Blog • Verba Volant, Scripta Manent : Trésors de la Bibliothèque nationale d’Albanie

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La Bibliothèque nationale d’Albanie compte 1,3 million d’ouvrages, dont la numérisation est en cours. Pour son centième anniversaire, l’exposition « Verba Volant, Scripta Manent » présente ses documents les plus précieux. A Tirana, les amoureux des beaux livres sont aux anges car l’exposition est prolongée jusqu’au 11 novembre !

Pour mes recherches universitaires sur Jashar Erebara, un personnage méconnu de l’histoire de la « Renaissance albanaise » et la construction du jeune Etat albanais à la charnière du XIXe et du XXe siècle, j’ai eu le plaisir de faire plusieurs séjours à la Bibliothèque nationale de Tirana, et d’y être toujours chaleureusement accueillie par sa vice-directrice, Etleva Domi, ainsi que par l’ensemble des personnes en relations avec les chercheurs.

Le XXIe siècle en action avec e-Albanica !

2020 marque non seulement le 100e anniversaire de la création de la Bibliothèque nationale d’Albanie (BKSh) mais aussi son entrée dans le XXIe siècle grâce à un nouveau système de bibliothèque en ligne qui facilite grandement la consultation de son fonds quelque soit l’endroit du monde où l’on se trouve...

Plus de 265 000 pages de livres, magazines, manuscrits, antiquités sont désormais accessibles aux lecteurs, aux universitaires, étudiants et professeurs albanais et étrangers, sous forme de documents consultables numérisés, y compris avec la possibilité d’effectuer des recherches dans les textes. La bibliothèque numérique e-Albanica offre un accès croissant au patrimoine culturel national écrit et au-delà.

Dès à présent, 154 livres numérisés sont proposés au-delà des murs de la bibliothèque ; 127 collections de revues rétrospectives albanaises, principalement à caractère culturel avant 1945 ; 123 documents rares ; 178 manuscrits et 79 cartes.

A l’occasion du 100e anniversaire de la fondation de la BKSh, son directeur Piro Misha a rappelé son importance symbolique comme première institution culturelle centrale du nouvel État albanais. Sa création correspond à l’une des premières décisions prises par le Congrès de Lushnja, réuni en 1920, afin d’assurer le maintien de l’indépendance de l’Albanie au sortir de la Première Guerre mondiale.
Tout au long de 2020, plusieurs expositions se sont succédées dans des lieux différents comme, cet été, au Musée historique national qui a présenté des documents de presse d’il y a 100 ans. Des livres interdits au cours de l’histoire du pays ont également été exposés dans l’enceinte du Musée national de la surveillance secrète ou « Maison des feuilles ». Ce musée, qui se trouve dans l’ancien bâtiment de la Direction de la sureté de l’État, a reçu le Prix du Musée 2020 du Conseil de l’Europe.

L’Exposition de cet automne au COD (Center for Oppeness & Dialogue), situé sur l’artère principale de Tirana, présente des manuscrits inconnus non seulement du public mais aussi des chercheurs eux-mêmes. Elle est riche par le nombre de livres exposés, la qualité des publications vénitiennes ou arabes : Scripta Manent ! Y compris des feuilles jaunies portant une date d’impression au milieu du XVIe siècle, des presses à imprimer de Venise, Padoue, Vatican, Rome et Istanbul...

Sauvées d’une inondation en juin 2018, qui avait endommagé environ douze mille publications, ces pièces rares sorties des rayonnages de la BKSh sont plus intéressantes l’une que l’autre !

Le Missel de Gjon Bukuzu et les premières traces de l’albanais écrit

Le « Meshari i Buzukut », daté de 1555, est le plus ancien livre connu imprimé en albanais. Le spécimen exposé est inséré dans une boîte en bois, aux armes du Vatican. Il est accompagné d’un bandage rouge, attaché à une plaque de métal avec la note gravée : « Exemplaire spécial du premier livre en albanais : Meshari, oeuvre du cler Gjon Buzuku don du Pape François ». La première feuille jointe au spécimen de ce livre liturgique est écrite à la main par Mario Roques, qui donne des informations sur les feuilles manquantes, tandis que la deuxième feuille du manuscrit donne des informations sur les publications ultérieures de ce missel.

Un autre trésor est la « Compagnie des Prophètes » de Pjetër Bogdani

Pjetër Bogdani, docteur en philosophie et théologie, ancien évêque de Shkodra et administrateur de Bar, archevêque de Skopje et administrateur de tout le Royaume de Serbie. L’ouvrage compilé en « épirotie » italienne et albanaise, a été publié à Padoue, en 1685.

« La vérité infaillible de la foi catholique » de Pjetër Bogdani, auteur du premier livre connu écrit en prose, est publiée à Venise à la fin du XVIIe siècle. Il ne s’agit d’une œuvre originale en prose, la première à être connue en albanais. Elle a l’avantage de présenter les deux langues, face à face, sur deux colonnes : à gauche en italien et à droite en albanais. La version albanaise est écrite dans l’alphabet latin adapté de l’italien, en utilisant les lettres cyrilliques de Pjetër Budi et Frang Bardhi, tous les deux écrivains de la première heure et figures importantes du clergé catholique. Dans la préface, l’auteur développe son point de vue sur la préservation et le traitement de la langue albanaise comme outil de développement de la culture. Dans les deux parties du livre, sont rassemblés onze poèmes de Bogdani, des traductions et des originaux.

