Féminicides au Kosovo : un premier verdict pour l’histoire ?

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Ils avaient torturé à mort Marigona Osmani, une jeune femme de 18 ans, à l’été 2021 à Ferizaj. Le meurtrier a été condamné à la perpétuité, son complice à quinze ans de prison. Les associations féministes saluent un verdict « historique », en espérant une décision en appel encore plus sévère.

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Par Julie Chauvin

Devant le Tribunal de Ferizaj, le 4 août, avant le verdict.
© Courrier des Balkans | Julie Chauvin

« Peine maximale pour les meurtriers de Marigona », « Cause du meurtre : le patriarcat », « L’État ne l’a pas protégée ». À l’appel du Collectif kosovar pour la pensée et l’action féministe, une trentaine de personnes, visages fermés, se sont rassemblées vendredi 4 août, sur les marches du Tribunal de Ferizaj, exprimant leur colère et demandant justice pour Marigona Osmani.

Le 22 août 2021, cette jeune femme de 18 ans était assassinée dans des conditions terribles. Les faits se sont déroulés dans l’appartement de Dardan Krivaqa, le principal accusé, avec qui elle partageait sa vie. Deux individus, désormais condamnés, Dardan Krivaqa et son complice Arbër Sejdiu, ont transporté le corps sans vie de la jeune femme à l’hôpital de la ville avant de disparaître.

Le jour du verdict, de nombreux journalistes et de nombreuses caméras sont postés à l’entrée du tribunal de Ferizaj, dans l’attente de leur condamnation. Le juge détaille les détails glaçants du crime. Durant deux jours successifs, elle aurait subi des violences répétées et brutales de la part de Dardan Krivaqa, qui a utilisé un bâton en bois pour lui infliger des douleurs physiques et psychologiques insupportables. Ces violences ont finalement conduit à la mort de Marigona Osmani.

Selon le rapport du médecin légiste, les blessures de la victimes étaient multiples : nombreux traumatismes, fractures, hémorragies externes et internes. Le corps de Marigona Osmani a finalement été transporté par ses deux bourreaux jusqu’à l’hôpital public par Dardan Krivaqa, où ils l’ont abandonné.

Nous ne pouvons pas oublier que Marigona pourrait encore être en vie aujourd’hui si l’État l’avait protégée à temps.

Ce féminicide a suscité une grande vague d’émotion au Kosovo. Pendant plusieurs mois, la société civile n’a cessé de réclamer la peine maximale pour les deux meurtriers. « Nous ne pouvions pas oublier la cruelle violence infligée par Krivaqa avec l’aide de Sejdiu à Marigona jusqu’à sa mort. Nous ne pouvons pas oublier que Marigona pourrait encore être en vie aujourd’hui si l’État l’avait protégée à temps. En colère et avec une grande douleur, nous nous réunissons pour réclamer justice pour Marigona », a écrit le Collectif kosovar pour la pensée et l’action féministe.

De nombreuses ONG du Kosovo ont partagé ce message. Les médias ont aussi joué un rôle majeur dans la mobilisation autour de ce procès. De nombreux articles ont été publiés, détaillant l’interminable supplice enduré par Marigona jusqu’à son décès par asphyxie et relayant l’appel à la condamnation des accusés.

Le verdict est finalement tombé en fin de matinée le 4 août. Dardan Krivaqa a été reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité. Son complice, Arbër Sejdiu, a écopé d’une peine de quinze ans de prison. Cette décision de justice a suscité des avis partagés.

La famille de la victime ainsi que son avocat ont salué la condamnation de Dardan Krivaqa, mais regretté la relative clémence dont a bénéficié Arbër Sejdiu. Les associations féministes estiment que « ce verdict représente une étape importante dans l’avancée de notre société vers l’égalité, la justice est rendue ». Certaines parlent d’une décision « historique » pour un cas de féminicide, si le verdict est confirmé en appel.

Un signal fort

« Cette décision peut difficilement être modifiée en appel étant donné que les violences et le meurtre ont été filmés par les caméras de surveillance de l’appartement », a fait remarquer Besarta Breznica, chargée de programme pour la lutte contre la violence basée sur le genre au Kosovo Women Network, interrogée par KTV. Tout en déplorant le fait que les accusés n’aient pas été condamnés pour le viol de Marigona. « Les examens médicaux pouvant établir ces violences n’ont pas été effectués, ce qui blanchit les meurtriers, faute de preuves suffisantes. »

La famille de Marigona Osmani envisagerait de faire appel du verdict, avec l’espoir d’obtenir une condamnation plus ferme concernant Arbër Sejdiu. Les associations féministes soutiennent cette idée. « Nous allons nous mobiliser et suivre l’évolution de cette décision de très près. Si cela ne change pas, des manifestations seront organisées », confirme Besarta Breznica.

Après la très grande médiatisation de l’affaire, ce verdict nourrit un espoir de justice pour toutes les victimes de féminicides. La condamnation à perpétuité de Dardan Krivaqa constitue en effet un premier message fort contre les violences faites aux femmes. Depuis 2010, 50 féminicides ont été recensés au Kosovo. Si le procès en appel aboutit à la même peine pour son complice, le poids serait encore plus important.

Ces dernières années, les médias du Kosovo accordent une place de plus en plus importante aux féminicides. Voilà qui témoigne d’une véritable prise de conscience, portée par l’intense activisme de jeunes militantes, bien déterminées à remettre en cause le modèle toujours très patriarcal de la société albanaise. Il y a bientôt un an, le viol collectif d’une fillette de 11 ans avait ainsi provoqué de grandes manifestations, à Pristina et dans les pays voisins.

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.