Balkans occidentaux : la faillite de l’UE et la peur du vide

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Et si la « perspective européenne » appartenait désormais au passé ? Après l’échec du dernier Conseil européen, c’est toute la politique de l’UE dans les Balkans qui est remise en cause, tout comme la crédibilité de la parole de Bruxelles. Les pays de l’Europe du Sud-Est risquent bien de s’en aller chercher de nouveaux partenaires.

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Traduit par Bérengère Dambrine

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« Les Balkans ont été abandonnés et laissés à la merci d’acteurs étrangers, comme la Russie, qui va certainement profiter de la situation », estime Momčilo Radulović, le président de l’ONG le Mouvement européen au Monténégro. Une opinion qui pourrait résumer l’impression générale après l’échec du Conseil européen des 17 et 18 octobre dernier, où l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord a été repoussée. « Zoran Zaev [le Premier ministre macédonien] a plusieurs fois mentionné les conséquences d’une décision négative. Et nous sommes tous un peu inquiets de ce qui va se passer, de la réaction des citoyens des Balkans envers l’Union européenne. »

Le Premier ministre de Macédoine du Nord avait en effet averti les dirigeants de l’Union européenne, quelques heures avant l’interruption des discussions, que son gouvernement pourrait tomber si Bruxelles refusait d’ouvrir les négociations - il démissionnera finalement le 3 janvier, tandis que des élections législatives anticipées ont été convoquées pour le 12 avril 2020.

Ces mises en garde n’ont pas empêché le Conseil européen de reporter sa décision pour la troisième fois en seize mois, alors que la Commission européenne estime que les deux pays remplissent pour l’heure tous les critères nécessaires. « Ce refus sape la crédibilité de l’UE et sa mission de favoriser la réconciliation régionale, alors que la zone est totalement encadrée par des pays de l’Union », explique de son côté Michael Leigh, ancien négociateur en chef pour l’élargissement de la Commission européenne. « Les responsables français estiment que l’UE doit modifier les conditions d’intégration avant l’ouverture des négociations, mais l’opposition actuelle est en grande partie due à des agendas internes aux États de l’Union, bien que cela ne soit jamais vraiment présenté à l’opinion publique. »

L’Union européenne est-elle encore crédible ?

Le Conseil européen devrait de nouveau se pencher sur la question de l’élargissement avant la sommet UE-Balkans occidentaux, qui se tiendra à Zagreb en mai 2020. « Cette décision porte gravement atteinte au processus d’élargissement car on a promis à l’Albanie et à la Macédoine du Nord qu’elles pourraient ouvrir leurs négociations d’adhésion si certaines réformes étaient mises en œuvre et si les deux pays résolvaient leurs différends régionaux », renchérit Nikola Burazer, membre Centre pour les politiques contemporaines, basé à Belgrade.

La Macédoine du Nord aurait pu ouvrir ses négociations d’adhésion dès 2009, mais la Grèce a longtemps bloqué le processus en raison du conflit qui l’opposait à Skopje sur la question du nom. « En ce qui concerne l’Albanie, les réformes n’ont peut-être pas été menées assez en profondeur, mais la résolution du différend avec Athènes a été une étape fondamentale qui prouve que Skopje continuer d’œuvrer pour son adhésion », continue Nikola Burazer.

C’est pour l’heure le Monténégro qui semble le plus avancé sur la voie de l’intégration, le pays ayant ouvert 32 des 33 chapitres de négociation en sept ans, puis la Serbie avec 17 chapitres sur 35 depuis décembre 2015. L’un des premiers chapitres ouverts, celui sur la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina, pourrait aussi le dernier à se conclure. La Bosnie-Herzégovine a présenté son dossier pour devenir candidat en 2016 et la Commission européenne l’a validé en mai 2019.

Le Kosovo est le dernier pays de la région à avoir signé un Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE. C’est le seul pays de la région dont les citoyens ne bénéficient pas de la libéralisation des visas Schengen. Pristina n’a pas encore demandé son statut de candidat alors que cinq pays membres ne reconnaissent pas son indépendance. « Le rejet de l’ouverture des négociations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord retentit déjà comme un coup de tonnerre à Skopje et à Tirana, mais également dans tous les autres pays des Balkans occidentaux », note encore Nikola Burazer.

Si Macron veut vraiment réformer l’UE, alors cette Union n’a plus d’avenir.

« Cela laisse entendre que même si les conditions posées par l’UE sont remplies, cela risque de ne pas être suffisant pour certains États-membres qui opposent une résistance plus liée à certaines réserves concernant l’élargissement de l’UE qu’à la situation dans les Balkans occidentaux », juge Nikola Burazer.

« Si Macron veut vraiment réformer l’UE, alors cette Union n’a plus d’avenir », tranche Momčilo Radulović, du Mouvement européen au Monténégro. Depuis son arrivée à la présidence de la France, Emmanuel Macron n’a cessé de répéter son opposition à l’élargissement avant que des réformes internes aux institutions européennes ne soient menées. « Désormais, les dirigeants des Balkans vont avoir beaucoup de mal à s’appuyer sur les valeurs fondamentales de l’Union européenne ».

Pour Nikola Burazer, ce refus n’est toutefois pas définitif. « L’intégration de Skopje n’est pas remise en question à long terme, mais c’est certainement un mauvais signe pour les tous les pays des Balkans occidentaux. Il y a des dissonances extrêmement profondes entre la Commission et les États-membres », poursuit-il.

L’horizon 2025 bien peu crédible

En février 2018, la Commission européenne avait adopté « une perspective d’élargissement crédible pour les Balkans occidentaux », réaffirmant que l’avenir européen de la région, au sein d’un continent stable et uni, et fixait l’horizon 2025 pour l’intégration du Monténégro et de la Serbie. « Il semble cependant que l’année 2025 ait déjà perdu de sa pertinence », nuance Nikola Burazer. En effet, Belgrade et Podgorica ne semblent pas avoir beaucoup avancé depuis un an et demi.

Le refus du Conseil européen intervient au moment même où l’Union européenne s’inquiète de l’influence de plus en plus visible d’acteurs extérieurs à l’Europe, comme la Russie ou la Chine. « Les Chinois sont politiquement neutres mais ils sont très agressifs sur le plan économique. Quant aux Russes, ils sont extrêmement toxiques à tous les niveaux, tant économiquement que politiquement », estime Momčilo Radulović. Pour Nikola Burazer, les pays des Balkans ne renonceront pas à l’intégration, mais ils vont certainement à s’attacher à trouver de nouveaux partenaires, dans d’autres parties du monde.


Cet article a été publié avec le soutien de la Heinrich Böll Stiftung