Blog • L’architecture au défi de l’après-guerre

|

À propos de « Guerre et paix », AA L’architecture d’aujourd’hui, no 464, 2025, 144 pages, 19 euros.

Avec ce numéro, la revue d’architecture internationale AA fondée en 1930, amorce une nouvelle métamorphose pour mieux signifier la place de l’architecture comme point de convergence entre société et savoir. Hasard de l’édition ou signe des temps, alors que la revue Philosophie magazine aborde la question de Faut-il faire des compromis pour avoir la paix ? (mars 2025) et publie simultanément un hors-série consacré à L’art de la guerre (printemps 2025), AA surfe sur la même vague avec Guerre et paix (no 464, mars 2025) avec pour originalité de placer l’accent sur l’après-guerre.

Le menu proposé est pour le moins copieux : en ouverture, morceaux choisis d’un entretien de Timothée Duverger avec le philosophe Pierre Charbonnier qui a publié récemment Vers l’écologie de guerre (La Découverte, 2024), suivi d’une présentation de « L’Anneau de la Mémoire », soit le Mémorial international Notre-Dame-de-Lorette conçu par l’architecte Philippe Prost et livré en 2014, avec un portfolio Luc Boegly. On enchaîne avec l’architecture au défi de l’urgence abordé aux travers de différents projets pour aborder ensuite un récit cartographique de Gaza par l’agence d’investigation Forensic Architectur auquel succède la présentation d’un refuge pour les populations déplacées rohingyas privilégiant la co-construction et les matériaux locaux, projet mené par l’architecte Rizvi Hassan qui s’inscrit dans les pas d’un Yona Friedman (1923-2019).

Belle découverte avec l’artiste vietnamienne-américaine Tiffany Chung dont l’œuvre prend la mesure de la destinée des populations déplacés : l’entretien est accompagné de somptueuses photos de ses aquarelles, broderies et installations dont l’une est reproduite en couverture (détail de « water dreamscape scroll : the gangster named Jacky, the sleepers, and the exodus, 2017-2018 », aquarelle sur papier, 113.5 x 924.5 cm). On nous emmène ensuite à la rencontre de l’association – fondée par les architectes Joana Dabaj et Riccardo Luca Conti – Catalytic Action engagée dans la création d’espaces inclusifs pour les enfants dans les zones de conflit. Le prochain rendez-vous est avec les architectes Iyas Shahin et Wesam Al Asali d’IW Lab qui travaillent à Damas. Valérie de Saint-Do revisite quant à elle l’Irlande du Nord où le Brexit a ravivé les plaies des « troubles » (1968-1998) : alors que tombe le mur de Berlin, on construit ou aménage à Belfast quelques 80 « murs de la paix » — aujourd’hui encore, ils sont toujours là. On aurait pu évoquer ici « Sunday Bloody Sunday » (1983) de U2 pour introduire le sujet suivant consacré au combat de la musique pour la liberté.

On continue le tour du monde proposé tambour battant par AA avec la rencontre du collectif panafricain WoMin militant pour un écoféministe comme alternative à l’extractivisme avant de découvrir un hôpital en plein cœur du désert somalien conçu par Architectural Pioneering Consultants (APC). Intermède original qui a toute sa place ici, la poésie rebelle de la poétesse et journaliste colombienne María Mercedes Carranza, avant de revenir en Europe avec le jardin mémorial dédié aux victimes de Marc Dutroux dessiné par les architectes de Reservoir A.

En fin de parcours et en résonnance avec l’actualité, l’agence d’architecture ukrainienne Balbek Bureau installée Kyiv nous présente sa défense du vernaculaire et Anastasia de Villepin nous offre un entretien entre l’architecte Martin Duplantier et Andriy Sadovyi, maire de Lviv. Si la difficulté de « vivre avec » le conflit est manifeste, « vivre avec » l’après-guerre n’est pas moins rude et exigeant. D’où la nécessité d’une architecture du care qui aurait mérité d’être mise en avant – ce d’autant plus que bien des projets présentés s’inscrivent précisément dans cette perspective. Ce numéro tient toutes ses promesses, on soulignera la diversité des contributions et un assemblage texte/image très réussi.

Brève notice sur quelques publications récentes consacrée à l’architecture du care  :

Fitz, Angelika et Elke Krasky (sous la direction de), Critical Care, architecture and urbanism for a broken planet, MIT Press, 2019.
Lussault, Michel, Cohabitons ! Pour une nouvelle urbanité terrestre, Seuil, 2024.
Masboungi, Ariella et Antoine Petitjean (sous la direction de), La ville à l’usage. Claire Schorter, Grand Prix de l’urbanisme 2024, Éditions Parenthèses, 2024.
Sportouch, Yoann, Pour un urbanisme du care, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2024.
Younès, Chris, Céline Bodart et David Marcillon (sous la direction), Prendre soin. Architecture et philosophie, Infolio, 2024.