
Après L’archipel du goulache : aventures culinaires dans le bloc de l’Est (2022), le duo de fins gourmets récidive avec Bon app & Tito qui réserve plus d’une surprise. Visite guidée dans un pays qui n’existe plus que dans les casseroles. Cuisine yougoslave certes, mais tendance gastronomie haut de vol. On est loin de la cuisine pour le tourisme de masse. Aucun doute, Tito aurait adoré… d’autant plus que l’Albanie se voit annexée à cette Yougoslavie culinaire qui fait rêver.
Le livre propose un menu gargantuesque en cinq étapes introduites chacune par une synthèse disant presque tout de la gastronomie en Dalmatie et Istrie, Slovénie et Croatie continentale, Serbie, Monténégro et Macédoine du Nord, Bosnie-Herzégovine, Albanie et Kosovo. Une précieuse annexe vous indique comment ne pas rater stuka, kajmak, ajvar, pindjur, lepinja et frites parfaites. Instruits par un voyage gourmand visitant les meilleures adresses, les auteurs réinterprètent le plus souvent des plats traditionnels à base de produits locaux qui ont été revisités par des cuisiniers actuels entre Staro Selo (dans la vallée de la Soča, Slovénie) et Vranjina (avec vue sur le lac Skadar, Monténégro).
À son tour, Bon app & Tito demande à être réinterprété car, comme toujours, c’est le lecteur qui fait le livre. Avant de passer dernière les fourneaux, vérifier de posséder une cuisine bien équipée, prévoir un budget généreux et … du temps. Pour la pizza slovène, prévoir 43 heures de préparation totale et pour le mezze macédoniens, 16 jours de préparation. À éviter, certaines recettes comme le turbot farci aux oursins avec galettes de courgettes qui, à l’image du pays, sont impossibles.
Le maître photo-lithographe Roger Emmenegger assure un graphisme de qualité. Les visuels nous plongent dans une Yougoslavie carte-postale surannée qui contraste avec une cuisine très tendance au bénéfice de reproduction de qualité. C’est juste ainsi, le pays n’est plus, seul survit sa cuisine revisitée. Un beau livre proposant plats raffinés pour fins becs, fous de cuisine et curieux amateurs de bonnes choses. Et il n’est pas interdit de se détourner du livre de cuisine pour le prendre comme guide de voyages. Évitez la haute saison et à vous les bonnes adresses et de lieux magiques à découvrir : notamment la péninsule de Pelješac (Croatie) et les vins de Dingač qui réservent de belles surprises, ou encore, aux confins de la forêt de Pohorje (Slovénie), les vins bio de Božidar Zorjan qui rappelle que « l’homme est sur terre pour boire et manger, pas pour travailler ». Bon app & Tito vous propose aventures culinaires et la philosophie qui va avec.
Nos coups de cœur :
En apéritif, une « travarica ». La recette maison propose rakija, miel, romarin, zeste de citron, jus de citron et lavande séchée bio.
En entrée, une chorba verte de Sarajevo. Il s’agit d’une soupe généralement préparée avec du veau, des gombos, des carottes, des oignons et du persil, épaissie à la fois avec de la farine et du jaune d’œuf mélangé à de la crème, puis servie avec des quartiers de citron pour ajouter une touche d’acidité. Les auteurs proposent ingénieusement de prendre pour légumes verts une purée d’épinards, de bettes et de dents-de-lion.
En plat, pagre au fenouil, sabayon et salade d’asperges. La recette propose de revoir le traditionnel poisson grillé avec ses habituelles garnitures. Inspiré du restaurant LD relais et châteaux, une étoile au guide Michelin, à Korčula, les auteurs proposent de rôtir le pagre (dorade ou bar sont une alternative) avec, pour accompagnement des bulbes de fenouil rôtis et une salade d’asperges servie avec du jambon cru croquant, un sabayon d’œuf pouvant servir de sauce pour le poisson.
En dessert, les Štruklji slovènes et glace miel-propolis. Particularité : le plat est polyvalent. En accompagnement de viandes, on opte pour une garniture salée (estragon, épinards, haricots) ; en dessert, pour la version sucrée (noix, fromage blanc, pommes). Note : à défaut de miel-propolis (réputé pour ses propriétés antioxydantes, antibactériennes et anti-inflammatoires), prendre un autre miel. Sur place : déguster la version proposée par le restaurant de la dynastie Žagar au Gostilna Skaručna (municipalité de Vodice dans la région de la Haute-Carniole en Slovénie).
Une surprise à l’heure du café : Tulumba et glace au café turc. Soit une une pâtisserie traditionnelle pouvant être comparée à des beignets recouvert d’un épais sirop parfumé, ici avec du sucre brun, de la girofle et du poivre. Pour le café, optez pour le Kurukahveci Mehmet Efendi.
Je me permets de suggérer de déguster un vin de vendange tardive de Božidar Zorjan, le muscat ottonel, possiblement le millésime 2016.
Notice sur les auteurs :
Florian Pinel, ingénieur en intelligence artificielle, est passionné de cuisine. Il a travaillé dans plusieurs restaurants étoilés et tient un blog sur ses aventures en Europe de l’Est : foodperestroika.com.
Jean Valnoir Simoulin, graphiste, éditeur et réalisateur, est petit-fils de chef étoilé surtout passionné de musique (tendance underground black metal). Le concert de Laibach en Corée du Nord, c’est lui.