Liberté de la presse en Macédoine : « Not Free »

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En Macédoine, « les médias ne sont pas libres », rapporte l’ONG américaine Freedom House, à la veille des cruciales élections du 11 décembre. C’est ce qu’illustre les cas de deux journalistes condamnés par le pouvoir et la justice : Tomislav Kezarovski et Zoran Bozinovski.

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Par Ilcho Cvetanoski

Comme le Monténégro, la Russie, l’Azerbaïdjan et la Turquie, la Macédoine fait partie des cinq membres du Conseil de l’Europe qui ont condamné des journalistes à des peines de prison. La Fédération européenne des journalistes compte ainsi un journaliste emprisonné en Macédoine, un au Monténégro, deux en Russie, trois en Azeirbaïdjan et 113 en Turquie.

Les rapport des organisations internationales de protection des médias, comme Freedom House et Reporters sans frontières, identifient la détention des journalistes comme l’une des principales causes du déclin de liberté des médias en Macédoine. Le rapport 2016 de Freedom House classe la Macédoine, avec la Russie et la Biélorussie, parmi les seuls pays en Europe ayant des médias « non libres ». Outre la détention, font l’objet de critiques l’impunité dont bénéficient ceux qui agressent des journalistes, l’interférence du gouvernement dans le marché des médias par le biais de grandes campagnes publicitaires, les liens corrompus entre l’État, les partis de la majorité et les propriétaires des médias, ainsi que les arrestations illégales de journalistes.

Concernant les détentions, le premier journaliste qui en a fait les frais est Tomislav Kezarovski, du quotidien Nova Makedonija, condamné à quatre ans et demi de prison pour avoir révélé en 2008 l’identité d’un témoin, prétendument protégé, dans un procès pour homicide. Au cours d’un nouveau procès, le témoin a confirmé les découvertes de Tomislav Kezarovski et admis avoir livré un faux témoignage. Malgré cela, en octobre 2013, le journaliste a été condamné. Après de fortes pressions à l’étranger et sur la scène locale, il a été libéré après avoir purgé un an et dix mois de sa peine.

Le cas Bozinovski

Zoran Bozinovski est un journaliste expérimenté qui a principalement travaillé dans la ville de Kumanovo, au nord de la Macédoine. Il s’est fait tout particulièrement connaitre durant la décennie 1990 pour des articles sur la contrebande de tabac et les activités criminelles attenantes. À l’époque, le journaliste avait été agressé avec des battes de baseball dans la station radio de Kumanovo où il travaillait.

Ces dernières années, Zoran Bozinovski a été très actif sur son blog Burevesnik. Il a révélé des informations confidentielles sur des irrégularités commises par le gouvernement et de la classe dirigeante, qu’il a publiées pendant son séjour à Novi Sad, en Serbie. Il a également été l’auteur de certains articles controversés inspirés des théories du complot. Il a ainsi échafaudé une théorie selon laquelle [le célèbre chanteur macédonien Toshe Proeski ne serait pas mort dans un accident de la route en 2007 en Croatie, mais aurait été tué par les organisations criminelles, voire même pourrait être vivant et caché quelque part.

Accusations d’espionnage

En 2012, les autorités macédoniennes ont accusé dix-huit personnes d’espionner pour le compte de services secrets de pays voisins. Le groupe a été accusé d’association de malfaiteurs, d’espionnage et d’extorsion. Zoran Bozinovski était l’un d’entre eux. Selon le Parquet, il aurait fait chanter des hommes d’affaire, des politiciens et des fonctionnaires, en leur demandant de l’argent pour ne pas divulguer sur son blog des informations les concernant.

Ce groupe comprendrait également d’anciens agents des services secrets et de la police, l’ancien directeur de la commission des délits financiers, l’ancien chef du cabinet du président du Parlement. Fin de 2014, 17 accusés sur dix-huit ont été condamnés à des peines allant de la liberté conditionnelle à quinze années de prison. Huit ont été condamnés pour espionnage, les autres pour des délits mineurs. Zoran Bozinovski est le seul à avoir subi un procès spécial. Il était à l’époque en Serbie, où il avait demandé l’asile politique.

L’Association macédonienne des journalistes a reconstitué les faits : Zoran Bozinovski a été arrêté en 2013 à Novi Sad, au nord de la Serbie, sous un mandat Interpol émis par la police macédonienne. Il a ensuite passé plus de 300 jours dans un centre de détention de Novi Sad. Pendant ce temps, les protestations des associations de journalistes serbes ont porté leurs fruits, et Zoran Bozinovski a été relâché par les autorités de Belgrade en octobre 2014. Mais fin avril 2016, il a été de nouveau été arrêté et extradé vers la Macédoine.

« Procès politique »

Le procès de Zoran Bozinovski n’a pas encore commencé. En juin 2016, la Fédération internationale des journalistes a demandé aux autorités macédoniennes de relâcher Zoran Bozinovski. L’Association des journalistes de la Macédoine (ZNM) a également mis en garde l’opinion publique contre le retard injustifié de ce procès, qualifié de « politique ».

« La cour viole les droits de l’accusé à un procès équitable », souligne Naser Selmani, président de ZNM, ajoutant que Zoran Bozinovski a entamé une grève de la faim pour obtenir une relaxe. Malgré les recours, le début du procès a été renvoyé une deuxième fois « à cause de la situation personnelle et familiale du juge Sandra Krstić », informe un communiqué sur le site de ZNM.

L’organisation accuse les institutions, au premier chef desquelles les tribunaux, d’être inéquitables. « La cour n’impose pas la détention pour les anciens fonctionnaires du gouvernement suspectés de délits graves, mais garde un journaliste en détention provisoire, sans le moindre motif. La détention ne sert pas à garantir un procès ininterrompu, elle s’est transformée en punition. » Selon l’organisation, le gouvernement n’a pas réussi à tirer les leçons du cas Kezarovski. Pire, il a commis une erreur plus grave en demandant l’extradition de Zoran Bozinovski.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.