Blog • Anne Applebaum, Ana Blandiana : la réaction vient de l’Est

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« La lumière vient de l’Est » disait-on à propos de l’URSS dans les années qui ont suivi la mise en place des démocraties populaires. D’aucuns s’en souviennent en rigolant. Cependant, c’est le plus sérieusement du monde que je dirais aujourd’hui : « La réaction vient de l’Est », pour caractériser le climat politique qui prévaut en Europe. Deux lectures m’y ont conduit, celle du Rideau de fer de l’Américano-Polonaise Anne Applebaum et la récente charge de la poétesse roumaine Ana Blandiana contre l’Occident en raison de l’accueil réservé aux réfugiés du Proche-Orient.

Ana Blandiana à l’Université Babeș-Bolyai, le 24 mars

« La lumière vient de l’Est ! », se targuaient volontiers les apprentis dictateurs communistes installés au pouvoir en Roumanie, en Hongrie ou en Pologne dans la foulée de l’avancée de l’Armée rouge vers l’ouest. Ils le faisaient à la fois pour exprimer leur reconnaissance à la patrie du socialisme et pour stigmatiser les ennemis du progrès, les réactionnaires et autres revanchards de l’Ouest dont la défaite était annoncée comme imminente. Certains se sont laissés éblouir par le nouveau credo, dans un premier temps tout au moins.

Pour d’autres, en revanche, la Russie c’était l’autocratie, la violence, le fanatisme, le manque de respect pour l’individu, etc., et la suite allait confirmer certains de leurs soupçons. Sans doute les différends historiques avec le grand voisin de l’Est, dans certains cas, et surtout la mauvaise réputation, pas toujours justifiée, de la Russie et les sentiments nationalistes dont étaient empreintes les populations des pays dits désormais "de l’Est", seront pour beaucoup dans la méfiance à l’égard des porteurs de la soi-disant bonne nouvelle. Mais il y avait aussi toutes ces gens qui partageaient les idées socialistes portées encore la veille de l’instauration des démocraties populaires par des formations politiques et des courants d’idées social-démocrates, communistes critiques, libertaires et même agrariennes parfois, ou encore toutes ces gens qui étaient a priori ouvertes à ces idées, donc au départ sensibles aux programmes annoncés par les communistes.

Toutes ces gens n’allaient pas tarder d’éprouver la même méfiance puis aversion, doublées d’un sentiment d’impuissance. Les idées socialistes venaient bel et bien de l’Ouest, de France, d’Angleterre ou d’Allemagne avant de passer par la Russie pouvait-on objecter. Mais à quoi bon, dans le climat de terreur de l’époque. Toujours est-il que, si les choses allaient quelque peu changer surtout après la mort de Staline, le discours de Khrouchtchev en 1956 et l’émancipation progressive de leurs protégés communistes à la tête des pays de l’Est, en quête d’assises nationales, l’expression « la lumière vient de l’Est » devenait petit à petit plutôt un objet de dérision rappelant une époque révolue, dite aussi stalinienne. Révolue, cette époque ne laissera pas moins des traces : il n’y a qu’à voir l’état précaire dans lequel se retrouve aujourd’hui la gauche non ex-communiste sur l’échiquier politique des anciens pays de l’Est pour en mesurer les dégâts.

En tout cas, moi, cette expression me fait rigoler encore aujourd’hui et, c’est en la paraphrasant, que je dirais le plus sérieusement du monde que « La réaction vient de l’Est » pour caractériser la situation en Europe dans la conjoncture actuelle. Deux lectures m’y ont conduit, celle du Rideau de fer : l’Europe de l’Est écrasée 1944-1956, d’Anne Applebaum paru en 2012, dont la traduction française est maintenant disponible en poche, et le discours de la poétesse roumaine Ana Blandiana prononcé jeudi 24 mars à Cluj-Napoca dans lequel elle dénonce, à l’occasion de la crise ouverte par l’arrivée des réfugiés du Moyen-Orient, la responsabilité de l’Occident dans le processus qui mène selon elle à sa propre destruction.

