Blog • Alfred (Frédy) Foscolo, J’ai fait ce que j’ai pu… Curriculum vitae

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Compte tenu du petit nombre d’ouvrages spécialisés sur le communisme en Bulgarie et de ces qualités littéraires, le livre de Frédy Foscolo mérite une plus ample diffusion. Publier un livre d’une telle importance et d’une telle qualité au Luxembourg n’est peut-être pas une très bonne idée, le Luxembourg pourrait cependant servir de tremplin en vue d’une publication en France.

Alfred (Frédy) Foscolo, né à Sofia d’une mère bulgare et d’un père français issu de la lignée du poète italien Ugo Foscolo, a connu la Bulgarie d’avant l’arrivée au pouvoir des communistes lorsqu’il était enfant. Dans ses mémoires romancés publiés cette année au Luxembourg par d’Bréck [1], il fait le bilan de son combat politique contre le socialisme d’État en République « populaire » de Bulgarie, sous la houlette du Parti communiste bulgare.

Le père d’Alfred, originaire de Constantinople, était détenteur d’un passeport grec, tout en devenant professeur de français, ce qui l’amena à fonder la première école privée d’enseignement du français aux enfants à Sofia, capitale de la Bulgarie. Alfred naquit dans une Bulgarie qui lui plut tellement au cours de son enfance que sa transformation en satellite de l’URSS lui fut insupportable, au point de penser qu’il fallait renverser le régime communiste, tout comme le régime ottoman fut renversé en 1878. Cet engagement anticommuniste en tant qu’étudiant français retournant régulièrement en Bulgarie pour y retrouver sa fiancée lui valut un séjour en maison d’arrêt en tant qu’« espion français », libéré suite à une intervention des autorités françaises. Sa fiancée, puis épouse Raïna (qui vient de décéder, paix à son âme !) connut un sort similaire pour l’avoir fréquenté : mère célibataire, elle est accusée de traîner dans les bars et, pire, de fréquenter un espion qui aurait bafoué les lois socialistes et mis en danger le pays, tel un « djihadiste » de nos jours. Raïna ignore que Frédy a distribué un tract prônant le rapprochement de la Bulgarie avec les Communautés européennes en 1969. À l’accusation de fréquenter un espion, elle répond aux enquêteurs : « chacun son métier », ce qui lui vaut six mois d’emprisonnement, dont elle garde aussi quelques beaux souvenir : des chants tsiganes appris par des compagnes de cellule. Frédy et Raïna s’installent en France (avant de retourner en Bulgarie à l’âge de la retraite), mais ils ne sont pas au bout de leurs peines étant donné que le nom de Frédy continue à traîner sur la liste des personae non gratae pendant des décennies, même après 1989. Pour citer Frédy dans le texte :

« Il faut dire qu’en ces dernières années du XXème siècle, ma boîte – sans être brillante – tournait suffisamment bien pour m’autoriser de courts mais fréquents séjours en Bulgarie, notamment dans le cadre d’initiatives culturelles ou humanitaires. C’est ainsi que le 24 octobre 1996 je débarquais à Sofia d’un vol de la British, pour finaliser un projet de jumelage entre l’Association des handicapés de France et la toute récente Union bulgare des invalides, tout en comptant mettre à profit ce séjour pour prendre sur le vif le pouls du pays, alors qu’il semblait atteint d’un soudain accès de fièvre. Suite à une série de faillites de banques aux origines obscures et aux capitaux douteux, l’inflation rampante s’était, au printemps, soudainement envolée. Pour corser le tout, l’ex-Premier ministre Andrej Lukanov – parrain notoire de la mafia rouge, célèbre pourvoyeur de réseaux occultes en mallettes bourrées de devises – avait été au début du mois froidement abattu de quatre balles devant son domicile par un professionnel, et cela à trois semaines d’une élection présidentielle qui, selon la rumeur, accordait l’avantage au candidat des Bleus. Ces circonstances et le retournement d’opinion, valaient assurément de me fendre d’un papier pour le prochain numéro de La Nouvelle Alternative. Le démantèlement du rideau de fer, et mes fréquents allers-retours dans le pays ayant émoussé mes angoisses viscérales, au contrôle frontalier, je présentais l’esprit serein mon passeport au guichet, sans m’attendre à être brutalement rabroué par le fonctionnaire : « Interdiction de territoire, mets-toi de côté ! ... ». Colère froide et prise de bec :

« Il doit y avoir erreur, j’ai déjà effectué au moins huit fois ce contrôle sans problèmes, alors veuillez vérifier ».

« C’est tout vu, y’a pas d’erreur, ce sont les consignes, tu rembarques illico sur le vol de retour sans faire d’histoires ».

« Inadmissible, je suis attendu, laissez-moi au moins téléphoner… »

« Pas question, retire-toi et libère le passage ».

Le tutoiement et l’insolence du ton ne firent qu’attiser mon indignation : « Pas question ! Comme vous pouvez le voir, je suis né à Sofia et ne permets à personne de m’interdire l’entrée au pays, alors laissez-moi passer, en tout cas je ne bougerai pas d’un pouce !... »

À son signal, deux flics en tenue accoururent me maîtriser et me jeter sur un banc près du radiateur auquel je me retrouvais prestement menotté d’une main » (pp. 501-502).

