Journal scolaire • Bulgarie : Hanoucca, la fête des lumières et du partage en temps de pandémie

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Mi-décembre 2020, en plein confinement en Bulgarie, les Juifs de Sofia ont célébré Hanoucca en souvenir du miracle de la fiole du Temple de Jérusalem. Malgré la pandémie et les masques obligatoires, l’amour du prochain et la joie de vivre étaient au rendez-vous.

Par Katerina Lyubenova et Nicole Ilieva (Lycée Alphonse-de-Lamartine, Sofia)

La synagogue de Sofia
© CdB / Katerina Lyubenova

Ce reportage sur la mémoire des Juifs des Balkans a été réalisé à l’occasion d’ateliers de journalisme sur le thème du vivre-ensemble, organisés à distance dans des lycées francophones par Le Courrier des Balkans avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Hanoucca, « la cérémonie des lumières », est une fête religieuse, mais à la différence des autres, ses jours ne sont pas fériés. À la tombée du jour, les familles allument un chandelier posé près de la fenêtre pour « offrir » la lumière aux passants. Chaque soir pendant huit jours, on voit briller la flamme d’une nouvelle bougie. Mais Hanoucca, c’est aussi la fête des enfants : l’occasion de manger des petits gâteaux et de recevoir plein de cadeaux.

Les années précédentes, le début de la fête était célébré à la fois dans la synagogue et sur la place Battenberg, dans le centre-ville de Sofia, où la communauté juive, qui compte actuellement environ 3000 membres à Sofia et entre 3500 et 4000 en Bulgarie, allume une hanoukia (un chandelier à neuf branches) électrique. Dans la synagogue, les femmes sont assises à droite et les hommes, la tête coiffée d’une kippa, à gauche. Dans le vestibule, une table est couverte de plats traditionnels, comme les latkes (crêpes de pommes de terre) ou encore des beignets sucrés… « Lors de la dernière fête de Hanoucca à laquelle j’ai assisté à la synagogue, la femme la plus âgée de la communauté, Sophie Danone, 98 ans, a allumé la hanoukia. La célébration était magnifique ! », se souvient Ivanka Gezenko, experte aux Archives centrales de l’État.

Mais cette année, la pandémie a bouleversé la fête. Le 18 décembre 2020, le huitième jour de Hanoucca, l’allumage de la dernière bougie a été retransmis en direct sur Internet depuis la synagogue. Parmi les invités, le nez et la bouche couverts d’un masque obligatoire, on devinait les visages de médecins, de journalistes, d’infirmiers... Après la cérémonie, le public virtuel a pu applaudir l’un des « chouchous » de la communauté juive en Bulgarie, le chanteur pop Stéphane Valdobrev, dont le concert a été lui aussi retransmis en direct sur la Toile.

Mouvement de charité

« Cette année, la charité a joué un rôle important dans les célébrations », explique Mihailina Pavlova, une journaliste de La Estreya, le premier magazine bulgare consacré à la culture juive. « Les bénévoles de la communauté ont rendu visite à des personnes âgées dans tout le pays en leur apportant des plats traditionnels, mais aussi un calendrier appelé ora (or en hébreu signifie « lumière »), un livre de recettes, des instructions pour fabriquer la hanoukia et une toupie traditionnelle. Le calendrier se compose de petites boîtes. Dans chacune d’elles est écrit ce que la personne doit faire tel jour, par exemple appeler un ami ou lire un livre. »

Détail de la synagogue de Sofia
© CdB / Katerina Lyubenova

En signe de reconnaissance symbolique à l’égard des médecins et des infirmières en première ligne contre le coronavirus, des repas chauds ont été préparés et livrés deux semaines durant à l’hôpital Pirogov et à l’Académie de médecine, raconte Jeki Assa, ancien professeur de chimie à l’Académie bulgare des Sciences. Quant aux enfants, comme chaque année, ils ont reçu des pièces de monnaie en chocolat. Ils ont aussi joué à la toupie sur laquelle un message est écrit : « Un grand miracle s’est produit là-bas ».

Là-bas, c’est-à-dire en Israël. À l’époque de la domination des Séleucides en Judée, il était interdit aux Juifs de vivre selon les lois de la Torah. Menés par Judas Maccabée, les Juifs se sont révoltés et, en dépit de leur petit nombre, ont vaincu les forces syriennes hellénistiques. Lorsqu’ils sont entrés dans le Temple profané de Jérusalem, au moment de rallumer le chandelier, ils n’ont trouvé qu’une petite fiole d’huile consacrée qui ne devait pas suffire plus d’un jour. C’est alors que le « miracle » s’est produit : la lumière est restée éclairée huit jours durant, le temps qu’il fallait pour préparer une nouvelle huile consacrée. Aujourd’hui, en souvenir de ce miracle, les enfants mettent de l’huile d’olive et des épices dans des petites bouteilles de verre.

Gâteaux, desserts et sucreries

Natasha Kolevska, traductrice du français de pièces de théâtre, comme Ma femme est folle de Jean Barbier ou Le carton de Clément Michel, appartient, selon ses termes, à une « génération d’athées » qui remonte à l’époque du socialisme, lorsque les religions étaient considérées comme l’« opium du peuple ». Pour elle, Hanoucca est plus intéressante en tant que légende que fête religieuse. Tout ce qu’elle sait de la religion juive lui vient des récits que sa grand-mère lui contait. Comme la plupart des Juifs bulgares, Natasha descend des Séfarades venus d’Espagne à la fin du XVe siècle, fuyant les persécutions d’Isabelle de Castille. Ils parlaient le ladino ou le « judéo-espagnol », une langue qui a presque disparu aujourd’hui en Bulgarie, mais que nous pouvons toujours entendre dans une chanson qui célèbre Hanoucca, Ocho kandelikas para mi (« Huit petites bougies pour moi »).

La synagogue de Sofia hier...
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... et aujourd’hui
© CdB / Katerina Lyubenova

À la différence des Séfarades, venus du Sud-Ouest de l’Europe et qui se sont installés dans les Balkans où ils ont été accueillis au sein de l’empire ottoman, les Ashkénazes, la deuxième communauté juive du pays, sont originaires des pays germaniques, des pays slaves et d’Europe du Nord… Le terme « ashkénaze » est dérivé d’Ashkénazia, « Allemagne » en yiddish. Leur langue est un mélange d’une variété d’allemand, d’hébreu et de langues slaves, comme le polonais ou le russe. Selon Natasha Kolevska, une autre différence entre les deux communautés, outre l’origine et la langue, est la nourriture : « Par exemple, les Séfarades préparent le halva à base de semoule, ainsi que des mekicis, des petites boulettes de pâtes aplaties et frites dans l’huile, tandis que les Ashkénazes font frire des beignets et des galettes de pommes de terre ».

« Cette année, comme tout le monde, nous avons célébré Hanoucca chez nous, à la maison », poursuit Natasha Kolevska. « J’ai préparé du halva à la semoule, comme c’est la tradition en Bulgarie du Sud-Est. En parlant avec ma cousine qui habite en Israël, j’ai appris qu’elle en avait faits elle aussi ! Et puis, il y a eu ce petit moment de plaisir partagé, quand la femme de l’ambassadeur d’Israël à Sofia nous a fait savoir qu’elle avait cuisiné des galettes de pommes de terre et préparé un strudel. Pendant huit jours, on se régale de gâteaux, de desserts, de sucreries... » Hanoucca, une fête joyeuse, pour les petits comme pour les grands.