Avec le livre de A. Applebaum nous en sommes à une énième tentative se proposant de nous éclairer sur l’instauration, la vie et la fin des régimes communistes, ainsi que sur le nouveau monde qui a émergé sur leurs ruines. Dans ce domaine, la soviétologie et l’historiographie nord-américaines ne sont pas à une révolution près : en effet, les versions les plus contradictoires se sont succédé, de l’anticommunisme maccartiste aux éloges les plus inconditionnels rendus encore récemment par certains auteurs d’inspiration marxiste en passant par les observations lucides et pondérées d’auteurs tels que Hanna Arendt, dans ses écrits au USA sur le totalitarisme. En soi, l’idée de revenir sur cette période clef, 1945-1956, à partir des documents et témoignages disponibles ces derniers temps grâce notamment à l’ouverture des archives, était très bonne. On cherchera cependant en vain des éclairages nouveaux, à partir de documents inédits, dans ce livre qui se présente comme une reconstitution des problèmes récurrents qui pesaient sur la vie quotidienne des sociétés « de l’Est », en Europe centrale surtout et notamment de Pologne. Autant l’empathie manifestée par l’auteure au fil de son récit est stimulante et donne force au récit, autant ses conclusions sont d’un simplisme et d’un manichéisme déroutant, qu’il s’agisse de l’évaluation de la situation pendant la période analysée comme des solutions envisagées pour réparer les « dommages infligés à la civilisation » (p. 789) par les régimes communistes.

Quelques exemples. « Or, s’il y avait bien une certaine croissance, elle ne fut jamais aussi forte que la propagande le voulait » (p. 784) écrit-elle à propos de l’économie, se faisant par ailleurs l’écho du désarroi des dirigeants communistes devant les résultats « si médiocres » en matière d’économie (p. 781). Les associations surprennent souvent : « La Pologne de Gomulka… ne tarda pas à se scléroser pour devenir conservatrice et, finalement, antisémite » ou encore « Les distances prises par la Yougoslavie et la Roumanie vis-à-vis du bloc soviétique (…) ne furent pas nécessairement significatives » (p. 782).

Une success story postcommuniste aux relents staliniens

« Reste que ces régimes peuvent faire et ont fait beaucoup de dégâts. Dans leur marche au pouvoir, les bolcheviks, leurs acolytes est-européens et leurs imitateurs plus lointains [du tiers-monde] ont attaqué non seulement leurs adversaires politiques mais aussi les paysans, les prêtres, les instituteurs, les marchands, mes journalistes, les écrivains, les petits entrepreneurs, les étudiants et les artistes, sans oublier les institutions que ces gens avaient construites et perpétuées. » (p. 788) Et les ouvriers dans tout cela ? Si cette absence a de quoi intriguer, la présentation de l’une de ces institutions attaquée par les communistes dans l’introduction puis dans la conclusion du livre ne laisse pas l’ombre d’un doute sur la vision de l’auteure.

A la fin de la guerre, en 1945, comme en 1925 et 1935, des anciennes membres de Liga Kobiet, la Ligue des femmes polonaises, organisation caritative et patriotique créée en 1915, se mirent au travail pour secourir les sans-abris, les mères et leurs enfants, écrit-elle en guise de préambule (p. 22). Cinq ans après, la Ligue est devenue bel et bien la section féminine du PC polonais. Politisée, cette institution changera du tout au tout (p. 23). Dans les dernières pages du livre, dans la partie intitulée Épilogue, A. Applebaum reprend le fil de son histoire de la Ligue. Moribonde en 1989, elle s’effondra peu après. A la fin des années 1990, un groupe de femmes de Lodz décida qu’un certain nombre de fonctions pour lesquelles la Ligue avait été initialement conçue demeureraient nécessaires. Aussi la Ligue commença-t-elle "une troisième vie". Des centres d’aide juridique furent ouverts, des aides aux chômeuses, aux alcooliques, aux mères célibataires furent accordées. La Ligue démarcha avec succès des patrons, les dons commencèrent à arriver une fois la période de restructuration économique achevée, en 2006, elle devint un organisme de charité dûment homologué. La conclusion est sans appel :

« Si la nouvelle Ligue des femmes a réussi, s’est en partie que ses dirigeantes, comme d’autres en Pologne, étaient avides de copier les modèles ouest-européens. (…) Le droit polonais leur faisait désormais une place, et la classe politique s’en félicita, comme elle se félicita des écoles indépendantes, des entreprises privées et des partis politiques. (…) De fait, la Ligue moderne des femmes polonaises avait besoin non seulement de volontaires énergiques et patriotes, mais aussi d’un système juridique intact, d’un système économique qui marche et d’un système politique démocratique sain » (789-791).

