Serbie : une loi modèle pour protéger les lanceurs d’alerte

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La Serbie est souvent épinglée pour des atteintes envers les journalistes et la liberté de la presse. Par contre, le pays a adopté en 2014 une loi sur la protection des whistleblowers, les lanceurs d’alerte, considérée comme l’une des meilleures au monde. Et qui donne des résultats concrets.

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D.R.

En Serbie, la loi sur la protection des lanceurs d’alerte est entrée en vigueur au début de l’année 2015, ce qui représente en soi une victoire. Mais encore faut-il que celle-ci permette effectivement de sanctionner les faits dénoncés. « La loi est conçue pour garantir aux lanceurs d’alerte la plus grande protection possible, mais elle peut être interprétée autrement que ce qu’avait imaginé le législateur », reconnaît Dragana Matović, avocate et rédactrice du site Pištaljka, qui publie des enquêtes sur la corruption, ainsi que des articles sur les droits et la protection des lanceurs d’alerte.

Le site a analysé les deux premières années de l’application de la loi et mis en évidence certaines incongruités, dues à l’organisation même du système judiciaire serbe et en particulier à celle des tribunaux. L’avocate rappelle des problèmes toujours irrésolus : les frais de justice pour les lanceurs d’alerte, le manque de formation des juges et des agents recueillant les dépositions, eux aussi soumis à des pressions lorsqu’ils font leur travail consciencieusement, des sanctions pas toujours appliquées contre les auteurs de corruption.

Pištaljka est le seul centre d’assistance légale aux lanceurs d’alertes dans les Balkans et le site est impliqué dans des dizaines de procédures pénales, en plus d’offrir des conseils juridiques aux citoyens qui veulent connaître leurs droits dans le cas où ils signaleraient des faits illicites dans le secteur de la santé, de l’éducation ou de l’administration publique.

Des résultats qui dépassent toutes les attentes

La loi sur la protection des lanceurs d’alerte a été approuvée en novembre 2014 par le Parlement, et elle est entrée en vigueur en juin 2015. Selon Dragomir Milojević, président de la Cour Suprême, les résultats des premières années d’application ont dépassé toutes les attentes : la loi est efficace et elle pousse les pouvoirs publics à prendre au sérieux la protection des lanceurs d’alerte. Selon lui, le seul point faible est que les décisions de justice ne sont pas toujours respectées. Il suggère donc des sanctions plus importantes pour prévenir les violations prévues par la loi et surtout pour le non respect des condamnations en faveur des lanceurs d’alerte. Il préconise également un mécanisme pouvant protéger ces femmes et ces hommes des mesures de rétorsions de leurs employeurs. Ces derniers devraient pouvoir être poursuivis pénalement.

Selon les données de la Cour Suprême, entre l’entrée en vigueur de la loi et le 30 juin 2017, 427 procédures pénales relatives aux lanceurs d’alerte ont été engagées, dont 364 ont été jugées. La loi serbe est considérée comme un « modèle » par beaucoup d’experts, notamment américains, comme Tom Devine, un spécialiste qui a collaboré durant des années avec l’un des plus fameux lanceur d’alerte du monde, l’ancien policier new-yorkais Frank Serpico. Tom Devine dirige une organisation dédiée à la protection des lanceurs d’alerte et il a participé en tant que consultant à l’élaboration de la loi serbe.

Dragana Matović souligne que la législation serbe est même citée en exemple dans les conférences internationales consacrées aux lanceurs d’alerte, car elle n’évoque pas la notion de la « bonne foi ». Pour elle, les « motivations des lanceurs d’alerte ne devraient pas être suspectées si ce qu’ils dénoncent est vrai ». Elle rappelle ainsi que la loi n’a pas retenu le désir de certains juristes serbes d’introduire des sanctions à l’encontre des lanceurs d’alerte qui abuseraient de la loi ou dont les faits révélés seraient faux. « De telles menaces révèlent une incompréhension totale de la démarche des lanceurs d’alerte », souligne l’avocate.

Des statistiques impressionnantes

Les enquêtes menées par Pištaljka montrent cependant que certains tribunaux serbes ne respectent pas le délai de huit jours imposé par la loi pour se prononcer sur la protection des lanceurs d’alerte. Les délais vont de sept à huit jours pour les meilleurs (à Požarevac et Subotica), voire même de quatre jours seulement pour le champion, le tribunal de Pančevo, mais ils sont de 72 voire 82 jours pour ceux de Leskovac ou de Kragujevac. À Belgrade, Zaječar et Novi Sad, il faut compter une trentaine de jours.

40% des demandes parvenues aux tribunaux ont été acceptées, 20% rejetées et 39% n’ont pas été examinées. Dragana Matović souligne que la mesure de protection provisoire est l’un des instruments les plus efficaces mis à la disposition des juges pour protéger les lanceurs d’alerte des risques de représailles, en garantissant leur réintégration à leur poste de travail en cas de licenciement abusif. Il suffit que le lanceur d’alerte démontre, mais pas qu’il prouve, que le licenciement est survenu après qu’il ait signalé des faits délictueux. Une disposition innovante et particulièrement efficace pour éviter tout retour de bâton. Les experts de Pištaljka considèrent toutefois que le véritable épilogue des affaires judiciaires de ce genre n’arrivera qu’avec la condamnation des responsables des faits illicites dénoncés.

Selon les données recueillies par le portail, sept lanceurs d’alerte sur dix sont des hommes, les trois-quarts d’entre eux des fonctionnaires. 42% des faits dénoncés concernent des abus de pouvoir, 22% des pratiques de corruption et 15% des violations des droits de la personne. Les irrégularités signalées ont lieu dans le secteur économique (19%), dans l’administration publique (16%), l’éducation (14%), la justice (11%) et la police (11%). Les faits ont été signalés aux diverses inspections (22%), aux instances internes (18%) et à l’Agence de la lutte contre la corruption ou aux tribunaux et au Parquet (13%). Près de 40% des procédures démarrées finissent devant la Cour d’Appel de Belgrade. La cour Suprême affirme que 1100 juges et près de 200 consultants techniques ont reçu une formation sur l’application de la Loi sur la protection des lanceurs d’alerte.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.