Plusieurs initiatives documentaires approfondies tentent d’apporter un éclairage à cette question que bien peu de médias abordent. Malheureusement, la plupart d’entre eux sont encore méconnus du grand public. Nous avons souhaité rapporter et décrypter ces quelques documents qui nous amènent à rencontrer ces groupes dans leur quotidien comme les perceptions entretenues à leur égard.
Premier document à se pencher sur les conditions d’existence des demandeurs d’asile en Croatie : un court-métrage qui s’intitule « La Croatie, la fin ou le paradis sur terre » (Hrvatska, (k)raj na zemlji) . Ce programme réalisé en 2007 par Oliver Sertić est le fruit d’une coproduction entre l’association Centre for Peace Studies (Centar za Mirovne Studije - CMS) et la plateforme de production audiovisuelle Fade-In. C’est à notre connaissance le premier document filmé traitant de la problématique des demandeurs d’asile en Croatie, à une époque où le système d’asile est encore naissant.
Le film présente d’abord le mérite d’offrir une plongée dans le premier camp pour demandeurs d’asile en Croatie, fait de maisons préfabriquées qui se situaient dans le lieu-dit rural de Šašna Greda, non loin de la ville de Sisak. Il s’agit en réalité d’un ancien camp qui a servi à l’accueil de réfugiés de Bosnie , récupéré comme lieu d’hébergement de demandeurs d’asile au tournant de 2004, lorsque le système d’asile européen se met en place en Croatie.
L’ensemble du documentaire est basé sur une dialectique qui met dans la balance des témoignages de demandeurs d’asile, des déclarations d’officiels en poste à l’époque et des décryptages de membres de la société civile. Première contradiction relevée : si une responsable du Secteur Asile du ministère de l’Intérieur croate explique que les autorités croates n’ont « pas pu accorder l’asile car aucune personne n’a pour l’instant rempli les critères de la Convention de Génève », un intervenant du CMS rappelle qu’à l’époque certains demandeurs d’asile étaient originaire d’Irak ou de Sierra Leone, pays « dans lesquels le droit à la vie est pourtant menacé ». Une autre difficulté procédurale est relevée : les protagonistes se rendent dans plusieurs points-frontières et constatent que contrairement aux propos d’un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, l’accès même à la procédure d’asile semble peu garanti dans ces premiers lieux d’arrivée des migrants.
Enfin, le film nous emmène à l’intérieur du centre de rétention de Ježevo (fréquemment dénommé deportacijski centar, centre d’expulsion). Les propos du directeur du centre contrastent fortement avec les témoignages des retenus qui retracent le fonctionnement pénitentiaire du lieu.
Les journalistes indépendantes Barbara Matejčić et Nina Urumov apportent quelques éléments de compréhension sur les parcours migratoires des demandeurs d’asile dans leur court-métrage I am nobody. Ici c’est dans l’intimité des personnes, avec un plan fixe sur les mains des protagonistes, que nous découvrons l’histoire d’un objet porté tout au long des voyages des migrants : « If you have to leave your home in order to save your life, what would you take with yourself ? ». La question épineuse de l’identité est soulevée par l’un des migrants qui affirme : « Ici, je ne suis personne, I am nobody ».
Barbara Matejčić s’est également rendue au centre de rétention de Ježevo, pour y rencontrer un groupe de 66 migrants, majoritairement originaires de Syrie, mais aussi de Somalie, du Pakistan, d’Egypte et d’Afghanistan . Ces migrants sont des rescapés du naufrage, le 1er juillet 2012, du voilier Maria Drink, secouru par les gardes côtes croates à 40 milles nautiques au Sud de l’île de Mljet, en mer Adriatique. Partis de Grèce, ces hommes tentaient de rejoindre l’Italie par la mer. Leur bateau a dérivé pendant trois jours en haute mer sans que l’Italie, pays alors le plus proche, ne réponde aux appels SOS lancés depuis le voilier. C’est finalement dans le port de Dubrovnik que sera amarré le Maria Drink, avant que les migrants à bord ne soient déplacés dans le « centre d’accueil pour étrangers » de Ježevo, à 33 km à l’Est de Zagreb. Dans cette vidéo courte le message est clair : « Placez-nous dans un camp ouvert. Si vous renvoyez les gens en Grèce, ils seront sûrement en grand danger ; car ils essaieront encore sur un bateau, sur un ferry (…). Peut-être que la prochaine fois personne n’aidera et qu’ils mourront dans l’eau ».