Inutile de s’attarder sur cette success story racontée sur un ton qui rappelle celui des encenseurs de l’époque communiste lorsque le parti unique savait se donner des moyens encore plus efficaces pour mobiliser les « volontaires énergiques et patriotes ». Somme toute, la position de Applebaum n’a rien d’original. Il y a cependant autre chose qui particularise sa démarche et qui semble contribuer au succès de son livre et de la thèse qu’elle avance. Son CV, rappelé par l’éditeur, est révélateur sur ce point : née en 1964 à Washington, cette ancienne correspondante de The Economist, vit depuis 1988 en Pologne. Citoyenne nord-américaine et polonaise, elle a reçu le prix Pulitzer pour Goulag, une histoire en 2003. Ce ne n’est donc pas depuis les États-Unis et au nom des États-Unis, mais depuis un ancien pays de l’Est, la Pologne, et en son nom qu’elle formule son message néolibéral s’inscrivant dans la lignée des idéologues néoconservateurs. Décidément, émis depuis l’Est, ce message a davantage de chances d’être entendu.

L’Histoire comme avenir, selon Ana Blandiana

Le récent discours de la poétesse roumaine Ana Blandiana illustre l’autre face, plus authentique, certes, parce que « du cru », mais aussi plus naïve et ainsi plus caricaturale, de « la réaction qui vient de l’Est ». A regarder de près, le pessimisme qui se dégage de sa vision du monde actuel n’est guère incompatible avec l’optimisme dont fait preuve la journaliste et historienne nord-américaine ayant élu résidence dans un pays de l’Est.
Née en 1942, très appréciée en Roumanie pour ses poésies depuis les années 1960, A. Blandiana, dont le père, prêtre, a été emprisonné sous les communistes, s’est engagée en politique après 1989, d’abord au sein d’une formation se réclamant de la société civile (Alianţa civică) qui allait être marginalisée par la suite, puis dans le cadre du Mémorial de la résistance et des victimes du communisme de Sighetul Marmaţiei. Sa prestation à l’Université Babeș-Bolyai était intitulée « L’Histoire comme avenir ».

En voici quelques extraits, dans l’ordre dans lequel ils figurent dans sa prestation.
« Ce n’est un secret pour personne que notre époque ressemble à celle de l’Empire romain. Même air de fin de saison, de pouvoir, de monde. Les Romains ne croyaient plus à leurs propres dieux, et ne savaient plus qui ils étaient, perdus dans la multitude de dieux empruntés à ceux des peuples qu’ils venaient de conquérir. (…) Aujourd’hui 50 % de la population de Londres n’est pas anglaise, dans les banlieues de Paris ou de Rotterdam on se demande si on est encore en Europe. Au cours de l’antiquité comme aujourd’hui, les conquis finissent par devenir des conquérants, les anciennes colonies occupent petit à petit le centre qu’ils réussissent à dissoudre par une subtile subversion… » (…)

« Il est évident que, dans l’implacable choc des civilisations, l’Europe perd à vue d’œil. Par manque non pas de ressources, mais de croyance. Et je ne me réfère pas seulement à la croyance en Dieu – bien que ce soit également de cela qu’il s’agit -, mais purement et simplement au pouvoir de croire en quoi que ce soit. Le corps-à-corps entre quelqu’un qui croit avec détermination dans la vérité de sa croyance, aussi aberrante fût-elle, et celui qui doute de la vérité de ses idéaux, aussi étincelants fussent-ils, finira par la victoire du premier. » (…)

« Là où il n’y a pas de devoir, il n’y a pas de droit, disait Carol Ier [roi de Roumanie], et là où il n’y a pas d’ordre, il n’y a pas de liberté. » Une fois l’ordre européen brisé sous les pas des millions d’émigrants, la liberté de l’Europe ne sera plus qu’une forme dangereuse avec un fond quasi-inexistant » (…)

« "Une fois président, m’a avoué Walesa, j’ai découvert que la liberté profite davantage au mal qu’au bien". Et je ne peux m’empêcher de considérer que ce genre de conclusion s’explique par le fait que les pays membres de l’UE qui sont passés par l’expérience traumatisante du communisme sont plus réticents, plus suspicieux, plus sceptiques que leurs collègues occidentaux avec leur politiquement correct appris par cœur depuis des décennies… » (…)

