« Salade grecque » : où en est vraiment la solidarité envers les réfugiés ?

| |

Dans sa série « Salade grecque », Cédric Klapisch filme un frère et sa sœur franco-britanniques qui viennent en aide à des réfugiés dans des squats d’Athènes. Une réalité qui a bien existé, mais qui n’est plus tout à fait à l’ordre du jour, depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs de la Nouvelle Démocratie (ND) à l’été 2019.

Cet article est accessible gratuitement pour une durée limitée. Pour accéder aux autres articles du Courrier des Balkans, abonnez-vous !

S'abonner

Par Marina Rafenberg

Dans « Salade grecque », sa série diffusée sur la plateforme Amazon Prime qui se présente comme la suite de « l’Auberge espagnole », « Les Poupées russes », et « Casse-tête chinois », Cédric Klapisch dépeint Athènes comme une ville en crise, où la solidarité envers les réfugiés serait la norme… On y suit les aventures de Tom et Mia, un frère et une sœur franco-britanniques, qui débarquent dans la capitale grecque, et qui vont très vite se retrouver à aider des exilés dans des squats tenus par des anarchistes.

Contrairement à ce qu’on prétendu certaines critiques, cette histoire reflète bien une réalité... Mais celle des années 2015 et 2016, lorsque les mouvements de solidarité envers les migrants prospéraient en Grèce et qu’ils attiraient des milliers de bénévoles internationaux. Depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs de la Nouvelle Démocratie (ND), à l’été 2019, Athènes et la Grèce ont changé et la solidarité s’est peu à peu éteinte.

Les mouvements de gauche et anarchistes en pointe

En 2015, plus de 800 000 réfugiés, principalement venus de Syrie, se sont retrouvés à Athènes, transférés depuis les îles grecques où ils avaient accosté sur des embarcations de fortune. La plupart d’entre eux étaient à la rue, sans structure pour les héberger. L’État grec, qui devait alors batailler contre une crise économique sans précédent, était submergé par l’ampleur de l’afflux, de même que les ONG, dépassées elles aussi, et qui ont tardé à se mobiliser efficacement.

Dans ce contexte très délicat, la solidarité citoyenne s’est vite déployée pour éviter une catastrophe humanitaire. Les mouvements de gauche et les anarchistes, qui avaient expérimenté depuis plusieurs années la crise financière et l’explosion de la pauvreté, ont pu s’appuyer sur leurs réseaux pour distribuer de la nourriture, des vêtements et des médicaments, mais aussi donner des cours gratuits. Le quartier contestataire d’Exarchia, aujourd’hui visé par la répression des conservateurs au pouvoir, fut en pointe de ce soutien populaire.

Après la signature de l’accord entre l’Union européenne (UE) et la Turquie en mars 2016, les frontières se sont refermées sur la « route des Balkans ». La Grèce est alors devenue un cul-de-sac pour près de 60 000 demandeurs d’asile. La plupart des squats accueillant des migrants ont ouvert leurs portes à ce moment-là. « Nous aidions les réfugiés en leur distribuant de la nourriture, des couvertures, des médicaments. Les places du centre-ville étaient pleines de gens qui n’avaient nulle part où dormir. La municipalité envoyait des policiers pour leur interdire de s’allonger sur les bancs. C’est alors que nous avons décidé d’agir plus concrètement », explique Yannis Androulakis, à l’époque à la tête d’un mouvement de solidarité envers les réfugiés.

Le City Plaza reste sans doute pour beaucoup la plus belle expérience de solidarité en Europe envers les réfugiés

Le 22 avril 2016, le City Plaza, un hôtel abandonné depuis 2010, victime de la crise économique, est occupé par une centaine de militants grecs et par 350 réfugiés. L’expérience s’est prolongée jusqu’en juillet 2019, juste avant l’élection du Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis à la tête du gouvernement et de son neveu à la mairie d’Athènes. Kostas Bakoyannis a vite promis de remettre de l’« ordre » à Exarchia, lieu de révolte depuis le soulèvement étudiant contre la dictature des colonels en 1973.

En tout, plus de 2500 réfugiés ont été accueillis au City Plaza, tandis que des centaines de bénévoles sont venus des quatre coins du monde leur porter main-forte. « Le City Plaza reste sans doute pour beaucoup la plus belle expérience de solidarité en Europe envers les réfugiés », poursuit Yannis Androulakis. Comme lui, beaucoup ont « senti que le vent tournait, que la xénophobie augmentait », ce qui a sûrement conduit à la victoire des conservateurs aux législatives de 2019 avec un discours très anti-migrants.

Plus de place à Athènes pour les squats et les réfugiés

À peine arrivées au pouvoir, les nouvelles autorités ont employé la manière forte : les autres squats du quartier d’Exarchia, ou de la rue Acharnon, ont été vidés par des raids policiers dès le mois d’août 2019. Des familles ont été violemment emmenées dans des bus pour être relogées dans des camps hors de la ville. La Ligue grecque des droits de l’homme avait alors qualifié d’« extrêmement problématique » ces interventions policières, qui allaient selon elle contre « le droit au respect de la dignité humaine ».

Les images d’enfants tirés de force par la police ont notamment choqué l’opinion. Des parents d’élèves ont signé des pétitions pour que ces mineurs puissent continuer d’être scolarisés dans les écoles d’Exarchia. Seul le squat anarchiste de la rue Notara, qui a abrité plus de 9000 migrants, a survécu à cette opération de « nettoyage ».

Kareem Kabbani, qui joue le rôle de Bassem dans « Salade grecque », a lui-même vécu durant un an dans l’un de ces squats athéniens. Le jeune Syrien regrette cette époque où « les réfugiés étaient partie intégrante de la ville et où existait une vraie mixité ». Avec la multiplication des Airbnb, la gentrification du quartier, les squats n’avaient plus, selon la mairie, leur place à Exarchia. Pour Yannis Androulakis, l’évacuation de ces refuges fut même la première étape du durcissement de la politique migratoire du Premier ministre, candidat à sa propre succession lors des législatives du 21 mai prochain.

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.