Blog • Quelle image de l’Europe et quelle citoyenneté ? L’Europe des échanges

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L’image de l’Europe est en train de changer, cela se voit si on participe à des échanges où beaucoup de choses bougent : langue véhiculaire de référence, taux de participation aux programmes d’échanges et esprit qui s’y développe, etc. Tout a changé dans les vingt-cinq dernières années.

C’est comme si des nouvelles forces centrifuges ont eu le dessus par rapport aux forces centripèdes qui, il y a encore vingt-cinq ans, déterminaient les mouvements à l’intérieur de l’Union européenne, du moins de ceux et de celles qui bougeaient pour exprimer le droit à la libre circulation. Des nouveaux Européens optent pour cette possibilité et apportent leurs particularités nationales à la culture de l’échange.

En 2017, le programme Erasmus a soufflé ses trente bougies. Personnellement, j’ai eu l’occasion d’en bénéficier à Toulouse. J’ai aussi participé à des célébrations de cet anniversaire et je peux dire que l’Europe des échanges d’aujourd’hui est bien différente.

Je suis retournée à Toulouse au mois d’octobre pour un échange entre bibliothécaires, une formation d’une semaine appelée « Erasmus Staff Week », visant à échanger des expériences et des bonnes pratiques entre bibliothécaires. Toulouse était bien la ville où, il y a 25 ans, j’avais fait mon Erasmus, à l’époque en tant qu’étudiante pendant une année scolaire. Cela m’avait donné l’occasion de passer des examens reconnus auprès de mon université d’origine, ainsi que de décrocher un diplôme d’études européennes. Le premier d’une série de diplômes français qui allaient suivre.

Premier constat : les bibliothécaires réunis avaient gagné leur place grâce au hasard d’une sélection, comme les étudiants Erasmus. Mais les nationalités représentées étaient bien différentes de celles que j’avais rencontrées 25 ans avant.

Deuxième constat : même si l’on était en France, on a plutôt communiqué en anglais. Lors de mon Erasmus la langue véhiculaire était le français et entre étudiants étrangers on avait developpé notre propre français à nous, farci de fautes de grammaires, mais qui était quand même la langue de notre pays d’accueil.

Troisième constat : les échanges sont l’occasion de découvrir des personnes et des cultures européennes dont on n’avait jusqu’alors ni l’habitude ni même l’idée. Avec, en conséquence, la nécessité de s’adapter et d’élargir ses propres horizons culturels.

Lorsque je me trouvais voilà vingt ans au Luxembourg pour un stage auprès des institutions européennes, il y avait dans la boutique des gadgets du Parlement européen un tapis de souris avec en dessin tous les stéréotypes des nationalités appartenant à l’Union européenne. Une dizaine d’années plus tard de passage par le Luxembourg pour un concours j’avais constaté qu’après l’élargissement de 2004, il y avait plus de monde au Luxembourg et des chantiers là où il n’y avait avant que des espaces vides... Et les stéréotypes européens ne pouvaient probablement plus tous entrer dans le petit espace d’un tapis de souris.J’étais juste de passage, et je n’avais pas songé à la nécessité de s’intégrer avec ces nouvelles nationalités.

Mon travail m’a ensuite donné l’occasion, lors de rencontres semestrielles, de me retrouver brièvement dans une ambiance similaire. Pendant trois ans j’ai participé à un réseau européen de bibliothécaires, cependant, la composition des participants au réseau ressemblaient à celle que j’avais connu en Erasmus : des Néerlandais, des Belges, quelques Anglais, des Espagnols, de rares Portugais et des Français. Cela m’avait permis de me conduire comme d’habitude, en connaissant déjà les nationalités et en ayant déjà mûri une certaine expérience sur comment s’approcher et surtout en sachant avec qui je pouvais me trouver bien grâce à nos similarités culturelles ou tout simplement parce que nous avions en commun une langue, celle que, pour plaisanter, nous avions appelée la « French connection ».

Un mois avant de me rendre à Toulouse j’ai participé à une université d’été à Padoue. Là aussi, j’avais remarqué que la présence des étudiants étrangers s’était diversifiée : un Anglais d’origine indienne, un Allemand d’origine chinoise, des Chinoises, un Polonais et une Croate. Cela aurait dû me dire quelque chose, mais je n’y ai pas trop fait attention jusqu’à ce que je sois à Toulouse.

Une Europe plutôt tournée vers le Nord et l’Est. Voilà celle que j’ai trouvé cette année à Toulouse. Parmi les représentants des membres fondateurs de l’UE, il y avait une Italienne, une Belge, une Néerlandaise en plus des Français, pays hôte ; des membres des premiers élargissements de la CEE : une Anglaise, une Danoise, deux Espagnoles ; et de l’élargissement de 2004, une Polonaise, un Lithuanien, une Slovène, deux Estoniennes et deux Finlandaises. On avait enfin une Croate, représentante du tout dernier élargissement en 2013.
Une toute autre représentation de l’Europe que j’avais connue en 1992. La CEE comptait alors douze pays membres, et si je n’avais pas côtoyé de Belges ni de Luxembourgeois, j’avais rencontré des Allemands, des Irlandais et des Portugais.

Autre particularité, cette année très peu de participants parlaient le Français, la langue du pays d’accueil. L’anglais a donc été notre langue de travail, avec différentes prononciations, auxquelles l’oreille devait s’adapter. J’ai regretté de voir la langue française réduite à celle d’une petite élite. Mais j’ai aussi pu apprécier le fait de pouvoir parler croate, ou de constater qu’entre Croate et Slovène on pouvaient s’exprimer dans « notre langue », la fameuse naš jezik, et se comprendre parfaitement.

Enfin, je me suis rendu compte de comment l’Europe est devenue hétérogène, les certitudes ou d’une certaines façon, les stéréotypes devenus anciens, ne sont plus valables face à la nouvelle Europe. On connaît mal la culture lithuanienne par exemple, on peut se demander comment mener la conversation par exemple avec un Estonien ou un Finlandais ? Mais bavarder de cinéma n’a pas été un problème lors de la soirée officielle !

À Toulouse, j’ai en tout cas compris à quel point prendre des décisions à 28 pouvait se révéler compliqué et pourquoi les discours sur la nécessité d’une Europe à plusieurs vitesses étaient revenus à la mode. Parce qu’il n’est pas facile de s’entendre lorsqu’on est si nombreux et si variés.