Au cœur du Paris des galeries d’art, Razart Events présente plusieurs artistes peintres parisiens, tous originaires d’Albanie ou du Kosovo, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés connu pour être le rendez-vous de nombreux artistes du monde des arts, de la littérature ou encore du cinéma.
Arben Selimi : vernissage le mercredi 16 novembre à 19h
Arben Selimi est né à Shkoder Albanie en 1964. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Tirana en 1987, il est installé en France depuis 1995. Arben a exercé comme scénographe pour plusieurs théâtres et compagnies avant de fonder sa propre maison d’édition, "Benart Editions", en 2004.
Au cours de ses pérégrinations, Arben Selimi est devenu depuis plusieurs années un habitué du quartier de Bagnolet, à l’Est de Paris. La série qu’il présente à la galerie Babel a pour sujet principal les structures, souvent massives et imposantes, des lieux qu’il fréquente au quotidien. Il peint sa vision d’un milieu urbain très dense et bétonné, aux choix architecturaux d’une époque qui appartient désormais au passé mais qui pousse l’artiste à s’interroger sur le monde qui l’entoure.
Dans les toiles d’Arben Selimi, des plans enchevêtrés, des détails singuliers, de rares perspectives happent le spectateur avec une étonnante douceur formelle. Au-delà du constat brut de l’objet montré, c’est la touche du regard inquiet et perplexe du peintre qui lui ouvre la voie dans ses paysages quotidiens.
Deux œuvres intitulées "Promenade" ont, en particulier, pour sujet l’intérieur de la gare routière de Bagnolet avec les quais où circulent les passagers. Les notions de départs et d’arrivées sont renforcées par les lignes de force (ou "de fuite" comme les présente l’artiste) qui ponctuent les deux toiles : un mouvement légèrement incurvé, dans l’une, comme pour mieux prendre de l’élan, et l’attente des voyageurs de dos, dans l’autre, comme dans un sas de décompression ... peut-être !
"Ne pas être né dans la banlieue de Bagnolet me laisse la liberté de la quitter plus facilement mais ses structures de béton et de néons, ses lignes de force me poursuivent dans toutes les toiles exposées à la galerie Babel. Des lignes qui parfois s’étirent à l’infini pour devenir des images abstraites ne sachant à quel monde elles appartiennent. L’homme habite dans un endroit précis mais, en même temps, il est habité par ce lieu et son environnement : une interférence à la fois vitale et universelle."
Arts plastiques et urbanisme : la tyrannie du béton
Dans la relation intime qui lie le peintre avec sa ville natale, l’eau est un élément omniprésent qui reflète sa sensibilité artistique. De son enfance à Shkodra, Arben retient la force de la nature face à une architecture à la fois rudimentaire, très près du sol et peu protectrice. Ensuite, seulement, est arrivé le béton. Avec l’idéologie marxiste-léniniste puis l’avènement, au lendemain des années 80, d’une économie de marché chaotique, les règles ont changé : adieu au savoir-faire traditionnel et aux dogmes de l’esthétique communiste. Bonjour à la concurrence effrénée et à la recherche du profit. Depuis les années 90, l’Albanie est entrée dans une frénésie de constructions tous azimuts.
Pour l’artiste, dans son enfance, l’omniprésence de l’eau à Shkodra prenait une forme concrète avec le lac. Alors qu’il s’étirait à la vue de tous, celui-ci est à présent caché par les constructions de ces dernières années qui ensevelissent le paysage urbain sous des tas de gravats et de bétons. La citadelle, emblème de la ville, est éclipsée par de fâcheux bâtiments disposés de manière anarchique. Les rues étroites, fatales à la circulation croissante, vont à l’encontre des solutions développées par de plus en plus de villes qualifiées d’ "intelligentes" pour un urbanisme durable qui intègre les réseaux numériques. Pour Arben, un vrai défi pour Shkodra serait de combiner un savant mélange entre l’ancien et le moderne : le premier étant source d’inspiration pour mieux accompagner le second. Respect, attention et culture étant, pour l’artiste, des concepts à forte valeur ajoutée à développer.
Promenade.Crédit : Arben Selimi.
L’architecture est le visage d’une ville comme d’un pays
" Les choix des constructions que nous faisons dans nos villes sont destinés à rester à vie, inchangés et inéchangeables, imposés en quelque sorte à des générations entières. Cela n’est pas sans conséquence sur la physionomie d’une ville, d’un pays. Ce n’est pas comme un trait de crayon sur une feuille qu’on gomme d’un seul coup", rajoute-t-il, "ce sont de véritable balafres ou bijoux sur le visage d’une ville. Des générations entières sont ainsi condamnées à vivre entre « malédiction » et « enchantement »".
Et Arben de poursuivre : "Il y a peu de cas où des interventions révolutionnaires d’urbanisme et d’architecture sont entreprises au point de changer totalement l’histoire d’une ville. Le cas de Paris, avec le baron Haussmann, est une heureuse exception. Mais Paris reste unique de ce point de vue. C’est totalement différent avec les constructions des cités périphériques qui entourent les grandes villes."
Arrivé à Bagnolet, "Les premières confrontations ont été pour le moins brutale. J’ai plutôt eu le réflexe de fuir", reconnait Arben Selimi. "Ensuite, pour des raisons liées à mon activité professionnelle et au cours de ma vie, je suis resté et je m’y suis habitué petit à petit. Comme deux entités différentes qui apprennent à se connaître et à s’apprivoiser. Pour un peintre, traiter de ces sujets dans ses toiles représente un moyen de faire sien son environnement."
Amuse banlieue.Crédit : Arben Selimi.
Shkodra : source d’inspiration
Le lien étroit que Shkodra entretient avec l’eau est fascinant. L’élément liquide est partout. La ville est encerclée par ses rivières, son grand lac et, plus loin, par la mer. Comme si cela ne suffisait pas, le ciel est aussi très généreux en pluie ! Arben Selimi aime à me rappeler au cours de notre entretien que, lorsqu’il était gamin, ses pieds étaient trempés à longueur d’année : par les pluies en hiver et par les baignades en été.
"Avant que le pays ne rompe, en 1991, un sévère isolement maintenu par un régime autarcique, aucune chaussure ne pouvait résister à l’hiver... Pas un seul jour d’été sans plonger une tête dans l’eau, au risque de se faire gronder par son paternel !
La ville prenait les allures d’un navire, à la coque taillée dans le bois des futaies couvrant les alpages, appareillant droit vers la mer avec la citadelle de Rozafat en point de mire."
"Dans l’imaginaire d’un enfant, les montagnes entourant la ville étaient la meilleure barrière contre d’obscurs dangers au-delà de leurs contreforts. Lac et rivières fournissaient de quoi se nourrir et se distraire ! Au loin, les flots salés prenaient les allures d’une promesse d’un ailleurs toujours flou et captivant aux yeux d’un gamin attiré par le bout du monde… Inaccessible même si elle n’était qu’à vingt-cinq kilomètres, la mer, sous la dictature albanaise, pouvait se révéler un privilège. C’était comme traverser une frontière pour aller ailleurs."
En suspend.Crédit : Arben Selimi.