« Le fait qu’ils [les nouveaux venus] suscitent notre compassion ne devrait pas nous empêcher de nous en inquiéter. Dans des conditions plus ou moins similaires, l’Empire byzantin comme l’Empire romain d’Occident ont payé des tributs aux peuples qui glissaient vers eux, réussissant à les arrêter aux limes, retardant de quelques centaines d’années la marche implacable de l’histoire. Mais, à force de censurer notre histoire, nous ne la connaissons plus. » (…)
"Si nous acceptons l’idée que l’actuelle période historique ressemble à celle de l’écroulement de l’Empire romain, alors nous pouvons accepter aussi la lutte pour les droits de l’homme de nos jours représente ce que le christianisme a pu représenter dans l’écroulement de l’autre. (…) Quasi-religion et plus que politique, le politiquement correct a fait passer les droits de l’homme de la condition de croyance à celle de dogme… Dans ces conditions, selon la Charte des droits de l’homme, l’Europe devrait recevoir tout le monde. » (…)

« La laborieuse construction du XIXe siècle qui a conféré cohésion et sens aux États nationaux a été soumise à l’action corrosive de la démythisation et de la déconstruction afin d’ériger, sur le terrain dévasté un autre édifice, la dictature mondiale du prolétariat hier, ou le village planétaire aujourd’hui. (…) Les victimes sont les mêmes : la tradition, la fierté de l’héritage des ancêtres, la solidarité avec ta lignée [neam], la lignée étant tout à la fois peuple, don et famille. » (…)

« Plus dangereux que le terrorisme pour la définition et la survie de l’Europe est le bagage spirituel et culturel que nous amènent les nouveaux venus et qui – par l’application des libertés européenne et le déséquilibre démographique - remplacera la culture et la spiritualité européenne. » (…)

« Notre chance, la nôtre et celle de l’Europe, est de nous défendre par la culture, pour nous sauver à travers elle. La résistance par la culture, efficiente dans l’absence de la liberté, est encore plus nécessaire aujourd’hui, dans cette overdose de liberté, quand elle n’est plus seulement un moyen de sauver les poètes, mais le but même de sauver la civilisation. Ne l’oublions pas, les poètes ne sont pas les créateurs du monde où ils vivent. Si le monde avait été créé par les poètes, il aurait été bien différent. »

Le nouveau désordre réactionnaire

Les larges extraits qui précèdent ont été choisis en sorte de ne pas « enfoncer » leur auteure, afin que le lecteur puisse se faire une idée assez précise de ce discours particulièrement déshonorant pour les poètes, qui reprend le poncifs de la pensée réactionnaire la plus éculée.

A. Applebaum et A. Blandiana ont en commun l’idée que le communisme a sapé la civilisation mais que cette dernière a malgré tout survécu à la chute du premier : en Pologne, parce qu’elle était déjà bien implantée, en tout cas en comparaison avec la Russie, selon A. Applebaum, et dans un pays comme la Roumanie, grâce à la « résistance par la culture ». Les positions qu’elles défendent et les discours qu’elles tiennent à partir de ces constats se retrouvent en porte à faux à plusieurs égards. Pour des raisons qui tiennent moins au passéisme (Avant c’était mieux !) qu’à l’aggravation effective des différences entre les gagnants et les laissés-pour-compte de la dynamique postcommuniste et de la montée du sentiment d’insécurité, on assiste à l’Est à une redécouverte de certaines « vertus » de l’ancien système qui leur apparaît rétrospectivement comme ayant été plus à même de leur assurer la stabilité et la protection à laquelle une bonne partie de la population aspire aujourd’hui. Il ne s’agit pas là d’une volonté de retour au système précédent. En réalité, nombre de ressortissants polonais, et de tout autre pays de l’Est, ne voient pas d’un mauvais œil la critique, même véhémente, du régime communiste, surtout si cela leur donne l’occasion d’endosser l’habit de victimes de l’histoire, mais cela ne les conduit pas pour autant à accepter au nom de cette critique le cours actuel des choses. Autrement dit, rares sont ceux qui iraient jusqu’à partager l’enthousiasme dont fait preuve A. Appelbaum.

