Avec la guerre en Ukraine, la Bosnie-Herzégovine rêve de relancer sa filière charbon

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En Bosnie-Herzégovine, le secteur du charbon est en crise et le pays doit décarboner son industrie contre d’importantes aides financières européennes. Mais la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine change la donne et pourrait relancer l’exploitation des énergies fossiles. En attendant, les mineurs de la Fédération sont en grève...

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Par Marion Roussey

Le charbon extrait dans la mine de Kakanj est trié et transporté jusqu’aux centrales
Geoffrey Brossard | Hans Lucas

« Charbon à vendre. Livraison possible ». Sur la route qui relie Sarajevo à Kakanj, des monticules noirs s’entassent devant les maisons. Pour se chauffer, la plupart des habitants de la région ont recours au bois et au charbon. Ceux qui ne sont pas reliés au chauffage central ont souvent des réserves dans leur cave. « On met le bois dans le compartiment du bas, le charbon au-dessus, puis on allume et on règle la température », explique un habitant, qui vit avec sa famille sur les hauteurs de Kakanj.

Chaque année, ce père de famille achète environ 600 euros de charbon, soit l’équivalent d’un salaire mensuel moyen. Avec la crise énergétique, les prix ont augmenté cet hiver mais le combustible demeure toujours plus rentable que le chauffage central ou le bois, dont les tarifs ont doublé en raison de la récente hausse des exportations vers les pays de l’UE. Les salariés de la mine de Kakanj et leur famille bénéficient de surcroît de prix réduits, en vertu d’un accord avec le syndicat.

Dans cette ville ouvrière située à une cinquantaine de kilomètres de Sarajevo, les symboles de la mine sont omniprésents. Des statues à l’effigie des mineurs jalonnent la promenade le long de la rivière Zgošća, et on remarque partout deux marteaux croisés, l’emblème du FK Rudar Kakanj, le club de football local. Dans le hall du bâtiment de la direction de la mine, sur le boulevard Alija Izetbegović, sont accrochés les portraits de mineurs qui ont marqué l’histoire de la ville.

Depuis son ouverture en 1902, la mine de charbon est l’un des moteurs économiques de Kakanj. « Le nombre de mineurs a été divisé par deux en cent ans du fait de la mécanisation de la production mais aujourd’hui, la mine emploie environ 1300 personnes et produit plus d’un million de tonnes de charbon par an », se félicite son directeur, Sead Imamović.

Kakanj est l’une des sept mines publiques de la Fédération. Les trois quarts du charbon proviennent du site à ciel ouvert de Vrtlište, à trois kilomètres de la ville. « C’est ici que le lignite est extrait », explique le directeur adjoint Amel Kusić, en montrant une vaste étendue lunaire où d’immenses engins s’activent dans les bruits des explosifs. Les blocs sont ensuite transportés dans une autre unité où une équipe de mineurs trie le charbon à la main : d’un geste sûr, les hommes retirent d’énormes roches du tapis roulant, tandis que les morceaux noirs défilent jusqu’aux wagons pour être transportés vers la centrale électrique de Kakanj.

Dans la mine à ciel ouvert de Kakanj, le charbon est extrait avec des explosifs
Geoffrey Brossard | Hans Lucas

Plus de 90% du lignite ainsi produit sert à alimenter les quatre centrales thermiques de la compagnie publique Elektroprivreda. Le reste est vendu au syndicat ou à des institutions, à des hôpitaux et des écoles. Un dispositif bien huilé qui garantit à la Bosnie-Herzégovine son indépendance énergétique. Elle est le seul pays de la région capable d’exporter des quantités importantes d’électricité à ses voisins.

