Référendum en Slovénie : mobilisation générale pour l’eau

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Le 11 juillet, les Slovènes sont appelés à se prononcer par référendum sur une réforme qui risque de fragiliser et de privatiser les milieux aquatiques. Décrié par de nombreux experts et associations, le projet porté par le gouvernement ultraconservateur de Janez Janša a déclenché une vaste mobilisation. Reportage.

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Par Marion Roussey et Geoffrey Brossard

© Geoffrey Brossard / Hans Lucas

Cet article est publié avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll (Paris)


Mise à jour - 11 juillet, 23h : Les Slovènes ont rejeté à 86% les amendements à la loi sur la gestion de l’eau voté au printemps par le Parlement, avec un taux de participation de 45%, suffisant pour être validé.


À 19h, le rassemblement commence. Sur la place Prešeren à Ljubljana, des centaines de Slovènes se rejoignent, munis de pancartes, banderoles, sonnettes et sifflets. Au micro, plusieurs citoyens prennent la parole. Jaša Jenull, 40 ans, est l’un des porte-voix du mouvement antigouvernemental entamé à bicyclette à la fin du premier confinement pour contourner les interdictions de rassemblement. Ce directeur de théâtre est régulièrement lourdement verbalisé et menacé pour les manifestations qu’il organise chaque vendredi depuis plus de 60 semaines. En vain. « Au début, les gens ont commencé à manifester pour exprimer leur colère face aux dérives autoritaires du parti de Janez Janša », se souvient-il. « Le mouvement a vite pris de l’ampleur parce que chaque semaine, il y a une nouvelle atteinte aux droits humains, une nouvelle raison de descendre dans la rue. »

Au-dessus de la foule, Sanja Fidler et Brane Solce font danser leurs marionnettes. « Utiliser l’art et l’humour nous aide à garder la pêche et à poursuivre le mouvement », confie Sanja Fidler en souriant. Chaque vendredi depuis un an et demi, le couple d’artistes confectionne des avatars pour accompagner le cortège de manifestants. Cette fois, ils ont fabriqué des poissons géants avec du papier et des rubans de plastique bleu et blanc. Car ce 9 juillet, le thème de la manifestation est la protection de l’eau, en référence à une réforme polémique portée par le parti du Premier ministre ultraconservateur Janez Janša.

Les bords de l’eau convoités

Adopté par les députés en mars dernier, le texte modifie certaines dispositions de la législation actuelle. « Depuis 2008, la loi autorise la construction de structures à proximité des milieux aquatiques, mais uniquement dans les villages et agglomérations », explique Aljoša Petek. Selon l’avocat spécialiste de l’environnement, 18 structures ont ainsi déjà été construites près de sources d’eau, sans impact notoire pour l’environnement.

Avec la réforme, la loi autorisera désormais la construction de telles structures en milieu naturel, c’est-à-dire hors des agglomérations, dès lors qu’elles seront considérées comme étant à usage du public. « Cela comprend par exemple des parkings, des hôtels, des restaurants ou des stations-services », énumère l’avocat. Des structures moins complexes comme des aires de jeux, des entrepôts ou des bungalows pourront également être aménagées près des sources d’eau ou à la surface même de l’eau, sans avoir besoin de demander un permis de construire.

La Slovénie, qui avait érigé l’eau en bien non privatisable inscrit dans la Constitution depuis 2016, pourrait faire marche arrière et emprunter le même chemin que son voisin autrichien.

« Pour l’instant, aucun chantier de construction n’a encore démarré, mais trois projets sont déjà dans les cartons, suscitant un fort intérêt des investisseurs et des municipalités concernées », note Aljoša Petek. Selon le ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, la réforme permet de privilégier les infrastructures à usage public plutôt que les bâtiments privés et prévoit une augmentation du budget alloué aux municipalités, notamment pour faire face aux inondations.

Or, pour les défenseurs de l’environnement, ces constructions pourraient à terme restreindre le libre accès à l’eau aux seuls clients de ces structures, même si elles sont ouvertes au public. « La Slovénie, qui avait érigé l’eau en bien non privatisable inscrit dans la Constitution depuis 2016, pourrait faire marche arrière et emprunter le même chemin que son voisin autrichien », déplore Aljoša Petek, citant l’exemple du lac de Wörthersee.