On apprend aussi que Pjetër Budi, connu comme un écrivain de la littérature albanaise ancienne, a fait quant à lui œuvre de traducteur avec un ouvrage sur la « Doctrine Chrétienne ». La troisième édition porte la date de publication 1664, « compilée par ordre du Pape éclairé Clément VIII, par le très vénéré Robert Belarmino, prêtre de l’Ordre de Jésus, plus tard cardinal, traduit par Peter Budi de la Pierre de Bardhë, évêque de Sapa et auteur de quatre ouvrages religieux en albanais ».

Assemblée Arbri et histoires sur Skanderbeg

Un autre document passionnant à décrypter est présenté au public...

Sous le pape Clément XI, « L’Assemblée nationale provinciale d’Arbri » a été publiée à Rome en 1706. Ce document est significatif d’une facette méconnue de l’histoire de l’Albanie et de l’église. Les décisions prises par cette assemblée qui s’est tenue en janvier 1703, dans l’église de Saint-Jean le décapité (référence à la Décollation de Jean-Baptiste) du village de Merçi de Lezha, permettent de mieux comprendre l’organisation de l’État et de l’église, l’utilisation de la langue albanaise notamment dans les écrits religieux, l’ouverture d’écoles et la publication de livres en albanais, etc. comme moyen de ralentir la conversion de la population à la religion musulmane.

Les actes de l’Assemblée d’Arbri, en langue albanaise, ont été imprimés par la suite en langue albanaise en 1706. En tout premier lieu, ils ont une valeur importante en tant que document linguistique.

« Sur le siège de Shkodra » et « Histoire de Skanderbeg » par Marin Barleti. Dans le livre dédié au prince de l’aristocratie vénitienne, Léonard Loredani, on apprend que diverses conférences sont données, magistralement, par Mehmet, le prince des Turcs et d’autres commandants de l’armée...

« L’histoire de Skanderbeg » est publiée à Rome en 1508-1510, par Marin Barleti, tandis qu’une véritable description originale et courte de toutes les guerres et actes héroïques et célèbres de Skanderbeg, duc d’Épire et d’Albanie, contre les deux sultans de Turquie , est également publié à Francfort-sur-le-main en Allemangne, en 1577.

Un autre ouvrage, publié en 1539, conserve les commentaires du clerc et humaniste albanais Dhimitër Frëngu sur les actes des Turcs et de Skanderbeg. Le livre est divisé en 42 chapitres écrits sur la base de « L’histoire de Skanderbeg » de Barleti, mais ils recèlent des informations qui ne figurent pas dans l’ouvrage de ce dernieri.

L’époque de la Renaissance albanaise

Poesie Albanesi de Jeronim De Rada a été publié à Naples en 1847. Il est exposé avec les œuvres de Sami Frashëri : un drame en six actes intitulé « Besa » et publié à Sofia en 1901 par l’imprimerie "Mbrothësia" et « Albanie ce qui a été, ce qui est et ce qui sera fait », une réflexion sur la sauvegarde de la patrie des dangers qui l’ont entourée ; l’ouvrage est publié à Bucarest en 1899.

Dora D’Istrias, Albanaise d’origine, née en Roumanie et devenue princesse russe, est présente avec « Fyletia Arbënore », une édition de 1867 imprimée à Livourne, qui traite de l’histoire de l’Albanie de l’occupation ottomane au début de la Renaissance albanaise et des Arbëresh de l’Italie. Un autre ouvrage sur la littérature et la langue albanaises de Dora D’Istria qui, lui, date de 1870, est intitulée « Gli Albanesi ».

Faik Konica, écrivain majeur et essayiste, est considéré comme l’un des fondateurs de l’identité nationale albanaise. Il était fondateur et directeur de la revue franco-albanaise Albania publiée a Bruxelles de 1897 à 1902.

Faik Konica est présenté non pas avec une œuvre, mais avec toute sa bibliothèque et son tampon "Ex Libris F.K", un cadeau de la cathédrale Saint-George et de la Fan Noli Library de Boston. La remise du timbre donne vie à la volonté de Faik Konica de faire partie du fonds de la Bibliothèque nationale.

Appelé par ses contemporains « le père de l’albanais » , à savoir de la lexicographie albanaise, l’ouvrage est connu sous le nom de « Dictionnaire de la langue », par Kostandin Kristoforidhi. Il a été préparé sous forme de dictionnaire bilingue albanais-grec, mais contient des éléments d’un dictionnaire explicatif ; l’alphabet est en lettres grecques complétées par des lettres latines.

Photo de la bibliothèque de Faik Konica reconstituée avec 300 volumes de son époque.