En Grèce, la double peine des exilés LGBTQ+

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En Grèce, la situation des demandeurs d’asile appartenant aux communautés LGBTQ+ est plus difficile que jamais, en raison de la complexité et de la lenteur des procédures, mais aussi des attaques de la police et des autres réfugiés. Quelques organisations se mobilisent pour leur venir en aide. Reportage.

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Par Romain Chauvet

Yuli, demandeuse d’asile cubaine, au centre-ville d’Athènes
© Romain Chauvet / CdB

« J’ai la pire combinaison possible, je suis noire et trans », explique Yuli en riant. Cette demandeuse d’asile cubaine réfugiée à Athènes a quitté il y a quatre ans son île natale dans l’espoir de construire une vie meilleure en Europe, mais surtout de goûter enfin à la liberté. La première étape de son long périple a commencé à Moscou, les Cubains n’ayant pas besoin de visa pour se rendre en Russie. Elle y a travaillé durant quelques mois, avant que ses employeurs ne découvrent qu’elle était trans et qu’ils ne la mettent à la porte. Elle a néanmoins réussi à amasser un peu d’argent, lui permettant de poursuivre son périple vers l’Europe.

Mais la Russie l’aura marqué à jamais. « J’ai eu beaucoup de problèmes, surtout avec la police, qui m’a persécutée. Très souvent des policiers m’amenaient dans leur voiture, me faisaient des mauvaises choses [elle a été violée] et me laissaient de l’autre côté de la ville, sans habits et dans le froid. Mais on ne peut rien faire contre la police en Russie, à cause de la corruption. » Dans sa jeunesse, Yuli avait déjà été agressée sexuellement par le frère de son père, tandis que ce dernier, alcoolique, la battait. Autant de raisons de s’accrocher à son rêve. « Mon seul but était de trouver la liberté. »

Yuli quitte alors la Russie pour la Turquie, puis rejoint la Serbie en avion. De là, elle se dirige vers la Grèce en traversant la Macédoine du Nord à pied. « C’était tellement difficile. Beaucoup de gens me regardaient et appelaient la police, en raison de ma couleur de peau. J’ai aussi dû me battre avec d’autres personnes qui essayaient de me toucher. C’était tellement dangereux, j’avais peur. Tu ne sais jamais vraiment ce qui peut t’arriver en marchant seule la nuit », confie-t-elle en tremblant. On sent le traumatisme de son parcours encore très présent.

Comment une personne noire, trans et sans papiers peut-elle trouver un emploi ?

Le cauchemar ne s’arrête pas là. Une fois arrivée à Athènes, elle se retrouve à devoir dormir dans la rue pendant plusieurs mois, par manque d’argent et faute de soutien des autorités. Elle se prostitue. « Je n’avais pas d’autres choix pour gagner de l’argent. Comment une personne noire, trans et sans papiers peut-elle trouver un emploi ? » Depuis, elle a déniché un logement, qu’elle partage avec d’autres personnes trans, mais elle est toujours en attente de sa demande d’asile. Entre-temps, elle fait des ménages dans des locations de courte durée. Elle ne regrette pas son dur voyage, car rester à Cuba aurait été pire. Là-bas, elle subissait une oppression sociale et politique (du régime communiste).

Des histoires comme celle de Yuli, Elise Loyens, coordinatrice médicale à Médecins Sans Frontières (MSF) à Athènes, en entend souvent. Surtout depuis l’année dernière, quand les conditions pour les demandeurs d’asiles se sont détériorées en Grèce. « Plusieurs facteurs ont complexifié la situation en 2022, comme la fin du programme de logements pour les plus vulnérables (ESTIA), la mise en place de camps fermés, la complexité des procédures… Tout cela touche encore plus les personnes LGBTQ+, qui sont déjà souvent vulnérables et cherchent une protection. »

Pour remédier au manque de soutien des autorités, particulièrement pour les membres de la communauté LGBTQ+, MSF a ouvert en 2016 une clinique dans le centre-ville d’Athènes. Plusieurs services sont offerts, comme des consultations pour parler de santé sexuelle, des dépistages ou encore des séances de soutien psychologique. « Nos équipes sont formées et sensibilisées pour prendre en compte les enjeux particuliers qui touchent la communauté LGBTQ+. » MSF offre aussi plusieurs hébergements temporaires aux demandeurs d’asiles les plus vulnérables, pour palier à la fin du programme ESTIA.

Une situation encore pire sur les îles ?

La mise en place de camps fermés pour les réfugiés sur les îles grecques inquiète depuis des mois de nombreuses ONG, qui les comparent à des prisons. Les contrôles y sont incessants, tout comme les restrictions de liberté. « C’est encore plus difficile pour les demandeurs d’asile LGBTQ+. Ces derniers doivent cacher leur identité dans les camps, où la situation peut être dangereuse pour eux. Pour les personnes trans, c’est encore pire, car leur condition est plus visible. La seule solution est de dissimuler complètement son identité, mais quelle genre de vie est-ce ? », se demande Anwuli Dega, de Lesvos LGBTIQ+ Refugee Solidarity.

Cette association essaie tant bien que mal d’accompagner les membres de ces communautés et de leur offrir des espaces sécurisés, en dehors du camp de Lesbos, où ils peuvent être qui ils sont réellement. Mais pour ces personnes qui ont déjà vécu des traumatismes, la situation est difficile selon l’ONG, qui évoque des violences verbales et physiques « quasi-quotidiennes » de la part des autorités, mais aussi des autres demandeurs d’asiles. « Ils ont dû cacher leur identité toute leur vie et sont encore obligés de le faire, ce qui n’est pas normal. Ils ont peur d’aller aux toilettes et de se faire violer ou agresser », rapporte Anwuli Dega.

L’ONG déplore aussi le manque de formation du personnel qui conduit les entretiens pour les demandes d’asile. « Il y a beaucoup d’a priori, très souvent ces gens ne croient pas les demandeurs d’asile qui s’identifient LGBTQ+. Ils doivent répondre à des questions très personnelles. De plus, la décision d’accorder l’asile ou non est très subjective. Si la personne en face de vous ne vous croit pas, alors c’est un refus », déplore encore Anwuli Dega, qui rappelle que beaucoup de réfugiés risquent la prison ou la peine de mort s’ils retournent dans leur pays d’origine. Avec d’autres ONG, Lesvos LGBTIQ+ Refugee Solidarity demande donc la mise en place d’espaces dédiés aux demandeurs d’asiles LGBTQ+ dans le camp, et in fine la fin de ces centres.

La Commission européenne, qui finance la construction de ces camps, dit (par email) qu’il est de la responsabilité des États de s’assurer « de la protection de la sécurité des personnes, y compris des ressortissants de pays tiers, résidant sur leur territoire », et que les services de sécurité présents au sein du camp « ont amélioré le sentiment de sécurité des demandeurs d’asile ». De son côté, Yuli bénéficie d’un soutien psychologique pour affronter ses traumatismes et ses crises de panique. Elle prend aussi le grec. Son rêve ? Obtenir des papiers, faire venir son chien et sa mère de Cuba, mais aussi trouver l’amour. « J’attends l’amour. Les Grecs sont compliqués mais intéressants », dit-elle en éclatant de rire.

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.