Blog • Une anthologie de poètes symbolistes bulgares enfin disponible en français

|

Une anthologie de poètes symbolistes bulgares enfin disponible en français : Des âmes vagabondes, choix des poèmes, notices biographiques et traduction du bulgare par Krassimir Kavaldjiev, avant-propos de Werner Lambersy, postface de Yordan Eftimov, Le Soupirail, octobre 2020 (avec le soutien du Fonds National de la Culture pour la traduction du ministère de la Culture de Bulgarie).

Krassimir Kavaldjiev, né à Sliven en 1969, a indirectement contribué à la création de feue la maison d’édition L’Esprit des péninsules, dirigée entre 1993 et 2007 par le désormais très médiatique Éric Naulleau [1]. Krassimir Kavaldjiev fut en effet l’élève de celui-ci au lycée francophone de Sliven, et commence très tôt à réaliser des traductions françaises d’auteurs de langue bulgare afin d’intéresser entres autres Éric Naulleau à la littérature bulgare. C’est pour pouvoir éditer une des traductions de Krassimir Kavaldjiev qu’Éric Naulleau a fondé sa première maison d’édition.

Krassimir Kavaldjiev est avant tout traducteur prolifique de classiques en langue française vers le bulgare, spécialisé dans les sciences humaines (Lacan, Derrida, Todorov, Kristeva) et les auteurs francophones belges, mais également traducteur d’œuvres de Camus, Houellebecq, Echenoz, Gary, Quignard, Makine, etc. Il a par ailleurs réussi à faire publier en français des traductions d’une dizaine d’ouvrages en langue bulgare, notamment d’Angel Wagenstein, de Georgi Grozdev, de Tchavdar Moutafov et de Zdravka Evtimova. Il s’est essayé à la traduction d’ouvres en vers avec les poèmes de Tsvetanka Elenkova, mais surtout en établissant deux anthologies : la première réunissant les principaux poètes bulgares symbolistes (désormais publiée) et la deuxième réunissant des poètes contemporains (encore inédite). Il devient ainsi un grand passeur entre les cultures franco-belge et bulgare.

Chaque poète de l’anthologie récemment éditée est présenté dans une notice biographique, où les noms sont proposés en transcription française, ainsi qu’en translittération scientifique. Une fois n’est pas coutume, la transcription française propose de transcrire la voyelle ъ par ă, à l’instar de la translittération en slavistique (par exemple pour Dimităr Boyadjiev/Dimităr Bojadžiev). La plupart du temps, les Bulgares commettent l’erreur, lorsqu’ils transcrivent le bulgare, d’assimiler la voyelle ъ à « a », à « ou », ou bien à « eu ». La loi bulgare « sur la translittération » ne fait qu’aggraver la confusion entre transcription et translittération, fort heureusement évitée par Krassimir Kavaldjiev.

Les poètes inclus dans l’anthologie ne sont pas tous à classer parmi les symbolistes à proprement parler, à l’instar de Pentcho Slaveykov, poète, critique et intellectuel précurseur des symbolistes.

Le symbolisme bulgare se caractérise par le fait qu’il est tardif, mais qu’il ne rompt pas entièrement avec le réalisme, ni avec la poésie engagée. Étant donné que la poésie bulgare aura été essentiellement orale pendant plusieurs siècles, les premiers poètes bulgares qui se mettent à imiter les courants occidentaux sont en réalité héritiers d’une tradition séculaire, qu’ils enrichissent. À l’époque où la prose bulgare était à la traîne par rapport aux prosateurs occidentaux, les poètes bulgares de langue bulgare atteignaient déjà des degrés de raffinement qui n’ont rien à envier aux grands classiques mondiaux. Avec les symbolistes, la poésie bulgare atteint son apothéose.

Exception faite des œuvres de Nikolaï Liliev et de Teodor Trayanov, publiées dans les tomes 2 et 3 des « écrits inédits » de Lubomir Guentchev, presque aucune traduction des quatorze poètes de l’anthologie n’était disponible en français [2].

Traduire la poésie en langue bulgare se révèle être une gageure difficile à tenir en raison de l’évolution propre à la langue source : celle-ci est bien moins normée que d’autres langues, même plus « petites » (par exemple le slovène, caractérisé par un certain purisme). La détermination des registres langagiers en bulgare est possible pour la langue administrative ou scolaire, mais en littérature, oralité et littérarité font bon ménage ensemble, tandis que la langue administrative et grammaticalement correcte (pourtant dite « littéraire ») est purement théorique, car peu usitée en pratique. De surcroît le lexique s’accommode de nombreuses variantes phonologiques, si bien qu’il y a souvent plusieurs façons de prononcer un même mot (à une syllabe ou un accent tonique près), sans qu’il soit aisé de déterminer quelle est la forme (la plus) correcte et quelle est la forme dialectale, ni si les variantes phonologiques emportent des nuances sémantiques. Enfin, la plupart des auteurs de langue bulgare écrivent « au feeling », sans se référer au moindre dictionnaire. Par conséquent, la traduction du bulgare, c’est avant tout un travail approfondi sur la langue source, ce qui ne se ressent pas forcément dans le résultat final. En effet, les ressources du français, langue beaucoup plus normée, codifiée et figée dans le temps et le microcosme de quelques grandes villes, ne permettent pas de rendre bien compte du caractère bancal, en pleine mutation, de la littérarité en langue bulgare. Dès lors, toute tentative de traduction fidèle risque de desservir l’original, même si elle a le mérite d’inciter le lecteur à consulter celui-ci (les rudiments du bulgare n’étant pas si difficiles à acquérir par comparaison avec d’autres langues européennes). Il appartiendra au lecteur non bulgarophone de se faire un avis sur l’effet produit par les traductions très fidèles et rigoureuses de Krassimir Kavaldjiev.

La nouvelle anthologie vient combler une lacune dans le paysage éditorial français, où l’on ne trouvait dans le commerce que quelques œuvres de poètes bulgares classiques, en dépit de l’exceptionnelle richesse de la poésie bulgare.