Le « résistance par la culture » des intellectuels roumains à l’époque Ceauşescu est la notion qui sous-tend, en suggérant la possibilité d’un « salut », le discours catastrophiste de A. Blandiana. Mais, si elle y croit, cela n’empêche que cette notion avancée pendant les dernières années du communisme ait perdu toute crédibilité après 1989 en Roumanie. De ce point de vue, A. Blandiana demeure une marginale dans le paysage roumain de la même façon que la ferme conviction que les pays de l’Est sont sur la bonne voie depuis la chute du communisme en copiant l’Occident se fait de plus en plus rare à l’Est. C’est dire les limites de l’audience que pourraient avoir tant la conviction politique de A. Applebaum que les convictions morales affichées par A. Blandiana. En revanche, l’une comme l’autre constituent d’excellents vecteurs pour la promotion de valeurs réactionnaires dans le sens le plus propre du terme. Et, là dessus, elles sont en phase avec des tendances lourdes à l’œuvre à l’Est révélées récemment par les succès électoraux des formations de droite populiste dans la plupart de ces pays et la levée des boucliers de l’opinion publique et souvent des autorités politiques contre l’accueil des réfugiés.

A noter que ces formations politiques l’ont emporté justement dans les pays qui étaient les plus avancés en matière d’engagement sur la voie occidentale : la Hongrie d’abord, la Pologne ensuite. Les partis au pouvoir dans des pays comme la Roumanie, mais aussi la Bulgarie ou ceux issus de l’ancienne Fédération yougoslave, soucieux de consolider l’encrage au sein de l’UE ou désireux d’y entrer, sont plus prudents de ce point de vue. En revanche, leurs opinions publique n’échappent pas à la tendance générale.
Enfin, pour compléter ce bref tableau de la réaction à l’Est, il convient de rappeler le retour en grâce d’un Poutine dont le discours peu soucieux des règles démocratiques et prônant les valeurs traditionnelles trouve un écho croissant auprès des opinions publiques des anciens « pays de l’Est » et même parmi ses dirigeants, en Hongrie notamment. Autant dire que la configuration politique de la réaction qui pointe à l’Est est multiple et contradictoire.

PS L’allocution d’Ana Blandiana a provoqué peu de commentaires dans la semaine qui a suivi, les titres de la presse roumaine se contentant de reprendre à la une ses propos alarmistes ou provocateurs. Force est de conclure que ce discours est assez représentatif de l’idée que se font nombre de Roumains de nos jours de l’Europe, même s’il doit être perçu comme assez gênant par certains intellectuels soucieux de sauver les apparences.

A signaler cependant la « Lettre ouverte à Ana Blandiana » signée par une de ses élèves à Sighetul Marmaţiei, Claudia Ciobanu, postée sur Facebook le 26 mars.
L’auteure s’insurge contre le mépris affiché par A. Blandiana à l’égard des réfugiés et des musulmans considérés comme un tout, mais, à force de prendre systématiquement le contrepied des affirmations de A. Blandiana, C. Ciobanu laisse peu de place à un débat circonstancié : « Comme c’est triste et douloureux de découvrir tant de clichés orientalistes dans vos propos cités plus haut ! En quoi consiste l’esprit médiéval que vous mentionnez ? Vous pensez, peut-être, à l’attitude envers les femmes manifestée par exemple lors des attaques de Köln ? Le patriarcat (nous sommes certains que vous le savez) n’a certainement pas été apporté en Europe par des immigrés musulmans ! Dans notre Roumanie chrétienne nous connaissons trop de femmes battues par leurs maris et nous n’en connaissons aucune qui n’ait pas été jusqu’à présent harcelée ! »

Pour ce qui est des réactions précédentes au traitement nauséabond par l’opinion publique en Roumanie de la question des réfugiés cf. le blog de Dan Ionescu : « Ne serait-il pas plus simple de les fusiller tous ? » traduit il y a six mois dans le Courrier des Balkans.

Précision : Depuis la rédaction de cet article, la lettre ouverte de C. Ciobanu a été reprise le 27 mars sur Vox publica, plateforme de commentaires, blogs et opinions de RealitateaTV qui a publié deux jours après un article de Costi Rogozanu sur le même thème intitulé "Ce qui est resté de la dissidence anticommuniste"
"En réalité - écrit ce dernier en référence à ceux qui incarnent à ses yeux la « dissidence anticommuniste » ou encore l’« anticommunisme de salon », tels Ana Blandiana et Lech Walesa – ils combattent le socialisme, crainte suprême, thème obsédant y compris pendant l’entre-deux-guerres."
C. Rogozanu est coauteur du livre paru en 2009 aux éditions Cartier de Chişinău L’illusion de l’anticommunisme recensé dans le Courrier des Balkans.