Grèce : le gouvernement conservateur emmure les réfugiés avec le soutien de l’UE

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Les 25 camps de demandeurs d’asile du continent grec seront bientôt tous cernés de murs de béton hauts de trois mètres. Officiellement « pour assurer la sécurité » des résidents. Soutenues par l’opposition et des eurodéputés, les associations de défense dénoncent une mesure inacceptable, qui isolera encore plus ces populations déjà fragilisées.

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Par Marina Rafenberg

Manifestation contre l’emmurement du camp de Ritsona
© Twitter / Solidarity with migrants

Cet article est publié avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll (Paris)


Au début du mois de mai, les demandeurs d’asile de Ritsona, un camp isolé au nord d’Athènes, ont été réveillés par le bruit des pelleteuses. En ouvrant les yeux, ils ont aperçu des murs gris hauts de trois mètres entourant leur camp. « Je me préparais pour aller en cours quand j’ai remarqué des bulldozers et des ouvriers à la porte d’entrée du camp. Ils m’ont dit qu’ils allaient construire un mur. J’ai eu l’impression de suffoquer », raconte Parwana Amiri dans son blog « Lettres de Ritsona ».

Arrivée en septembre 2019 sur l’île de Lesbos, la jeune Afghane, très active sur les réseaux sociaux, a déjà passé deux ans dans des camps de réfugiés grecs. « En construisant ce mur, ils nous coupent complètement du monde extérieur. C’est terrifiant », s’inquiète-t-elle, en se demandant comment les élèves pourront se rendre à l’école, ou les jeunes adultes essayer de trouver un job pour subvenir aux besoins de leurs proches.

Enfermer les migrants « pour leur sécurité »

Le camp de Ritsona héberge près de 3000 demandeurs d’asile dans des conteneurs blancs. Parmi eux, quelque 900 enfants, dont la plupart ne sont toujours pas scolarisés. Aucun bus n’est mis à disposition pour se déplacer depuis l’épidémie de Covid-19 et les demandeurs d’asile ne sont que peu autorisés à sortir de l’enceinte.

Alertée par Parwana Amiri et d’autres réfugiés sur les réseaux sociaux, l’eurodéputée polonaise Janina Ochojska s’est récemment rendue sur place. L’élue de la Plate-forme civique, membre du Parti populaire européen (PPE), tout comme la formation du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, a dénoncé une « évolution inquiétante » et « le durcissement de la politique migratoire grecque ».

« Le village le plus proche est à 14 km, les enfants ne peuvent pas aller à l’école publique et se rendre à une consultation chez un médecin est compliqué », s’est-elle émue. « Quand j’ai demandé au ministère pourquoi ils construisaient des murs autour des camps, on m’a répondu que c’était pour la sécurité des migrants, pour éviter que des trafiquants ne pénètrent dans le camp et n’y vendent des drogues par exemple. Or, il n’y a rien autour du camp à des kilomètres, c’est ridicule ! »

L’avenir de ces enfants passe par l’intégration et non leur exclusion.

Une pétitionBuild Schools Not Walls ! - A World of Neighbours (Construisez des écoles, pas des murs, un monde de voisins) a été lancée en ligne pour tenter d’arrêter la construction de ces immenses barrières de béton et Janina Ochojska a informé le Parlement européen de la situation. « Le problème, c’est la lenteur des décisions. L’Europe réagit trop lentement et malheureusement, il y a une majorité de dirigeants européens qui ne se sentent plus vraiment concernés par le sort des demandeurs d’asile aux frontières de l’Europe », poursuit l’élue polonaise.

Miltos Chatzigiannakis, député Syriza de l’île d’Eubée, a aussi tenté d’aborder le sujet au Parlement pour faire reculer le gouvernement conservateur. « Ce mur participe à la ghettoïsation des réfugiés et créé encore davantage d’obstacles pour la scolarisation des jeunes enfants et l’octroi de l’asile », a-t-il lancé. « L’avenir de ces enfants passe par l’intégration et non leur exclusion de la société grecque. » Du côté de l’équipe de Kyriakos Mitsotakis, on se refuse à tout changement de cap. « En tant que pays de réception, la Grèce ne devrait pas participer à l’intégration des réfugiés », a martelé le ministre des Migrations, Notis Mitarachi, lors d’une récente rencontre à Bruxelles avec ses homologues européens.

Une politique soutenue par la Commission européenne

Quatre camps sont déjà pratiquement entièrement murés en Grèce : Ritsona et Malakasa au nord d’Athènes, Nea Kavala et Diavata au nord du pays. On parle de 21 autres centres de réception sur le continent qui devraient être également concernés. Dans le camp de Diavata, à proximité de Thessalonique, Samir broie du noir : « Cela fait déjà deux ans que je suis bloqué en Grèce et je n’ai toujours pas de papiers. Je n’ai pas la possibilité d’étudier, ni de travailler. Ce mur ne va rien arranger, nous allons encore plus nous sentir comme des individus de seconde catégorie ! ».

Dans le plan stratégique 2020-2021 du gouvernement grec pour les nouveaux centres fermés prévus sur les îles, plusieurs propositions confirment cette volonté d’isolement des réfugiés : construction d’une double barrière de barbelés, des sorties autorisées entre 8h et 20h et en nombre limité par semaine, un système de vidéosurveillance, des détecteurs de métaux à l’entrée, des drones survolant les camps. Les demandeurs d’asile devront en outre présenter des badges à l’entrée et à la sortie des camps.

La Commission européenne a décidé de soutenir le financement de ces nouveaux centres de réception fermés à hauteur de 251 millions d’euros. « Tout cet argent pourrait être utilisé pour permettre aux demandeurs d’asile et aux locaux de vivre ensemble », soupire Janina Ochojska.