Par Jean-Arnault Dérens
Erik Marchand est mort à Caransebeș, cette petite ville du Banat roumain, où il avait lié les plus solides des amitiés, où il avait rencontré, voici plus de trente ans, ses frères en musique du fameux taraf. Né à Paris, Erik découvre la musique bretonne chez son grand-père, à Quelneuc, en pays de Redon. Collecteur de chants, il se met lui-même à chanter, en gallo et en breton, et s’installe en Bretagne en 1975, dès son bac obtenu, dans le Kreiz Breizh, ce Centre-Bretagne qui sera toujours pour lui une porte ouverte sur le monde, balayé par les grands vents d’une insatiable curiosité.
Fondateur du groupe Gwerz en 1981, il joue aussi du treujenn gaol, la clarinette bretonne, et commence à poser son chant sur des instruments venus d’ailleurs, comme l’oud que lui fait découvrir le grand guitariste angevin Thierry Titi Robin, passionné de sonorités gitanes mais aussi orientales. Après un premier album en duo, le percussionniste rajasthanais Hameed Khan vient les rejoindre avec son tabla, et c’est le mythique album des « trois frères », An tri Breur.
Grand voyageur, Erik commence à arpenter les Balkans à la fin des années 1980, découvrant des pays qui s’ouvrent tout juste aux visiteurs étrangers, comme l’Albanie et la Roumanie, mais aussi la Yougoslavie en train de se disloquer dans le sang. Erik, qui parlait parfaitement le roumain et fort correctement le serbo-croate, composa même une chanson dans cette langue, évoquant le siège et la destruction de Vukovar.
Initiatieur des Rencontres internationales de clarinettes populaires de Glomel, il approfondit ses échanges et invite à plusieurs reprises le taraf de Caransebeș, avec qui il produit l’album Sag An Tan Ell (« Vers l’autre flamme »), reprenant le titre du brûlot de l’écrivain roumain Panaït Istrati, l’une des premières dénonciations de gauche de la terreur stalinienne.
Les musiciens du taraf de Caransebeș sont toujours restés les amis du premier cercle, la famille de cœur, mais Erik a multiplié les aventures musicales, avec le violoniste breton Jacky Molard comme avec le guitariste rock metal Rodolphe Burger, mais sans jamais oublier les Balkans. En 2000, il réunit des polyphonies de Corse et d’Albanie pour l’album Kan, créé à Brest, puis il amorce un dialogue avec le pianiste de jazz Bojan Z, notamment lors du festival NoBorders 2014.
En 2006, invité du Festival de cinéma de Douarnenez consacré cette année-là aux Balkans, il collabore avec DJ Wonderbraz pour créer le spectacle Turbo sans visa, les deux complices ne cachant pas leur passion pour le turbofolk serbe ou les manele roumaines. C’est durant ce même festival qu’une fameuse conférence à deux voix le fit dialoguer avec l’anthropologue serbe Ivan Čolović, sur le thème des musiques populaires. L’érudition ne parvenant pas à les départager, Ivan Čolović remporta la partie en se mettant à chanter a capella.
Erik n’était pas que chanteur et musicien, c’était aussi un organisateur hors-pair, un créateur jamais lassé d’inventer et de faire vivre de nouveaux projets. En 2003, il fonde la Kreiz Breizh Akademi, programme de formation visant à transmettre les règles de la musique modale mais aussi « laboratoire de création », où la musique bretonne devient le medium permettant de réunir Ibrahim Maalouf ou le Réunion Daniel Wario. Avec Jacky Molard, il crée aussi le label Innacor, puis le festival NoBorders de Brest.
Erik était un vrai Balkanique, avec ce goût des histoires qui n’en finissent jamais, des discussions dont les méandres se glissent les uns dans les autres, se reprennent, se perdent et se retrouvent, évoquant les amis, la musique, la politique. Une discussion entamée un soir d’été à Belgrade dans l’île d’Ada Ciganlija, en se dirigeant vers la mythique péniche des Black Panters, des musiciens tziganes du Banat eux aussi, se poursuivait six mois plus tard, l’hiver venu, dans sa petite maison de Poullaouen, sous un drapeau du Parti communiste portugais. C’est là qu’Erik vivait, au coeur du Kreiz Breizh, si attaché aux traditions sociales du Centre-Bretagne.
En 2007, il avait enregistré un, daou, tri, chtar, un nouvel album avec Jacky Molard, Costica Olan et Viorel Tajkun, adaptant en breton « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? », la chanson de Jacques Brel.
Erik avait chanté à la première soirée Balkanophonik, organisée au Studio de l’Ermitage, à Paris, en 2008, pour les dix ans du Courrier des Balkans, puis il avait donné un concert avec Jacky Molard, Costica Olan et Viorel Tajkuna, à Moëlan-sur-Mer, en 2009, à l’occasion du festival Les Balkans à Moëlan/ Ar Balkanioù e Molan, coorganisé par Le Courrier des Balkans.
Erik était un ami et un lecteur fidèle du Courrier, que nous retrouvions régulièrement à Douarnenez, à Poullaouen ou à Brest comme à Belgrade ou à Kočani, en Macédoine du Nord. La perte est immense. Kenavo, Erik.










