Blog • Quand une âme pure et droite fait voler en éclats traditions et conventions

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« Dieu existe, son nom est Petrunya », un film de Teona Strugar Mitevska (Macédoine du Nord). Avec Zorica Nusheva, Labina Mitevska, Simeon Moni Damevski. À visionner en accès-libre du 4/8 au 2/9/2021 sur Arte+7

Amis des Balkans, courez voir, parlez autour de vous de « Dieu existe, son nom est Petrunya », de la Macédonienne Teonar Strugar Mitevska, un vrai chef-d’œuvre, actuellement dans les salles ; l’histoire toute simple d’une âme pure et droite qui bouscule des traditions désuètes et heurte de front des conventions sociales dépassées, un récit très local mais à la portée universelle, qui chante le renouveau et le changement de la vie grâce au talent de la réalisatrice. Une parabole féministe d’une force et d’une puissance rares, inspirée d’un fait réel.

Petrunya a trente ans passés. Sans compagnon, sans emploi, sans illusion, elle vit chez ses parents à Stip, une petite ville de l’est de la Macédoine du Nord, où sévit une crise économique et sociale profonde. Destin morne et étouffé. Sa mère, atroce, la taraude pour trouver un travail et l’oblige à présenter sa candidature dans une entreprise textile pour un emploi ne correspondant pas du tout à ses qualifications. Elle lui conseille de mentir sur son âge, son prénom, ses études d’histoire, de gommer sa personnalité et travestir ce qu’elle est pour plaire. L’entretien d’embauche avec un mufle de la pire espèce va être une catastrophe.

Mais la jeune femme n’en est pas affectée plus que cela, tant le fatalisme l’écrase. Elle croise par hasard des jeunes gens en maillot de bain, la bousculant joyeusement et sans ménagement. Ils participent à cette cérémonie observée chez les orthodoxes dans les Balkans et en Russie, pour célébrer l’Epiphanie en janvier, où un pope lance une croix dans les eaux glacées d’un cours d’eau. La prospérité est assurée pour l’année qui vient à celui qui la retrouvera. A celui qui la retrouvera. Car cette tradition ne concerne que les hommes. Pas les femmes. Le pope lance maladroitement la croix en bois depuis un pont, en direction des jeunes gens frigorifiés et braillant leur impatience. La trajectoire n’est sans doute pas celle prévue. Petrunya observe la scène et sans plus réfléchir que cela, semble-t-il, peut-être tout simplement amusée, pour oublier un instant la désespérance des jours, plonge tout habillée dans l’eau… et s’empare de l’objet sacré.

Stupeur, consternation, fureur même chez les jeunes mâles qui lui arrachent la croix. Ils s’indignent qu’une femme s’immisce de la sorte, en violation de toutes les traditions. Le pope a fort à faire pour obliger les jeunes à la lui rendre.

Et c’est là que la vie de Petrunya va changer, ce petit déclic dans la vie, parfois fortuit, faisant qu’elle peut parfois ne plus jamais être la même et qui va lui permettre, elle qui est méprisée, bafouée, moquée, humiliée, d’affirmer sa dignité. De s’affirmer tout court. A la faveur de la confusion générale, elle disparaît avec la croix.

L’affaire devient vite un « scandale sans précédent ». L’inattendu est insupportable dans une société très codée. Et en l’occurrence, "les règles" sont formelles. La croix doit être récupérée par un homme. On retrouve bientôt Petrunya. « Tu as violé toutes les règles », lui répète-t-on. Quelles règles ? Les autorités, qu’elles soient religieuses ou laïques, sont bien en peine de répondre, finalement très embarrassées par cette affaire hors norme qu’elles préféreraient enterrer discrètement. Intimidations, appels à la raison, menaces pour attitude « anti-patriotique », imprécations de la mère affolée à l’idée de ce que vont penser « les voisins », tout est bon pour convaincre Petrunya de rendre cette croix. Elle tient bon en dépit de l’hostilité générale, de la pression de la société, considérable, la conscience calme et sereine face à des traditions caduques et absurdes d’une société qui l’a trompée et humiliée. Seule une journaliste courageuse tente d’alerter l’opinion sur cette histoire. Un des rares sympathisants de Petrunya qu’elle interviewe a ces mots extraordinaires : « Et si Dieu était une femme ? »

On ne doit pas tout raconter tant le film est juste dans le récit du combat d’une conscience face à l’arbitraire de conventions sociales archaïques. Rien n’y est caricatural ou invraisemblable. La preuve ? Teona Strugar Mitevska confiait à la revue de cinéma Positif qu’une histoire semblable s’était produite à Stip en 2014 et que la femme concernée avait dû fuir à Londres. La réalisatrice ajoutait que beaucoup de personnes s’étaient étonnés de son envie de faire un film sur cette "folle. Elle a provoqué tant de désordre".

Il faut croire néanmoins que les mentalités évoluent. Une affaire similaire s’est produite plus récemment à Zemun, près de Belgrade, mais la femme a été applaudie lorsqu’elle a retrouvé la croix.

Quand vous irez voir ce film doté d’une dimension spirituelle discrète mais réelle, qui ne peut que toucher croyants et non-croyants, regardez bien la première et la dernière image. Elles résument tout. La première représente Petrunya au fond d’une piscine vide, debout sur une ligne droite délimitant un couloir de natation, dans une musique d’apocalypse. Symbolisme d’un destin broyé à l’avenir sans surprise. Et la dernière est celle, furtive, d’un animal sauvage, libre et fragile, suivie du titre du film. Le vrai Dieu, semble dire Teona Strugar Mitevska, sera toujours du côté des faibles et des opprimés qui se lèvent contre l’injustice.