Monténégro : à Nikšić, les « écopatriotes » s’attaquent enfin au ramassage des déchets

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Depuis trente ans, le Monténégro se définit comme un « État écologique ». Pourtant, autour des villes, le long des routes, mais aussi des rivières comme au cœur des montagnes, les déchets s’accumulent. À Nikšić, un groupe de volontaires a décidé de prendre les choses en main. Leur cri de ralliement ? « L’écopatriotisme ».

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Adapté par Laurent Geslin (article original)

© Milica Radovanović / Kosovo 2.0.

La journée est nuageuse et la météo annonce de la pluie. « Peu importe, cela ne nous arrêtera pas », lance Jelena Lacman, en marchant avec ses deux fils, Nikola et Pavle. Ce week-end de novembre, Jelena Lacman, Ivana Čogurić et un groupe de bénévoles qui consacrent leur temps libre au nettoyage de Niksić, se sont réunis pour une nouvelle action, à proximité de la promenade Vito Nikolić, au pied du mont Trebjesa, la colline surplombant la vieille ville. Depuis un an, ces volontaires ont déjà organisé une quarantaine de rassemblements similaires.

Il y a un an, lorsqu’une énième vague épidémique a précipité un nouveau confinement, Jelena Lacman, Ivana Čogurić, Bojana Kršikapa et Jelena Jovićević ont décidé de remplacer leur café du matin, et même leur café de l’après-midi, par une randonnée. Bien qu’elles vivent au pied du mont Trebjesa depuis des années, ce n’est que récemment que les quatre femmes disent avoir remarqué la quantité de détritus autour d’elles. Pour la première fois, elles ont vu les ordures disséminées sur leur chemin et les décharges sauvages. Les habitants de Niksić ont pourtant toujours considéré cette colline comme le « poumon de la ville ». Elles ont alors décidé de pimenter leurs randonnées par des actions concrètes, et elles ont pris des sacs, des gants, des râteaux et des pelles.

Un peu avant 11 heures, Jelena Lacman arrive à l’endroit convenu – entre l’église et le musée, au début de la promenade Vito Nikolić. C’est là que les volontaires ont commencé à nettoyer il y a quelques jours, mais il reste encore beaucoup de déchets à ramasser. Un groupe est déjà arrivé malgré le mauvais temps, dont de jeunes enfants. Les gants de travail sont de sortie et une bonne énergie positive émane du groupe. Deux jours plus tôt, Ivana avait expliqué qu’elle ne pourrait pas venir, mais elle est finalement là, avec un survêtement et un sac à dos. « J’ai annulé le séminaire où je devais me rendre, comment pourrais-je rater une action ? », sourit-elle. Tout le monde est là, même si une partie des membres du club d’escalade de Javorak arriveront plus tard, après avoir préparé le déjeuner.

© Milica Radovanović / Kosovo 2.0.

« De qui faisons-nous le travail ? »

Ce dimanche, pour la première fois, des agents municipaux participent à l’initiative, dont le jeune président du Conseil municipal, Nemanja Vuković, qui a remplacé son costume par un survêtement et des baskets. « Nous sommes conscients que Nikšić a une très mauvaise image environnementale. Je crois que nous devons tous contribuer à ce que notre ville devienne un lieu de vie plus beau et plus propre », souligne-t-il, un râteau à la main.

« Ils avaient honte que quelqu’un d’autre fasse leur travail », sourit de son côté Jelena Lacman. « Cela ne nous dérange pas, nous savons qu’eux aussi ont besoin d’aide et nous sommes prêts à la leur fournir. Nous voulons servir de modèle et inviter tous ceux qui le souhaitent se joindre à nous ». Il est important que les élus municipaux reconnaissent la gravité du problème. Les « écopatriotes », comme ils s’appellent eux-mêmes, nettoient la ville depuis près d’un an avec peu ou pas d’aide officielle. Aujourd’hui, cependant, le directeur de l’entreprise publique de nettoyage s’est déplacé en personne, avec une tronçonneuse et un camion. Et Nemanja Vuković promet désormais que la situation va s’améliorer.

