Blog • Tirana : ouverture du musée-studio consacré à Ismaïl Kadaré

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Inauguré le 28 mai à Tirana, l’ancien appartement des Kadaré est à présent un musée ouvert à tous. Le couple y a vécu de 1973 à 1990 et c’est là que l’écrivain a couché sur le papier quelques uns de ses plus grands romans, parmi lesquels Le Crépuscule des dieux de la steppe, Avril brisé, La niche de la honte, Le palais des rêves, Le dossier H., etc.

Les terrasses des cafés de Tirana, en ce joli mois de mai, bruissent des dernières nouvelles, parmi lesquelles celle de l’ouverture de la demeure du célèbre écrivain, à la fois controversé et admiré. Avec deux amies, je me glisse à mon tour dans le bâtiment de béton, monte les étages et pénètre dans l’antre d’un mythe, archétype de la matrice maternelle, qui représente à lui seul le monde littéraire d’un « maître de l’imaginaire et de la poésie » comme le décrivait son traducteur Jusuf Vrioni.

Un musée mais surtout pas un mausolée !

Deux guides nous accueillent chaleureusement pour évoquer l’œuvre de l’écrivain mais aussi la vie de la famille Kadaré. Le salon meublé d’une bibliothèque en bois des années 1970, le bureau de l’auteur dont un des murs est couvert des livres qu’il a laissé derrière lui quand il a quitté sa patrie en octobre 1990, pensant peut-être ne jamais y revenir… Et cette cheminée, la seule à trôner dans un bâtiment moderne, est peut-être le signe de l’attachement d’un homme imprégné de sa ville natale, Gjirokastra, au Sud du pays.

C’est l’architecte de l’immeuble, Maks Velo - par ailleurs condamné à huit ans de prison pour « cubisme », une déviance artistique aux yeux du régime - qui l’a installée à la demande de Kadaré. Une anecdote : la guide raconte comment chaque convive était invité, dès les années 1970, à apporter une bûche à chaque visite pour l’alimenter.

Le logis est composé de deux appartements réunis qui permettaient aux Kadaré de disposer d’un espace public et d’un autre familial séparés. Dans le bureau de Kadaré, sa table de travail, qu’il affectionnait particulièrement, à côté de la fenêtre où il passait le plus clair de son temps. Moi, je me retrouve face à face avec la photo de Marcello Mastroianni dans le rôle titre dans le film Le Général de l’Armée morte, tourné par Luciano Tovoli avec Michel Piccoli et Anouk Aimée.

Dans les autres pièces de réception, des ouvrages et des photos sont mis à disposition du public, notamment les plans et dessins se rapportant au bâtiment, des photos anciennes des rues de Tirana avec une allusion à l’époque dorée dite de « Brodaway », favorable aux rencontres et donc à tous les possibles dans la tourmente de la folie répressive du régime communiste dictatorial.

« Mon œuvre n’obéit qu’aux lois de la littérature »

Autre espace exploité pour retracer l’ambiance d’une époque récente de l’histoire contemporaine de l’Albanie, la partie privée de l’ancien appartement est conçue comme un centre de ressources. Une pièce consacrée à l’étude est équipée d’ordinateurs reliés aux fichiers de la Bibliothèque nationale pour faciliter les travaux des étudiants et des lycéens sur l’œuvre de l’écrivain.

L’autre pièce ouvre sur une séquence intitulée L’histoire en image avec la projection en continu d’extraits de films réalisés à partir des romans d’Ismail et d’un scénario d’Helena Kadaré en s’appuyant sur les productions du Kinostudio d’Albanie. Nous sommes plongées dans le noir pour apprécier quelques séquences de l’adaptation cinématographique du roman Le Grand Hiver, traduit en française par le regretté Jusuf Vrioni chez Fayard en 1978, qui décrit la rupture survenue au cours de l’hiver 1961 entre l’URSS et le plus petit pays du camp socialiste.

Un autre extrait est présenté : il s’agit du film dont on pourrait traduire le titre en français La jeune marié et le couvre-feu, sur un scénario d’Helena Kadaré, qui raconte l’acte héroïque d’une jeune fille , auteure d’un attentat contre l’envahisseur nazi, qui est obligée de revêtir une robe de mariée pour semer ses poursuivants.

Également auteur de poésie, Ismail Kadaré a publié une cinquantaine de romans et d’essais dont le dernier, à paraître, Dispute au sommet, traite des rapports entre dictature et écriture.

A lire dans les blogs sur le Courrier des Balkans :
 de Pierre Glachant un billet sur Mondes effacés de Jusuf Vrioni.
 de Nicolas Trifon, une recension sur l’ouvrage de Jean-Paul Champseix sur Ismaïl Kadaré : une dissidence littéraire, paru aux Éditions Honoré Champion dans la collection "Bibliothèque d’études de l’Europe Centrale n°22", 2019, 1 vol., 484 p., broché, 15,5 x 23,5 cm. ISBN 978-2-7453-4956-9 ; 55€

Crédit photos : Evelyne Noygues