Dans les Balkans des années 1990, les puissances occidentales ont, en pratique, laissé les États affronter seuls les conflits, les désintégrations et les guerres locales, misant sur une forme d’« auto-stabilisation » du système.
À la suite de l’effondrement de la Yougoslavie, les guerres de Croatie (1991–1995), de Bosnie-Herzégovine (1992–1995) et du Kosovo (1998–1999) ont fait plus de 140 000 morts et provoqué l’exode de quelque 2,5 millions de réfugiés et de déplacés internes. Les organisations internationales — l’ONU, l’Union européenne et l’OTAN — sont intervenues de manière fragmentée : opérations de maintien de la paix (UNPROFOR, KFOR), sanctions économiques, cadres administratifs provisoires.
Cependant, la reconstruction étatique, la réconciliation nationale et l’intégration régionale sont demeurées des processus largement internes. En conséquence, certains pays ont réussi à s’adapter, tandis que d’autres se sont enlisés dans des crises chroniques. La stabilité n’est véritablement revenue qu’après de longues années — comme en Croatie et en Bosnie, à la suite des accords de Dayton de 1995.
En Ukraine, la stratégie de l’Occident a suivi une logique comparable, mais les conséquences se sont révélées bien plus profondes. Après la Révolution de la Dignité en 2014, le soutien occidental s’est limité à des déclarations politiques, à des sanctions contre la Russie et à une assistance militaire restreinte. La fracture interne du pays — entre l’Est et l’Ouest, entre orientations pro-russes et pro-européennes, ainsi qu’entre élites et régions — a encore compliqué la situation. La Russie a exploité ces divisions : l’annexion de la Crimée, le soutien aux séparatistes dans le Donbass et la guerre de l’information ont ainsi créé les conditions d’un conflit prolongé.
L’évolution de l’intégration européenne de l’Ukraine pourrait se solder soit par un succès — auquel cas l’Occident saluerait avec éclat un État ayant tenu bon —, soit par une catastrophe, après laquelle le pays serait « évoqué en grande pompe » avant que l’attention internationale ne se reporte sur de nouvelles crises.
Dans ce contexte, les crises locales deviennent presque une norme : elles constituent une réaction naturelle du système aux pressions internes et externes. À l’image d’un organisme vivant, il lutte, développe une forme d’immunité, mais peut également s’effondrer. La responsabilité implicite de l’Occident réside dans le fait que, bien que son soutien soit formellement présent, son ampleur et son efficacité dépendent davantage de la cohésion interne de la société et de facteurs aléatoires que d’une stratégie planifiée de manière consciente.
Cette stratégie hybride et passive crée l’illusion d’un contrôle, laissant le résultat « au hasard ». La survie ou l’effondrement d’une société dépend de sa capacité à mobiliser ses ressources, organiser sa défense et se protéger. En Ukraine, cela s’est traduit par la mobilisation de plus de 100 000 volontaires dès les premières semaines de la guerre à grande échelle, le renforcement de la défense territoriale et l’intégration rapide de l’aide internationale. Dans les Balkans, en revanche, ce processus d’adaptation a pris des décennies, comme l’illustrent la reconstruction après les accords de Dayton et la gestion internationale du Kosovo.









