querelles bilatérales qui plombent la région.

Sans carotte ni bâton, l’UE n’a plus de moyen de pression

Durant dix jours, du 20 au 30 septembre, Belgrade et Pristina ont montré les muscles : la Serbie a déployé ses chars à la frontière et fait survoler le Kosovo par ses avions de chasse pour riposter au déploiement des forces spéciales kosovares dans le Nord. Les négociations, menées sous l’égide de l’UE, ont permis de parvenir à un accord temporaire instaurant un « régime de vignettes » et se donnant un nouveau délai de six mois pour parvenir à une solution pérenne.

« Ces évènements montrent à quel point on est loin d’une normalisation », insiste Igor Bandović, directeur du Belgrade Centre for Security Policy. « Albin Kurti n’invoque que les parties des accords de Bruxelles qui lui permettent d’affirmer la souveraineté du Kosovo, tandis que le président serbe Aleksandar Vučić s’attache à ce que le statu quo soit maintenu. » De son côté, l’analyste kosovar Agon Maliqi regrette que l’Union européenne prenne ce genre de prétextes pour retarder l’intégration des Balkans occidentaux. « C’est précisément ce manque de perspective et de dates qui anéantit la motivation et réduit les moyens d’action de l’UE », relève-t-il. « L’UE ne dispose ni de bâton ni de carotte, ce qui mène à la mort clinique du dialogue Pristina-Belgrade » mené à Bruxelles depuis 2011.

En 2003, il y a déjà presque 20 ans, le sommet de Thessalonique promettait pourtant la « perspective européenne » de tous les pays des Balkans. Depuis, seule la Croatie a été intégrée, aux forceps, en 2013. Un an plus tard, Jean-Claude Juncker mettait l’élargissement sur pause dès sa prise de fonction à la présidence de la Commission, jusqu’en 2019. Depuis, dans une UE minée par les crises internes, rien n’a permis de le relancer. Une désunion dont profitent les stabilocraties balkaniques, ces régimes hybrides, autoritaires et prétendument pro-européens qui lorgnent opportunément vers la Chine, la Russie et la Turquie et jamais ne se réforment.


Le Commissaire européen à l’élargissement accusé de négliger l’État de droit en Serbie

Selon une enquête publiée par le site Politico à la veille du sommet UE-Balkans occidentaux, le Commissaire hongrois à l’élargissement, Olivér Várhelyi, a « supervisé une campagne visant à minimiser les préoccupations concernant l’État de droit et les droits de l’Homme » au sein des pays candidats à l’intégration. Et particulièrement en Serbie.

« Le respect des droits de l’Homme et l’État de droit doivent être les fondements de notre coopération internationale », avait pourtant écrit la présidente de la Commission Ursula von der Leyen dans sa lettre de mission adressée à Olivér Várhelyi, rappelle Politico.

Le commissaire hongrois « sape la crédibilité de la Commission » et « affaiblit clairement la politique de l’UE dans les Balkans », estime un responsable de la Commission sous couvert d’anonymat. « Il suit l’agenda de ses maîtres à Budapest, se rapproche des dirigeants autoritaires et ignore largement les questions liées à l’état de droit », renchérit un autre, lui aussi cité anonymement par Politico.

Viktor Orbán et Aleksandar Vučić se sont beaucoup rapprochés ces dernières années, multipliant les rencontres, chaque fois ponctuées de critiques adressées à l’Union européenne et à l’Occident, jugés hostiles. « La Serbie et la Hongrie veulent défendre l’Europe contre l’immigration », ont proclamé les deux pays réunis lors d’un sommet bilatéral le 8 septembre dernier à Budapest.