Macédoine : le VMRO-DPMNE lâche ses chiens contre les journalistes

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Les attaques contre les médias se multiplient à vitesse grand V en Macédoine, devenue la lanterne rouge au classement de la liberté de la presse. Injures, menaces, crachats, volée de coups... Accusés d’être des « traîtres à la patrie », une dizaine de journalistes ont été agressés depuis le début 2017 et les manifestations pro-VMRO DPMNE.

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Par Ilčo Cvetanovski

© wiredforlego / Creative Commons

Depuis quelques années déjà, la Macédoine ne sort pas d’une interminable crise institutionnelle et politique. Ce qui avait commencé il y a deux ans par des manifestations étudiantes et les « bombes » de l’opposition, des scandales de corruption révélés dans des écoutes rendues publiques, a culminé en 2016 avec la « révolution des couleurs ». Le 11 décembre dernier, des élections législatives anticipées ont finalement été organisées.

Alors que tout le monde espérait la fin de l’instabilité institutionnelle et politique, grâce à la formation d’un nouveau gouvernement, la crise a, au contraire, empiré. Orchestrant un jeu politique digne de la série américaine House of cards, le VMRO-DPMNE a incité ses partisans à sortir dans la rue et à obstruer de toutes les manières possibles les tentatives du SDSM et de l’opposition de former une nouvelle majorité->https://www.courrierdesbalkans.fr/Macedoine-crise-parlementaire-elections-locales-blocage-des-municipalites].

Ce nouveau pic de la crise politique a eu pour effet une augmentation des attaques contre les médias. En deux semaines, de fin février à mi-mars 2017, des journalistes, caméramans et éditorialistes ont été victimes d’une série d’agressions physiques et verbales. Un point commun : les victimes travaillent toutes pour des médias critiquant le travail du précédent gouvernement.

Ces agressions n’ont rien de surprenant, elles étaient même prévisibles. Le discours omniprésent des élites politiques depuis des années, consistant à calomnier les travailleurs des médias et les accuser d’être des « traîtres » à la solde de l’étranger, a fait mouche : il a semé la discorde et la violence.

« Tu es un traître, tu devrais avoir honte »

Le premier incident a eu lieu le 28 février, au début des rassemblements contre le SDSM, et visait une équipe du site A1 on. Deux jeunes hommes, dont l’un était connu de la police pour avoir commis d’autres actes criminels, ont agressé à coups de poing et de pied le caméraman Vladimir Želčeski et le journaliste Aleksandar Todevski. Leur caméra a été endommagée. Les agresseurs ont pris la poudre d’escampette, mais l’un d’eux a été arrêté quelques jours plus tard, des journalistes ayant filmé leur fuite. Un des rares exemples d’efficacité policière en cas d’agression contre les médias. Une plainte a été déposée pour violences.

La rédaction macédonienne du site régional BIRN a précisé que ses journalistes avaient été également victimes de cyber-harcèlement après avoir publié des informations sur l’agression de leurs collègues d’A1 on. Un utilisateur anonyme a notamment publié sur Twitter une carte détaillée des adresses de tous les collaborateurs de BIRN.

Le lendemain, un nouvel incident s’est produit, inaugurant une série d’attaques contre des journalistes, professeurs, députés et militants d’ONG. Un groupe de trois jeunes hommes a sonné à la porte du journaliste à la retraite Branko Tričkovski pour l’accuser d’être un traître, tout en filmant l’incident sur un téléphone. Sur la courte vidéo, on entend un jeune homme encapuchonné dire à Branko Tričkovski « Tu devrais avoir honte… ».

Le 2 mars, un groupe s’en est pris à Borjan Jovanovski, dans un restaurant de Skopje où le journaliste déjeunait avec son collègue Atanasi Kirovski, directeur et rédacteur en chef de la chaîne de télévision Telma. Pendant le repas, un jeune homme encapuchonné l’a abordé pour lui reprocher d’être un « traître », avant de lui cracher au visage. L’incident a été filmé sur portable, selon un même mode opératoire.

D’autres incidents ont éclaté le soir du 10 mars, contre deux équipes différentes. Lors des manifestations, un journaliste de TV 24 a été frappé à la tête au moyen d’un porte-drapeau, et une équipe de Telma TV a été agressée verbalement alors qu’elle tournait une enquête sur les manifestants.

La liberté de la presse en chute libre

Six autres incidents ont suivi, visant des journalistes critiques du pouvoir. Sur Facebook, le maire de Berovo a qualifié une journaliste d’« illettrée » et de « prostituée des médias » pour avoir mal prononcé le mot séquoia. À Prilep, un inconnu a lancé un cocktail Molotov sur le garage du journaliste et propriétaire du site d’information local. Dans d’autres cas, des sociétés de sécurité privées ont empêché les journalistes de faire librement leur travail. Un ancien député a en outre menacé des journalistes, les avertissant de faire bien attention à ce qu’ils écriraient sur l’arrestation de son frère. Enfin, l’incident ayant eu lieu devant le siège du VMRO-DPMNE, à Skopje, illustre à merveille le degré de polarisation du pays. Des journalistes qui attendaient une déclaration officielle devant le QG du parti sont entrés se réchauffer dans un PMU, où une partie des clients les a mis en garde : tous ceux qui travaillent pour des médias traîtres ne vont pas tarder à être arrêtés.

Le clientélisme, les liens entre partis politiques et structures dirigeantes des médias, la dépendance aux publicités publiques, la destruction des principes éthiques du journalisme, les divisions entre orientations politiques, la création d’institutions parallèles, les calomnies à l’encontre des médias critiques accusés d’être des espions ont créé un contexte favorable aux agressions de journalistes. Au sein de la profession, les divisions sont elles-mêmes profondes. Parallèlement à l’Association des journalistes de République de Macédoine (ZNM), fondée en 1946, une partie des journalistes travaillant pour des médias proches du pouvoir a fondé en 2002 sa propre organisation, l’Association macédonienne des journalistes (MAN).

Ces dernières années, la Macédoine s’est retrouvée tout en bas de l’échelle de la liberté de la presse dans les Balkans. La chute s’est accélérée : d’après le classement de Reporters sans frontières, la Macédoine est aujourd’hui 118e sur 180 pays. La ZNM souligne que 44 journalistes ont été agressés en quatre ans, dont 19 en 2016. Selon le projet Mapping Media Freedom, onze incidents ont été constatés en 2017, dont cinq directement liés aux manifestations.

Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.