Démographie : en 30 ans, la Moldavie a perdu 40 % de sa population

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La Moldavie est-elle un pays en voie d’extinction ? Démographiquement parlant, les chiffres sont alarmants. L’exode reste une stratégie de survie face à la pauvreté, dans un cercle vicieux amplifié par la guerre et la crise économique actuelles.

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Par Florentin Cassonnet

À Șoldănești, dans le nord de la Moldavie.
© Florentin Cassonnet / CdB

Le Bureau moldave des statistiques a publié le 29 janvier le nombre réel d’habitants vivant en Moldavie, calculé selon une nouvelle méthodologie améliorée. Cette étude révèle un chiffre alarmant de seulement 2,6 millions de personnes. En 1990, 4 335 360 personnes vivaient Moldavie, selon le recensement de l’époque. Il s’agit donc d’une impressionnante chute de 40 % de la population en 30 ans, une crise démographique sans précédent, plus importante que pendant les années de famine et les déportations staliniennes.

« Nous n’avons pas vu ça au cours des 200 dernières années : aucune guerre, famine ou occupation n’a produit un tel désastre démographique. Ni les Turcs, ni les Russes, ni les communistes ni les fascistes ne sont parvenus à engendrer une telle catastrophe démographique », souligne Vasile Ernu, écrivain roumain né à Odessa et grandi en Moldavie.

L’exode, la mortalité élevée et la faible natalité sont les causes de ce déclin démographique. « La dépopulation peut être observée à l’œil nu à seulement 50 km de la capitale Chișinău, où l’on traverse des villages déserts avec peu de fenêtres éclairées la nuit, des fermes délabrées, des écoles laissées en ruine, des toits cassés, des portes arrachées », note Vitalie Ciobanu, journaliste moldave et rédacteur en chef de la revue littéraire Contrafort.

Devant la balance démographique, l’exode est la principale cause du dépeuplement. Concrètement, en moyenne 150 000 personnes quittent le pays chaque année – principalement des jeunes – et environ 100 000 reviennent – principalement des personnes de plus de 50 ans qui ont accumulé du capital.

L’exode comme stratégie de survie

Pourquoi les gens partent-ils ? Vitalie Ciobanu évoque les « politiques prédatrices » des différents gouvernements depuis 30 ans, dominés par le cynisme, la corruption, le manque de vision à long terme et la priorité donnée à l’enrichissement personnel plutôt qu’au bien commun.

Eduard Mihalaș, analyste du programme de population et de développement à l’Agence des Nations unies pour la population (UNFPA), souligne la « déception » des citoyens envers leur pays.

Selon l’économiste et sociologue moldave Dorina Roșca, en 2005, environ 20 % de la population active avait choisi d’émigrer comme « stratégie de survie ». Aujourd’hui encore, la pauvreté est l’un des principaux moteurs de l’exode et plus de 50 % des ménages ruraux dépendent des transferts de fonds depuis l’étranger.

Mais il s’agit aussi d’un phénomène « naturel » pour le Vieux Contient (et d’autres régions du monde), avec des migrations de la main-d’œuvre vers les zones plus favorables à la vie personnelle et professionnelle. Ce mouvement a été encouragé par la libéralisation du régime de visa avec l’Union européenne en 2014, ainsi qu’un mécanisme mis en place par la Roumanie, par lequel les citoyens moldaves faisant preuve d’un grand-parent ayant vécu lorsque la Moldavie faisait partie de la Roumanie, entre 1918 et 1940, peuvent obtenir le passeport roumain, donc européen. Près d’un million de Moldaves auraient ainsi obtenu la nationalité roumaine, ce qui a facilité leur émigration.

Projections pour 2040 : 1,7 millions d’habitants

Le domaine de la santé est l’un des plus touchés par l’exode. Non seulement dans les hôpitaux régionaux, où le manque de personnel est de 30 à 40%, mais aussi dans les centres médicaux de la capitale Chișinău, la situation est alarmante et il est de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous pour une consultation.

La crise démographique a également durement touché l’éducation. L’« optimisation » des écoles dans les campagnes se fait déjà depuis plus de dix ans, car il y a de moins en moins d’enfants. Le nombre d’étudiants inscrits à l’université en Moldavie connaît également une baisse drastique : de 128 000 en 2006, il est tombé à 50 000 en 2022. Selon les études de l’UNFPA, environ 15,5% de la population a l’intention de quitter le pays dans les trois prochaines années, un tiers d’entre eux sont des jeunes.

À ce rythme, en 2040, la Moldavie sera un pays de 1,7 million d’habitants, et plus de la moitié de ses habitants auront plus de 50 ans.

Que peut faire le gouvernement actuel pour ralentir la tendance ? Eduard Mihalaș conseille de mettre en place des programmes pour aider ceux qui veulent avoir des enfants. « Sans un doublement des salaires, la migration ne peut pas être arrêtée », ajoute l’économiste Viaceslav Ioniță. Mais « nous ne pourrons pas garder les gens en Moldavie simplement en leur donnant de l’argent », note Marcel Spatari, ancien ministre du Travail et de la Protection sociale. « Les gens veulent aussi de meilleurs services publics et une sécurité pour leur futur, un emploi stable et une bonne éducation pour leurs enfants. »

Comment réaliser tous ces investissements dans le contexte actuel ? « Le gouvernement de Maia Sandu a hérité d’un pays dévasté qu’il tente de rafistoler au fur et à mesure », juge Vitalie Ciobanu. « Il essaie de mettre en place des mesures pour renforcer l’économie, augmenter les allocations sociales et restaurer l’environnement, mais tant que la guerre en Ukraine et la crise énergétique se poursuivront, le gouvernement aura du mal à maintenir l’État à flot. Sans l’aide budgétaire des partenaires occidentaux, la Moldavie s’effondrerait, elle serait tout simplement en faillite. » La quadrature du cercle démographique moldave est loin d’être réglée.

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.