Médias et répression en Turquie : nouvelle audience dans le procès contre Cumhuriyet

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Une nouvelle audience du procès engagé depuis juillet contre 19 journalistes de Cumhuriyet se tient ce lundi 25 septembre au tribunal de Çağlayan, à Istanbul. Derrière le respecté quotidien de centre-gauche, c’est toute la presse indépendante turque qui est visée par le régime de Recep Tayyip Erdoğan.

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Par Selin Kaya

Le palais de justice de Çağlayan.
D.R.

Le 31 octobre 2016, 18 salariés du journal Cumhuriyet (La République) ont été interpellés et quatorze d’entre eux placés en garde à vue, bientôt rejoints par Ahmet Şık le 29 décembre. Ils sont accusés de « soutien à une organisation terroriste ». Cette accusation fourre-tout permet, depuis la tentative manquée de coup d’État du 15 juillet 2016, la traque de tous les opposants, notamment des partisans de Fethullah Gülen, et a pris des allures de véritable inquisition. Le journal, de tradition laïque kémaliste, a des problèmes avec la justice turque depuis 2015 et la publication d’un article dénonçant des ventes secrètes d’armes aux djihadistes en Syrie. Son rédacteur en chef, Can Dündar, toujours exilé en Allemagne, sera jugé par contumace.

Institution médiatique considérée comme « intouchable », journal respecté pour son sérieux et son ancienneté, les attaques directes dont Cumhuriyet fait l’objet depuis 2015 font encore monter d’un cran la pression contre la presse indépendante. Le caractère hautement politique du procès confirme aussi la mainmise du pouvoir d’Erdoğan sur l’appareil judiciaire.

Plongée dans l’absurde

Le compte-rendu des interrogatoires et la défense des accusés lors de l’audience de juillet ont mis en lumière l’absurdité des accusations. Les orientations éditoriales des journalistes ont en effet peu à voir avec l’idéologie des organisations qu’ils sont accusés de soutenir, à savoir le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et le FETÖ, l’organisation de Fethullah Gülen. Par exemple, Kadri Gürsel a lui-même été kidnappé par le PKK en 1995 et Ahmet Şık, dans son travail d’investigation, n’a eu de cesse de dénoncer l’infiltration des gülenistes au sein de l’appareil d’État avec la complicité de l’AKP, le parti du président Erdoğan. Le simple contact avec des personnes utilisant la messagerie cryptée Bylock (considérée comme l’outil de communication des gülenistes) fait partie des éléments avancés par le procureur pour faire tenir l’accusation.

Avec le procès de Cumhuriyet, « c’est le journalisme en tant que profession qui est jugé », résumait Bülent Utku, un des journalistes accusés. S’agit-il d’une tentative d’intimidation passagère ou la plongée dans l’absurde se poursuivra-t-elle ? En 2016, avec 160 journalistes emprisonnés et 150 organes de presse fermés, la Turquie s’est vue décernée le triste prix de « plus grande prison pour les journalistes » par Reporters sans frontières (RSF).