Blog • Quelques mots pour Jean-Marie Muller

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Philosophe, écrivain et militant, théoricien et praticien de la non-violence, Jean-Marie Muller est mort le 18 décembre, à l’âge de 82 ans. Bernard Dreano lui rend hommage.

Jean-Marie Muller
@ jean-marie-muller.fr

Il y déjà quelques années, c’était, si ma mémoire est bonne à l’occasion d’une rencontre de l’association Culture XXI, un des participant, un Arabe, m’avait dit que Jean-Marie Muller était une grand homme, presque un prophète ! ce qui n’était pas rien dans la bouche d’un musulman pratiquant et même Imam ! Il est vrai avais-je pensé que Jean Marie avait quelque chose de Moïse, avec sa haute stature, sa voix puissante et son verbe fécond.

Je savais que les écrits et la personne de Jean Marie avaient inspiré les Libanais Ougarit Younan et Walid Slaybi, fondateur du Mouvement pour les droits humains au Liban, se réclamant de la non-violence. Que certains de ses textes avaient été traduits en arabe. Et, quelques mois plus tard, les manifestants du « Printemps arabe » se proclamaient « syllmiya » (ou soulamya c’est-à-dire pacifique), et certains des animateurs au Caire comme à Damas expliquaient (je peux en témoigner) qu’il s’agissait bien de non-violence en tant que stratégie d’action civique suivant l’exemple de Ghandi, de Martin Luther King, mais aussi les ouvrages de l’américain Gene Sharp ou du français Jean Marie Muller !

En effet, Jean Marie Muller avait, et a toujours, une véritable aura internationale. Dès les années 1970 il est au Etats-Unis et contribue à populariser la lutte de César Chavez, le syndicaliste paysan leader des luttes des ouvriers agricoles de Californie auquel il consacrera un livre en 1977 César Chavez, un combat non-violent. En 1987 il rencontrera en Pologne les opposants démocratiques dont Jacek Kuron et Adam Michnik, qui avait traduit deux ans plus tôt en polonais son livre Stratégie de l’action non-violente publié en 1972, réédité en 1981.
En 1974 il a été l’un des fondateurs du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), que nous, militants du CEDETIM et d’ailleurs, allons rencontrer dans bien des luttes en France, à commencer par celle des paysans du Larzac contre l’extension de la base militaire, qui va durer de 1971 à 1981.

Militant infatigable contre les ventes d’armes (en 1970 il a fait une grève de la faim pour protester contre la livraison d’avions Mirage à la dictature militaire brésilienne), et pour le désarmement, il est évidemment hostile à la violence suprême de l’arme nucléaire. Il sera d’ailleurs arrêté en 1973 alors qu’il se trouve à bord du voilier Fri, avec Jacques de Bollardière, dans la zone interdite de Mururoa ou la France pratique ses essais nucléaires (encore dans l’atmosphère à l’époque). Et il sera bien sûr avec le MAN nous et d’autres dans l’aventure des « nouveaux mouvements de paix indépendants » en Europe de l’Ouest et de l’Est des années 1980, contre la course aux armements lors de la dite « crise des euromissiles » au sein du mouvement CODENE en France. Ces dernières activités militantes, dans les années 2010 seront de se battre pour que la France face le geste d’abandonner unilatéralement son arsenal nucléaire mortifère, avec son livre Les Français peuvent-ils vouloir renoncer à l’arme nucléaire ? (2011).

Sa réflexion sur la stratégie de la non-violence ne signifie pas ignorer toute réflexion sur la défense. En 1985, il écrit avec Christian Mellon et Jacques Sémelin une étude sur la défense civile non-violente La dissuasion civile publiée par la Fondation pour les Etudes de Défense Nationale.
Jean Marie Muller est aussi un philosophe de la non-violence. Pour lui, comme le souligne Alain Refalo, « il s’agit de conjuguer l’exigence morale qui consiste à délégitimer la violence avec l’attitude responsable qui vise à agir efficacement contre les systèmes de domination et d’oppression qui asservissent l’homme. Parce que la violence finit toujours par trahir et pervertir la fin qu’elle prétend servir, il est essentiel de rechercher des « équivalents fonctionnels » à la violence qui soient en cohérence avec la fin poursuivie. Seule [aux yeux de Jean-Marie Muller] la non-violence offre cette cohérence tout en visant à l’efficacité. »

Jean-Marie Muller déclarait en Inde en 2013, à l’occasion de la remise du prix Jamnalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhienne : « le génie de Gandhi est d’avoir réconcilié la morale de conviction et la morale de responsabilité, d’avoir réconcilié les exigences de la vie spirituelle et les contraintes de l’action politique. » Génie qui s’applique parfaitement à ce chrétien, qui publia en 1969 son premier livre, L’évangile de la non-violence, et consacra l’un de ses derniers ouvrages, en 2010, à Désarmer les dieux, le christianisme et l’islam face à la non-violence.

Bien entendu, ses positions ont suscité débats et parfois controverses. Jusque dans les années 1980, pour bien des militants, la « violence révolutionnaire », sinon la lutte armée, était considérée comme le nec plus ultra du combat progressiste, mais chacun pouvait aussi constater à cette époque combien les diverses formes de militarisation des luttes avaient eu leurs lots d’effet pervers et de conséquence désastreuses. Pour autant, le « pacifisme » avait à l’inverse mauvaise presse, synonyme de passivité et de renoncement pour beaucoup. Il ne s’agit pas de cela nous disait Jean-Marie Muller, mais bien d’action dont l’option stratégique non-violente doit être discutée. Nous avions à l’époque eu d’ailleurs au CEDETIM un cycle de discussion sur « violences et changement ».

Aujourd’hui de nouvelles situations de guerres sans fin prévalent dans de plus en plus larges régions du monde, tandis que reprennent discours de guerre et course aux armements des grandes et moyennes puissances rendant plus nécessaires que jamais la lutte pour la paix et contre la militarisation. Aujourd’hui aussi, de considérables mouvements citoyens de masse, se réclamant, le plus souvent explicitement, de la non-violence se sont levés, depuis une quinzaine d’année de Wall Street à New York jusqu’à Madrid, dans le monde arabe ou à Hong Kong. Souvent ils ont été réprimés par des régimes autoritaires et brutaux, et pourtant ils ne cessent de réapparaitre, un jour à Alger, un autre au Chili, demain ailleurs. En France on discute de la « violence » ou de la « non-violence » des mouvements sociaux à propos des diverses mobilisations locales ou nationales de ces dernières années…

Revenir sur les actions de Jean Marie Muller, sur ces propositions de stratégie pour les mouvements, lire ces livres… C’est utile en cette période.

Merci, Jean-Marie