Frédy Foscolo couvre la Bulgarie en tant que journaliste à la Nouvelle alternative jusqu’au milieu des années 2000. Il est l’auteur de nombreux articles et traductions, tant en français qu’en bulgare. Ses mémoires, rédigés dans un français élégant et soigné, invitent à la réflexion sur l’unité européenne.

« J’ai fait ce que j’ai pu »

« Ce travail de mémoire est remarquable… Outre que d’un bout à l’autre du récit l’intérêt historique – qui dévoile une part méconnue du XXème siècle – ne se dément pas, il est émaillé de surprises rocambolesques et de retournements qui le rendent haletant… D’autant que la plume à la fois précise, parfois indignée et ironique, est celle d’un excellent écrivain, au style souvent picaresque et drolatique ».

Stéphane Courtois, historien, maître d’œuvre du Livre noir du communisme.

Intérêt littéraire de l’œuvre

L’intérêt littéraire de l’œuvre est indéniable. On s’en rend compte en lisant ne serait-ce que l’extrait mise en exergue sur la quatrième de couverture :

« Avoir, il y a près de huit décennies, vu le jour à Sofia (Bulgarie), d’un père français et d’une mère bulgare, est probablement la raison à laquelle je dois de partager une égale affection à l’égard de mes deux patries. Avec toutefois une tendresse particulière à l’égard de celle demeurée un demi-siècle sous régime totalitaire.

En vérité, si le spectre du communisme réel avait, sans retour, sombré dans le néant, je ne me serais sans doute pas à ce point appliqué à revenir sur les méfaits de ces années de plomb. Mais la réalité est, hélas, tout autre, or on sait que s’il ne se trouve personne pour sauvegarder leur mémoire, les victimes de la tyrannie auront toujours tort.

Aussi me suis-je résolu à partager cette intrigue façon saga aux relents d’épopée, tissée de joies et de larmes, de prouesses et d’angoisses, où l’on voit l’amour et l’amitié côtoyer les trahisons, et la liesse succéder aux déceptions.

En somme, ce récit, que je soumets à l’attention du lecteur supposé, est de fait un essai d’aspect romanesque dans lequel tout (ou presque tout) est vrai, et en l’invitant à engager la lecture, je lui abandonne le soin d’en apprécier (ou pas) la valeur et la sincérité ».

Le narrateur alterne entre la troisième et la première personne. Les années de jeunesse sont celles auxquelles les développements les plus importants sont consacrés. Au-delà la Bulgarie d’autrefois, on redécouvre aussi Paris avant et pendant mai 1968.

La contribution à l’historiographie du communisme en Europe

J’ai fait ce que j’ai pu propose une excellente synthèse des principales informations sur l’opposition au régime contrôlé par le Parti communiste bulgare. L’historiographie récente est en effet biaisée. Elle se focalise sur la dissidence intellectuelle somme toute marginale et très tardive, sans évoquer le destin et l’œuvre des nombreux prisonniers politiques, dont la mémoire n’est toujours pas entièrement réhabilitée. Un exemple parmi d’autres est celui de l’écrivain Georgi Zarkin :

« En 1964, au moment de la tentative de putsch avorté de quelques militaires, Zarkin n’avait que vingt-quatre ans, mais cela lui inspira le fol espoir d’un chamboulement. Pour lui donner corps, il n’hésita pas à rédiger plusieurs centaines de tracts appelant à la résistance, qu’avec deux compagnons il diffusa au hasard de la province. Arrêté deux ans plus tard, il n’en revendiqua pas moins ouvertement son rejet du communisme devant ses juges qui lui infligèrent dix années de prison, assumées avec une égale détermination, ce qui lui valut d’incessantes sanctions ainsi que le commun respect de ses codétenus » (p. 370).

Cet immense écrivain, auteur par exemple du roman intitulé L’honneur, ne figure toujours dans aucune anthologie ni manuel de littérature, encore moins dans les livres d’Histoire. Dans ces conditions, le livre de Frédy Foscolo vient combler une importante lacune, en synthétisant les informations sur les véritables opposants à l’ancien régime, au-delà du cas de Frédy.

CONCLUSION

Compte tenu du petit nombre d’ouvrages spécialisés sur le communisme en Bulgarie et de ces qualités littéraires, le livre de Frédy Foscolo mérite une plus ample diffusion. Publier un livre d’une telle importance et d’une telle qualité au Luxembourg n’est peut-être pas une très bonne idée, le Luxembourg pourrait cependant servir de tremplin en vue d’une publication en France.

Notes

[1Alfred (Frédy) Foscolo, J’ai fait ce que j’ai pu… Curriculum vitae, Luxembourg, d’Bréck, ISBN 978-99987-995-1-6, disponible dans les librairies ERNSTER et auprès de l’éditeur, de même qu’au Salon du livre des Balkans.