La société civile, plus mobilisée que jamais

Adoptée en procédure accélérée en mars, la réforme a aussitôt déclenché une levée de boucliers du côté des associations citoyennes et des experts environnementaux qui déplorent l’absence de réelle consultation publique et alertent contre les risques de dégradation des milieux aquatiques.

En avril, 19 associations citoyennes et environnementales ont lancé une procédure de référendum d’initiative populaire. Après avoir recueilli plus de 50 000 signatures officielles en un mois, elles ont lancé une vaste campagne de sensibilisation à travers le pays. « On a vu affluer des centaines de bénévoles et on a eu le soutien de personnalités scientifiques, politiques ou juridiques qui se sont exprimées en public », note Gaja Brecelj, directrice de l’ONG environnementale Umanotera qui participe au mouvement. Du jamais vu selon elle.

Après plus d’un an de mobilisation contre la dérive autoritaire du pouvoir, la société civile slovène s’est renforcée. « On se connaît comme si on faisait partie d’une grande famille », remarque Sanja Fidler. « C’est le seul point positif de la situation », ajoute Jaša Jenull. « Janez Janša nous a réunis autour d’une même cause. S’en prendre à l’environnement, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. » Sur la place Prešeren, les manifestants se sont dirigés vers les quais qui longent la rivière Ljubljanica. Sur l’eau, des dizaines de kayakistes et paddlistes de l’association Balkan River Defence ont rejoint le rassemblement, en signe de soutien au mouvement.

Des kayakistes et paddlistes de l’association Balkan River Defence ont rejoint le rassemblement, en signe de soutien au mouvement.
© Geoffrey Brossard / Hans Lucas

À quelques jours du scrutin, la tension monte. La date du référendum, d’abord prévue pour le 4 juillet, a été repoussée d’une semaine par les autorités. Pour les associations, c’est un coup dur. « Après plus d’un an de Covid-19, la fin de l’école et l’arrivée des vacances, beaucoup de gens ont prévu de partir, analyse Gaja Brecelj. Et le gouvernement a très peu informé sur les possibilités de voter dans une autre ville slovène ou par correspondance. »

La date décalée fait partie des obstacles au vote répertoriés par le Réseau juridique pour la protection de la démocratie. Le ministère du Travail a également informé tardivement les maisons de retraite des démarches que les personnes âgées devaient suivre pour voter. En réaction, l’union des conducteurs de taxis a offert son aide pour les conduire gratuitement jusqu’aux bureaux de vote dimanche. « On a eu un long bras de fer avec le gouvernement après une loi adoptée récemment », explique Dejan Jefim, représentant de l’union des taxis de Slovénie. « On a donc voulu réagir à notre manière. » En quelques heures, une centaine de conducteurs a répondu à l’appel.

« L’eau est un bien public »
Le vendredi 9 juillet, des centaines de Slovènes ont manifesté contre la réforme de l’eau à Ljubljana.
© Geoffrey Brossard / Hans Lucas

84196 votes par anticipation, un record

Les électeurs ont aussi eu la possibilité de voter par anticipation les 6, 7 et 8 juillet. Devant l’unique bureau de vote ouvert à Ljubljana, des dizaines de bénévoles se sont relayés pendant les trois jours pour orienter les électeurs et leur rappeler l’importance de voter. « Notre mission aujourd’hui est d’expliquer qu’il ne suffit pas de venir mais qu’il faut aussi en parler aux proches pour atteindre le quorum », répète Gaja Brecelj. Car pour que le résultat du référendum soit validé, au moins 20% des inscrits doivent voter contre la réforme, soit 340 000 personnes. Selon les premiers résultats publiés par l’agence de presse publique STA, 84 196 personnes ont déjà voté par anticipation, un chiffre record depuis l’indépendance du pays.

Peu après 20h à Ljubljana, la mobilisation touche à sa fin. Les bénévoles rangent le stand pour la dernière fois avant la journée du silence électoral précédant le scrutin. Dimanche, ils regarderont ensemble les résultats et prépareront déjà la manifestation du vendredi 16 juillet. Au-delà de ce vote, beaucoup attendent déjà avec impatience les échéances électorales de 2022, avec les législatives et la présidentielle. En espérant encore une réaction des institutions européennes face à la dérive autoritaire de leur gouvernement. « Si j’avais su qu’en adhérant à l’Union européenne, Janez Janša prendrait un jour la tête du Conseil de l’UE, je ne sais pas si j’aurais voté pour l’intégration à l’UE tellement sa politique me fait honte », lâche Sanja Fidler en rangeant les avatars en forme de poisson.