Propos recueillis par Simon Rico
Ecaterina Țurcan vit en France depuis 2012, elle est la correspondante du média indépendant roumanophone Ziarul de Gardă.
Le Courrier des Balkans (CdB) : La Moldavie est très proche de l’Ukraine. Est-ce que cela vous inquiète pour vos proches qui sont toujours là-bas ?
Ecaterina Țurcan (E. Ț.) : Ma mère a un cousin moldave qui habite en Ukraine avec sa famille. Elle l’appelle tous les jours, matin et soir, pour prendre des nouvelles et s’assurer qu’il ne leur est rien arrivé, à lui et à sa famille. Ils habitent pas très loin de la ville portuaire de Mykolaïv, dans le sud, où il y a d’intenses bombardements depuis plusieurs jours. Dès le début de la guerre, mes parents leur ont proposé de les héberger, mais pour le moment ils préfèrent rester sur place, pour ne pas perdre leur maison. Je m’inquiète aussi pour mes parents, qui habitent à 45 km de Chișinău. Ils ont entendu des bombardements au début de l’invasion russe et je leur ai dit de venir nous rejoindre en France, où habitent aussi mon frère et ma sœur. Mais mon père ne veut pas abandonner ses moutons. Il m’a dit : « Ta mère peut partir, mais moi je reste ici, quoi qu’il se passe ». Sa ferme, c’est toute sa vie... Et puis il y a aussi mes oncles, mes tantes, mes cousins et cousines en Moldavie. Pour le moment, personne aucun d’eux n’a encore quitté le pays.
Quand je parle avec mes parents, je les sens optimistes, ils espèrent encore que les combats vont s’arrêter bientôt.
CdB : Craignez-vous que la guerre s’étende à la Moldavie ?
E. Ț. : Je me dis que Poutine a perdu la tête, mais je ne peux pas croire qu’il veuille envahir la Moldavie. On voit bien que l’armée ukrainienne est forte, qu’elle parvient à tenir tête à l’armée russe. À mon avis, cette résistance empêche la progression vers la Moldavie. J’espère que les forces russes vont s’épuiser et qu’elles n’auront pas la capacité d’attaquer les pays voisins de l’Ukraine.
CdB : Quels sont les échos que vous avez de la Moldavie ? Que vous racontent vos proches ? Que lisez-vous dans les médias, sur les réseaux sociaux ?
E. Ț. : Je dois dire que je suis très connectée à l’actualité. Je lis tous les jours les médias moldaves, pour voir ce qu’ils racontent sur la situation dans le pays et en Ukraine. Le midi, je regarde les infos sur les chaînes moldaves et le soir, je regarde la télévision française. Il n’y a pas vraiment de différence de traitement de l’information, mais il me semble intéressant d’entendre les différents points de vue des experts, qu’ils soient français ou moldaves. Quand je parle avec mes parents, je les sens optimistes, ils espèrent encore que les combats vont s’arrêter bientôt, dans les jours qui viennent. Eux aussi suivent très attentivement les informations sur place.
En Russie, même les Moldaves sont « zombifiés ». Pas tous, bien sûr, mais beaucoup.
Au début de la guerre, j’étais en fin de grossesse et j’ai essayé de ne pas trop regarder les images des enfants réfugiés, c’était dur, ça me faisait beaucoup pleurer. Mais je ne pouvais pas y échapper, la guerre en Ukraine est partout autour de moi, dans tous les médias, sur les réseaux sociaux, dans les discussions... En Moldavie, ma principale source d’informations, c’est mon journal, Ziarul de Gardă [l’un des rares titres réellement indépendant, avec lequel le Courrier des Balkans collabore].
Quelque chose m’a marquée ces derniers temps : je connais une famille moldave dont le fils habite en France et la fille en Russie. Le garçon est un ami, il m’a raconté que sa sœur était complètement sous l’emprise de la propagande de Poutine, qu’elle ne croyait pas ce qu’il lui racontait sur l’invasion de l’Ukraine. Ils se disputent beaucoup à cause de ça en ce moment. En Russie, même les Moldaves sont « zombifiés »... Pas tous, bien sûr, mais beaucoup. Ceci étant, il y a pas mal de Moldaves qui ont précipitamment quitté la Russie depuis l’attaque de l’Ukraine à cause du manque de démocratie et aussi parce qu’ils ont très peur des conséquences économiques de la guerre et des sanctions occidentales.
CdB : Y a-t-il une mobilisation de la diaspora moldave en France ?
E. Ț. : Oui, bien sûr. Je pense notamment à une femme, Olga Capatina, qui a combattu en Afghanistan en tant que soldate soviétique de l’armée de l’air et qui a habité en Ukraine avant de s’installer en France. Aujourd’hui, elle est écrivaine et elle a publié plusieurs romans, surtout en roumain, dans lesquels elle raconte ses guerres. En ce moment, elle manifeste pour la paix et prend la parole pour appeler les intellectuels moldaves à plus s’engager. Pour qu’ils osent dénoncer ce que fait la Russie en Ukraine et qu’ils affirment haut et fort leur attachement à la démocratie, comme on l’avait vu en 1990 au moment de l’indépendance de la Moldavie.
Personnellement, j’ai récemment participé à la création d’une association. L’une de nos premières activités a été de collecter et d’envoyer des médicaments en Moldavie pour les réfugiés ukrainiens qui arrivent là-bas. Ma sœur et ma belle sœur ont aussi acheté des couches, des conserves et de la nourriture pour bébés. Je connais aussi des gens qui ont envoyé de l’argent à leurs proches pour qu’ils achètent sur place tout ce dont ont besoin les associations qui viennent en aide aux réfugiés ukrainiens. Mes parents accueillent une Ukrainienne avec sa fille et nous réfléchissons, mon mari et moi, à la possibilité de les faire venir toutes les deux chez nous, en banlieue parisienne. L’ambassade de Moldavie organise aussi des rencontres avec les gens de la diaspora pour organiser l’aide humanitaire et expliquer ce que font les dirigeants à Chișinău en faveur de ces Ukrainiens.
CdB : Est-ce que vous pensez que la guerre en Ukraine va encore accélérer l’exode des Moldaves ?
E. Ț. : Malheureusement, je pense que oui, la guerre va encore accélérer l’exode des Moldaves. Surtout pour les jeunes qui n’ont ni maison ni stabilité économique. J’ai des amis qui hésitaient encore à rester ou à tenter leur chance à l’étranger. L’invasion russe de l’Ukraine les a convaincus de prendre la route et de s’installer en Allemagne. En ce moment, les Moldaves ont peur.
Cet article est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.