Par Guillaume Balout
Comme il l’était déjà pour la consécration de l’autel de la « cathédrale nationale du Salut du peuple », alors encore en chantier, le 25 novembre 2018, le patriarche oecuménique de Constantinople Bartholomée Ier est présent ce dimanche à Bucarest celle du plus grand édifice orthodoxe du monde - du moins, tant que ce record ne lui sera pas contesté.
Haute de 127 mètres, formée de huit tours au dôme doré dans le style néo-byzantin, la cathédale de Bucarest est la plus grande du monde, dépassant même celle de Saints-Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg ou celle de Saint-Sava à Belgrade. Son iconostase de 24 mètres de long et de 18 mètres de hauteur, serti de 45 icônes peintes par Daniel Codrescu, est également la plus imposante du patrimoine orthodoxe. Au pied de l’autel, à côté de reliques des martyrs Brâncoveanu et de ceux de Niculițel, une liste de 350 000 héros roumains rappelle la dimension historique et nationale du monument.
Devant la cathédrale s’étend un vaste parvis de 11 600 m2, accueillir 23 200 fidèles pour des célébrations liturgiques en plein air, tandis qu’un vaste espace souterrain, dont l’emprise dépasse le périmètre au sol de la cathédrale, s’étend sous ce parvis. D’une capacité d’accueil de 6900 personnes. Il est destiné à des activités culturelles, catéchétiques et sociales, ainsi qu’à l’accueil d’expositions temporaires. L’édifice est consacré à l’occasion du centenaire de l’érection de l’Église orthodoxe de Roumanie au rang patriarcal, en 2025.
Quelques 2500 personnes sont invitées à la cérémonie, qui sera conduite par Bartholomée de Constantinople et le patriarche Daniel de Roumanie et s’achèvera par la lecture de l’acte de bénédiction de la cathédrale. Elle sera également suivie par plus de 8000 fidèles, sélectionnés parmi les différentes éparchies du pays et de l’étranger, depuis le parvis où elle sera projetée sur des écrans géants. La cathédrale du Salut du peuple ne sera ouverte au grand public qu’à partir de 20 heures dimanche soir.
Plus haut que le Palais du Peuple
La longue histoire de la cathédrale du Salut du peuple est étroitement mêlée aux soubresauts politiques et économiques traversés par la Roumanie depuis son indépendance. Avancée au moment de la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe roumaine en 1885, l’idée d’une grande cathédrale nationale ne prend réellement consistance qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec la formation de la Grande Roumanie. Le métropolite-primat Miron porte alors ce projet en même temps qu’il intercède auprès du patriarche de Constantinople pour l’érection de l’Église au rang patriarcal. Il obtient gain de cause le 4 février 1925. Dans les journaux de l’époque, le futur patriarche promet « l’édification d’une cathédrale monumentale dédiée au peuple roumain et destinée à être l’un des joyaux artistiques de l’Orient européen ». En 1929, il bénit un terrain à cet effet sur la butte de la Métropole, près du Palais patriarcal de Bucarest. La crise économique, la Seconde Guerre mondiale puis un régime communiste hostile à la religion empêchent la réalisation de ce projet.
Il est relancé après la chute de Nicolae Ceaușescu en 1989. La capitale roumaine n’a cependant plus rien à voir avec celle qu’elle était dans l’entre-deux-guerres, notamment après le tremblement de terre de 1977. Par défi tout autant que par pragmatisme, le lieu retenu se situe cette fois-ci au pied de la butte de l’Arsenal, en face du colossal Palais du Peuple, siège du Parlement, symbole de la mégalomanie du dictateur communiste dont la construction, dans les années 1980, a entraîné la destruction et le déplacement de plusieurs églises.
En mars 2005, Adriean Videanu, maire de Bucarest et président du Parti démocrate, cède un terrain appartenant à l’État, d’une superficie de 110 000 mètres carrés, au patriarcat de Roumanie. Alors qu’il est censé prendre la totalité des travaux à sa charge, une divine surprise va considérablement soulager sa trésorerie deux ans plus tard. Promulguée par le gouvernement libéral de Călin Popescu-Tăriceanu, une loi prévoit ainsi que « les fonds nécessaires à la construction de la cathédrale nationale seront assurés par le patriarcat de l’Église orthodoxe roumaine, par le gouvernement roumain dans la limite des sommes allouées annuellement à cette destination, et par les autorités publiques locales ». Le 29 novembre 2007, le patriarche Daniel, élu à cette fonction quelques semaines plus tôt, pose la première pierre d’un chantier qui ne débuta réellement qu’en 2011.
Bons comptes et bons amis
Les travaux avancent aussi lentement que l’argent des fidèles entre dans les caisses. Cependant, le retour des sociaux-démocrates au pouvoir, au milieu des années 2010, coïncide avec une accélération du financement de l’État et des collectivités locales qu’ils dirigent. D’après les calculs du site Europa Liberă, près de 200 millions d’euros d’argent public, dont 85 % en provenance du secrétariat d’État aux cultes, sont ainsi affectés à la construction de l’édifice entre 2016 et 2024. Les mairies des trois premiers arrondissements de Bucarest – la cathédrale du Salut du peuple se trouve pourtant dans le cinquième arrondissement – contribuent volontiers aux frais, tout comme le conseil départemental du Timiș, alors sous le contrôle de l’ancien Premier ministre Sorin Grindeanu, et celui d’Ilfov. Même la petite ville de Brazi, au nord de la capitale, apporte sa contribution.
Alors que la date prévue pour la consécration approche, le compte n’y est pourtant toujours pas. En février dernier, le patriarcat de Roumanie se tourne donc vers la mairie du deuxième arrondissement de Bucarest, dirigée par le social-démocrate Rareș Hopincă, pour lui demander une somme de 2 millions d’euros. « Le retard des travaux par manque de ressources financières, ou en raison d’une autre cause, rendrait impossible la consécration et la livraison de la cathédrale à la date programmée parce qu’elle ne remplirait pas les conditions de sécurité légalement requises », précise-t-il dans sa requête. Son mécène public, qui lui a déjà attribué une subvention de 600 000 euros en 2018, ne lui verse cette fois que 400 000 euros.
Au total, les travaux de la cathédrale du Salut du peuple auront coûté près de 270 millions d’euros dont seulement 10 % ont été couverts par les fonds propres du patriarcat de Roumanie. À l’heure où le gouvernement d’Ilie Bolojan cherche par tous les moyens à réduire le déficit budgétaire, la concrétisation de ce vieux projet apparaît en cruel décalage avec les préoccupations de la société. En octobre 2021, une enquête du site Recorder avait les occultes pratiques de financement et les juteux retours d’ascenseur : ainsi, l’entreprise d’Adriean Videanu, l’ancien maire de Bucarest qui a donné au patriarcat de Roumanie un terrain d’une valeur estimée aujourd’hui à 180 millions d’euros, a ainsi bénéficié plus tard de contrats s’élevant à 21 millions d’euros pour l’exploitation et le transport du marbre sur le chantier.