L’entreprise publique de nettoyage de la ville a en effet souvent été montrée du doigt. Celle-ci avait une fois demandée des compensations financières pour enlever les ordures disséminées autour du lac de Krupac, à quelques kilomètres du centre-ville de Nikšić. Mais c’est une pratique que passé, assure Nemanja Vuković. Les autorités municipales caressent également l’idée de mettre en place un service de gardes forestiers environnementaux et se coordonnent avec la police communale pour s’assurer que ceux qui jettent des déchets soient sanctionnés. Afin d’imposer une « marque environnementale ». Personne ne sait cependant si ces idées seront un jour appliquées car les promesses ne sont pas souvent suivies d’effets.

En avril dernier, le ministère de l’Écologie, de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme avait invité les bénévoles à s’entretenir avec lui. « Ils nous ont invités à parler pour faire leur propre promotion. J’espère qu’il ne se passera pas la même chose avec les autorités municipales. Nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes », continue Jelena Lacman. « Nous faisons tout cela pour nos enfants, pour tous les habitants de notre ville et de notre pays. »

On a quelque fois l’impression que ce que nous faisons est futile. Parfois, après avoir nettoyé un endroit, on trouve de nouveaux déchets une semaine plus tard.

Les volontaires acceptent les dons de leurs concitoyens, des outils par exemple, mais ils refusent les sommes d’argent, afin d’éviter toute forme de profit. Et ils ne souhaitent pas non plus s’enregistrer en temps qu’ONG, pour rester totalement indépendants. Avec l’objectif de changer les mentalités des habitants du Monténégro. « On a quelque fois l’impression que ce que nous faisons est futile. Parfois, après avoir nettoyé un endroit, on trouve de nouveaux déchets une semaine plus tard », continue-t-elle, tout en restant convaincue que sensibiliser les gens à la protection de l’environnement en veut la peine. […]

« La volonté ne manque pas, peut-être la force certaines fois », poursuit la journaliste Ivana Čogurić, pour qui ces rassemblements sont une sorte de relaxation durant le week-end. Selon elle, tout le monde peut trouver un peu de temps pour ces nettoyages, même si elle reconnaît qu’il y avait beaucoup plus de volontaires durant le confinement, car les gens avaient besoin de se défouler, d’une manière ou d’une autre. « À un moment donné, nous étions plus de 50 sur le terrain ». Derrière quelques branches apparaissent encore des bouteilles en plastique, des canettes, des pots de fleurs cassés, des couvertures, des matelas et des chaussures. « C’est triste de voir à quel point nous négligeons la nature ! », poursuit la journaliste. « Nous exigeons que les autres agissent notre place. Les institutions sont responsables de la situation, mais les citoyens également. C’est nous qui choisissons les gens que nous élisons ».

© Milica Radovanović / Kosovo 2.0.

Eco-psychologie

Cette année, le Monténégro a fêté le 30e anniversaire de la proclamation de sa Constitution, dont le premier article le définit comme « un État écologique ». À l’époque, le Parlement avait déclaré que la lutte pour la dignité humaine passait par la lutte pour la dignité de la nature. Le pays se targue ainsi d’être ainsi le premier « État écologique » au monde. « La beauté de nos paysages est en danger. En discutant avec des touristes, je prends de plus en plus conscience d’à quel point nous le dégradons et nous le polluons. Nous avons honte de la saleté sous nos ongles, mais pas lorsque nous passons devant une décharge ou que nous jetons des déchets », continue Ivana Čogurić. […] Aujourd’hui, c’est la première fois qu’Ana, 7 ans, participe à une action de nettoyage. Son oncle l’a amenée et elle a affirme avoir hâte de revenir. Nikola, huit ans, l’un des travailleurs les plus assidus, se vante de savoir ce que signifie « éco ».

Un autre bénévole, Željko Lučić, souligne qu’il ressentait autrefois le besoin de s’arrêter et de ramasser des déchets, lors de ses joggings autour du mont Trebjesa. « Mais je n’avais pas l’équipement et, d’une manière ou d’une autre, je n’arrivais pas à le faire moi-même. Maintenant, je m’engage avec plaisir. […] Je pense que le groupe que nous formons a déjà d’une certaine manière changé les mentalités, ces derniers mois. Cela se voit et se ressent ».


Cet article a été produit et publié par Kosovo 2.0. Il est republié ici avec leur permission.