Élargissement de l’UE : « La nouvelle méthodologie freinera les Balkans occidentaux »

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À première vue, la réforme de l’élargissement proposée mercredi par la Commission européenne pourrait sembler raisonnable. Mais il ne faut pas s’y tromper : si elle est adoptée, il sera encore plus difficile pour les candidats d’adhérer à l’UE. L’éditorial du correspondant de Radio Slobodna Evropa à Bruxelles.

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Cet article a été publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris


Adapté par Jaklina Naumovski (article original)

© Commission européenne

La nouvelle méthodologie d’élargissement de la Commission européenne, annoncée mercredi 5 février, pourrait à première vue sembler raisonnable et comporter des conditions tout à fait acceptables. Mais il ne faut pas s’y tromper, cette réforme signifie deux choses : un, qu’il sera plus difficile que jamais de rejoindre l’Union ; deux, que les États-membres, plus la Commission européenne, seront aux commandes de la future politique d’élargissement. Et ce sont de mauvaises nouvelles pour les Balkans occidentaux, de même que pour la Moldavie, l’Ukraine ou même la Géorgie.

Après l’« erreur historique » de l’automne dernier, il était évident qu’il fallait revoir la politique d’élargissement de l’UE. La proposition est intervenue moins de deux mois après la position déclarée de la France, un record en ce qui concerne la manière dont Bruxelles livre les choses. À bien des égards, la nouvelle méthodologie vise surtout à apaiser les États-membres les plus sceptiques. Mais la vérité est que c’est loin d’être terminé.

Des rumeurs circulent déjà sur le rejet annoncé de certains États-membres. Cela rendrait de fait caduque la volonté affichée de Bruxelles de donner enfin le feu vert à Tirana et Skopje lors du prochain sommet UE-Balkans occidentaux programmé le 7 mai à Zagreb.

Quelles conséquences pour l’Albanie et la Macédoine du Nord, puis la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo ?

L’objectif principal de cette nouvelle méthodologie est donc de renforcer le pouvoir de décision des États. Ceux-ci sont appelés à contribuer « plus systématiquement au processus d’adhésion, y compris via un suivi sur le terrain par le biais de leurs experts, aux rapports annuels » de la Commission. « Les États-membres auront également la possibilité d’examiner et de suivre les progrès plus régulièrement. »

Concernant le processus, la Commission européenne suggère une refonte de la validation de l’acquis communautaire. Les 35 chapitres ne devraient plus être ouverts un à un, mais regroupés en six paquets thématiques et il faudra avoir validé l’ensemble du paquet avant d’en ouvrir un nouveau. L’objectif étant de renforcer les contrôles. Les progrès effectués par les candidats conditionneront leur accès aux fonds de pré-adhésion : mieux ils avanceront, plus ils auront d’argent.

Autre changement majeur : aucun paquet ne sera considéré comme définitivement clos tant que les six n’auront pas été fermés. Cela veut donc dire que le chemin risque d’être encore plus long pour les candidats. En offrant la possibilité aux États-membres de rouvrir des chapitres déjà clos, la Commission envoie un message clair en faveur des pays les plus frileux sur l’élargissement. Cela vise surtout la France, qui plaide pour une réforme des institutions européennes avant toute relance, de même que les Pays-bas et le Danemark, qui se sont alignés sur Paris cet automne pour bloquer l’ouverture des négociations d’adhésion de Tirana et Skopje. Mais à l’avenir, cela pourra contenter tous les pays qui cherchent à instrumentaliser la question européenne à des fins de politique nationale.

Pour résumer, quelle que soit la façon dont on regarde cette nouvelle méthodologie, il apparaît qu’elle complique encore un peu plus le chemin vers l’intégration. Mais au vrai, quels pays sont concernés par cette nouvelle méthodologie ?

La Serbie et le Monténégro, dont les négociations ont déjà commencé, ne sont pas obligés de suivre cette réforme. Après avoir rencontré jeudi le Commissaire à l’élargissement, Olivér Várhelyi, le Président Aleksandar Vučić, s’est dit ouvert à ce changement de règles en cours de route, tout en demandant un temps de réflexion. Quant à la Turquie, qui avait demandé à Bruxelles de bénéficier des mêmes conditions que les pays des Balkans occidentaux à la veille de l’annonce de la nouvelle méthodologie, elle n’est même pas mentionnée. Les pays voisins de l’Union européenne savent en tout cas à quoi s’en tenir désormais : la porte est officiellement toujours ouverte, mais en franchir le seuil leur sera très difficile.

Les réactions dans les Balkans

Après le camouflet reçu cet automne, Tirana et Skopje préfèrent rester optimistes. Le ministre macédonien des Affaires étrangères, Nikola Dimitrov, croit que cette approche renouvelée entraînera l’ouverture de négociations d’adhésion de pays. « Plus d’avantages pour ceux qui mettent en œuvre des réformes et plus de sanctions pour ceux qui ne progressent pas, sur la base d’une évaluation crédible, c’est un pas en avant », a -t-il déclaré.

Même son de cloche chez son homologue albanais : « Le processus d’adhésion requiert évidemment plus de crédibilité, de prévisibilité, d’efficacité et de dynamisme », a écrit Ditmir Bushati sur Twitter. « Nous saluons donc la méthodologie innovante de la Commission européenne, restant prête à y travailler et impatiente d’ouvrir des négociations dès que possible. »

Au Monténégro, l’opposition se fait plus critique. « La vraie question est de savoir dans quelle mesure la Commission européenne sera réaliste dans l’évaluation des résultats », estime Slaven Radunović, qui s’occupe des questions d’intégration européenne au Front démocratique. Avant de conclure : « Tout est dans l’épaisseur du trait... »