Le film documentaire qui a rencontré la plus grande audience est certainement « Les voyageurs » (Putnici) de Tomislav Žaja . Le film présente le quotidien de quelques demandeurs d’asile et azilanti, avec pour narrateur principal Prince, un jeune migrant qui a obtenu le statut et est depuis devenu « une véritable star ». Le projet vise à présenter les cultures et modes de vie des demandeurs d’asile. Si Prince est le protagoniste du film, ce dernier nous emmène aussi dans le camp pour demandeurs d’asile de Zagreb (Hôtel Porin, Dugave) pour observer plusieurs activités qui rythment la vie des migrants qui y sont placés : cours de croate langue étrangère menés par la Croix-rouge croate, parties de ping-pong dans la salle de vie principale.
L’un des rares documents qui se penche sur la question de la coexistence avec les demandeurs d’asile provient d’une initiative d’étudiants produite par la plateforme Fade In en 2012 sous le titre « Etre différents, qui sont-ils ? » . Le film de 13 minutes s’intéresse aux opinions des habitants du quartier Dugave (au Sud de Zagreb), où se situe le camp de « l’Hôtel Porin ».
Le documentaire s’ouvre sur un micro-trottoir autour de la question ouverte : « qui sont-ils ? ». Dans un premier temps, les habitants interrogés semblent préoccupés par la question du nombre : « ils sont de plus en plus nombreux », « il y en a de façon massive », « nous ne pouvons être 320 dans le bus s’il y de la place pour 100 ». Plusieurs remarques portent sur la couleur de peau de ces nouveaux voisins, majoritairement originaires d’Afrique et du Proche Orient : « ils ne sont pas de la même couleur, ils ne sont pas comme nous », « ce sont des Noirs, des Noirs et des Jaunes », « les gens les regardent différemment car ils sont en majorité Noirs ». Quelques images nous montrent des demandeurs d’asile évoluer au sein du quartier. Individuellement, pour aller du réfectoire au bâtiment principal du camp ; en groupe, pour se rendre sur l’un des nombreux terrains de foot du quartier. Chaque habitant interrogé va de son anecdote sur les relations entretenues avec les demandeurs d’asile : « chez moi les voisins se plaignent réellement qu’ils leur prennent des choses sur le balcon », « il m’a lancé une pierre et est reparti en parlant sa langue étrange », « il a voulu offrir des gâteaux à mes petits-enfants ».
Enfin, plusieurs réactions renvoient au mode de vie en camp des demandeurs d’asile : « je pense que là où ils vivent ils ne sont pas très ordonnés », « je sais qu’ils ont trois repas par jour », « ils n’ont pas de quoi s’habiller, ils circulent en tongs y compris l’hiver ».
Les conclusions des habitants de Dugave sont diverses. Elles puisent d’abord dans des positions très tranchées sur l’indésirabilité de ces voisins : « il faudrait les expulser gentiment dans le pays d’où ils viennent », « je crois que nos enfants auront pas mal de problèmes avec eux car ils ne s’intégreront jamais dans nos vies…Vraiment je n’ai rien contre eux mais je ne suis pas pour qu’ils restent ». D’autres remarques, toutefois, invitent à davantage d’optimisme sur la nature des relations futures : « je les vois comme des voyageurs », « ils sont sympathiques », « je trouve ça bien, on n’est pas seuls », « les gens viennent la faim au ventre, moi aussi je suis venu de Bosnie-Herzégovine car j’ai été obligé de venir, là-bas je n’avais pas de travail, je ne pouvais pas vivre »…