
La place Victoriei à Bucarest, haut lieu de contestation ces derniers temps a vu les portraits des juges de la Cour Constitutionnelle de Roumanie exhibés par des manifestants pro-Georgescu en signe de contestation envers cette institution. La Cour Constitutionnelle avait annulé les élections présidentielles de décembre 2024 la veille du second tour, alors que le vote avait déjà commencé à l’étranger. Cette décision a fait suite aux documents des services de renseignement diffusés plus tôt dans la semaine d’avant second tour par le Président Klaus Iohannis (Parti National Libéral).
Or ces documents publiés pour montrer les ingérences russes dans le processus électoral ne convainquent pas, en partie par leur manque d’informations. Certains reprochent même à Klaus Iohannis d’avoir voulu conserver son siège de Président de la Roumanie. En effet, ne pouvant pas se représenter et après avoir échoué à devenir le secrétaire général de l’OTAN, ces documents auraient eu pour but de prolonger son mandat. En réalité, difficile de savoir si c’est la Cour Constitutionnelle qui lui a demandé de rester au pouvoir le temps d’une nouvelle élection ou si la décision est venue de lui. C’est finalement la procédure de destitution engagée par le Parlement qui l’a convaincu de démissionner ce 12 février.
Le réseau social TikTok a été au centre de l’attention médiatique européenne pour son rôle joué auprès de Călin Georgescu, victorieux au premier tour. Or cette médiatisation s’est concentrée sur la responsabilité de la Russie dans la manipulation de l’algorithme, mais cette responsabilité provient aussi d’un des deux partis « dinosaures » politiques (PNL et Parti Social-Démocrate, PSD).
L’enquête de Snoop [1], sorte de Médiapart roumain, montre que l’Agence nationale roumaine d’administration fiscale (ANAF) a découvert que le Parti national libéral (PNL) a financé indirectement une campagne TikTok qui a profité à Călin Georgescu.
Le cas de Călin Georgescu
Avant le scrutin des élections présidentielles, il était admis chez les observateurs que la limite des votes de l’extrême droite en Roumanie se situait entre 20% à 25%. Les résultats de décembre montrent que cela va bien au-delà, 38 % pour les trois candidats d’extrême droite et 32 % aux législatives. Ces extrêmes droites ont donc dépassé ce plafond de verre.
Les réseaux sociaux manipulés sont-ils entièrement responsables de ce « record » de votes ou cela suit-il aussi tout simplement la tendance amorcée depuis 2019 ? Difficile de savoir. Cette complexité à mesurer les effets joués par les réseaux sociaux sème encore plus le doute.
Le samedi 1er mars, les sympathisants de Georgescu se sont à nouveau retrouvés dans les rues de Bucarest pour protester en faveur de la non invalidation de sa candidature. Ce mercredi 26 février, Călin Georgescu, après avoir été entendu par la justice dans le cadre de plusieurs affaires, avait alors appelé avec George Simion (Alliance pour l’unité des Roumains, AUR, extrême droite) à se rendre dans les rues. Ce dernier, ayant échoué à se qualifier au premier tour de la présidentielle en décembre contre toute attente, est un soutien de poids dans la course à la présidentielle, en témoigne le groupe parlementaire de son parti qui constitue la première force d’opposition.
Malgré les soutiens pour un maintien de la candidature de Georgescu, de nombreuses affaires pourraient aller dans le sens inverse. Si un lien direct de Georgescu avec la Russie n’est pas prouvé, le financement et la déclaration -ou plutôt non-déclaration- des comptes de campagne vaudraient une invalidation de candidature.
Ce qui retient mon attention parmi toutes ces affaires, ce sont les révélations des autorités judiciaires concernant une attaque planifiée sur Bucarest le 8 décembre, jour du second tour. Horațiu Potra, un mercenaire connu pour ses liens avec des entreprises minières chinoises et ses affinités avec l’extrême droite nationaliste, aurait dirigé un groupe d’hommes lourdement armés, se dirigeant vers la capitale pour semer le chaos. Ce groupe a finalement été arrêté avant son arrivée. Initialement, Georgescu niait tout lien avec Potra, avant de se raviser. Il est aujourd’hui confirmé qu’il a ordonné cette attaque, un motif majeur pour invalider sa candidature.
La nouvelle élection présidentielle
Les dates de la nouvelle élection présidentielle ont été fixées le 4 mai avec le premier tour. Ce choix par le gouvernement de coalition (Parti Social Démocrate, PNL, Union Magyare, et les minorités) interroge par le long délai avant la tenue du nouveau scrutin. Le gouvernement précédent (PSD, PNL) avait d’ailleurs joué avec le calendrier électoral pour divers scrutins.
Si les élections n’avaient pu être tenues le mois suivant étant donné qu’il faut respecter des règles précises à savoir trois semaines pour enregistrer les candidatures ou encore 30 jours de campagne, la date la plus avancée dans la tenue de nouvelles élections aurait pu avoir lieu le 24 mars. Cela ne s’est pas fait avec la non-démission du Président Klaus Iohannis (PNL) le 21 décembre alors qu’il arrivait au terme de son mandat. En cas de démission d’un Président, le Président du Sénat devient le Président intérimaire et la Constitution stipule un délai maximum de 3 mois pour la tenue de nouvelles élections.
Ce délai de cinq mois pourrait peser sur la participation, qui se situe pour les derniers scrutins aux alentours de 50 %. Dans cette longue attente émaillée à présent d’ingérences américaines, on assiste à la dernière ligne droite pour le dépôt de candidatures à la présidentielle. Dès le dépôt de sa candidature, Georgescu a fait l’objet de recours contestant sa validité auprès de la Cour Constitutionnelle, ce qui n’avait pas été le cas au précédent scrutin car personne ne l’avait pris sérieux.
De nombreuses nouvelles têtes se lancent à la course à la présidentielle par rapport à décembre, notamment le Maire de Bucarest Nicușor Dan (centre-droit et anciennement au parti Union Sauvez la Roumanie) ou encore le candidat commun des partis de la coalition actuellement au pouvoir, Crin Antonescu (aucun lien avec le maréchal fasciste Antonescu). Ce début de pré-campagne pourrait être modifié par l’arrivée d’une nouvelle candidature, celle de l’actuel Président intérimaire Ilie Bolojan
[2].