Avec la crise énergétique mondiale, la tendance pourrait s’amplifier. « Les pénuries de gaz ou les problèmes de livraison vont entraîner un besoin accru de charbon. Notre pays s’y prépare », prédisait à l’automne dernier le directeur de Kakanj, Sead Imamović. Pour sortir de leur dépendance au gaz russe, plusieurs pays européens misent en effet sur le lignite. À commencer par l’Allemagne qui a annoncé en mai dernier son intention de réactiver quinze de ses centrales dans les prochaines années. Durant les sept premiers mois de 2022, les exportations de charbon bosnien ont ainsi doublé par rapport à l’an dernier, selon les statistiques officielles des douanes. Le gros des stocks part en Serbie. Le reste est dispersé entre la Croatie, la Hongrie et la Slovénie.

Devant la mine de Banovići, située à une centaine de kilomètres au nord de Sarajevo, des dizaines de camions viennent quotidiennement s’approvisionner en charbon. Ils récupèrent les surplus de production qui ne sont pas vendus à la centrale. Autour des véhicules dont le moteur tourne en permanence, quelques résidents ramassent les précieux morceaux noirs tombés des bennes. « Je m’en sers pour me chauffer ou bien je le revends sur le marché », explique une dame âgée au dos courbé, un seau à la main.

Des transporteurs attendent de recevoir leur chargement de charbon devant la mine de Banovići
Geoffrey Brossard | Hans Lucas

Certains conducteurs doivent patienter des jours avant de pouvoir remplir leur véhicule. « Quand il fait froid l’hiver, c’est vraiment dur », explique Slaviša Šojić qui attend son tour depuis l’aube. Cela fait plus de vingt ans que ce quarantenaire serbe au sourire jovial transporte occasionnellement du charbon pour alimenter en électricité les usines serbes mais également les mines de cuivre de Bor, exploitées à plein régime par le groupe chinois Zijin depuis fin 2018. L’an dernier, le président serbe Aleksandar Vučić avait annoncé que son pays avait besoin de quatre millions de tonnes de charbon et il avait lancé un appel à l’aide à la Bosnie voisine.

Mais pour les syndicats des mineurs, difficile d’augmenter la production. Les salariés sont déjà sous pression, car les exploitations n’ont pas été modernisées, faute d’investissements. « Cela fait des années que l’on demande au gouvernement de nouvelles machines et que l’on veut augmenter les effectifs », déplore Senad Sejdić, président du syndicat de la mine de Mramor, près de Tuzla. Sur ce site souterrain de 400 mètres de profondeur, les employés extraient le lignite à la pioche et aux explosifs. De vieilles machines ont été utilisées jusqu’en 2017 et n’ont pas été remplacées.

Car l’exploitation du lignite devient de moins en moins rentable et le secteur vit sous perfusion depuis des années. L’activité est en déficit structurel et les salaires des employés ont même dû être rabotés à plusieurs reprises, entraînant des grèves de mineurs en 2021 et 2022. Le 24 mars, la municipalité de Zenica, dans la banlieue de Sarajevo, a gelé le compte de la mine publique de la ville, qui affiche une dette d’environ 1,3 million d’euros. Privés de leur salaire au mois de mars, les mineurs ont entamé une grève de la faim.

Un véritable gâchis pour Senad Sejdić, lui-même fils de mineur qui travaille à la mine depuis 30 ans. « Nous avons cent ans d’expérience dans l’exploitation du charbon et les réserves de nos sols pourraient nous permettre d’approvisionner l’ensemble des Balkans occidentaux », argumente-t-il, convaincu qu’avec « la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, le monde a pris conscience que le charbon n’aurait pas dû être abandonné si tôt ».

Mais les autorités de Bosnie-Herzégovine sont tiraillées. Depuis que le pays s’est engagé en 2020 à décarboner son industrie en échange d’importantes aides financières de l’UE d’ici 2050, les anciennes mines de charbon ne sont plus la priorité. En attendant d’amorcer une transition énergétique sans cesse repoussée, les autorités de Sarajevo misent sur la construction par la Chine de deux nouveaux blocs de la centrale de Tuzla, présentés comme moins polluants.