Blog • Roumanie : au sortir des législatives, le « système » contre-attaque (par Vincent Henry)

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Le Parti social-démocrate de Liviu Dragnea est le grand vainqueur des élections législatives du 11 décembre. Ce dernier vient de proposer au Président Iohannis la nominalisation comme Premier ministre de Sevil Shhaideh, qui serait la première femme mais également la première musulmane à accéder à ce poste. Pour les opposants au PSD, cette nomination s’explique par les liens étroits qu’elle entretient avec Liviu Dragnea et autres « barons » du PSD poursuivis par la justice. Vincent Henry, doctorant à l’Université Paris-Est et qui collabore notamment à l’IRIS et à la Documentation française, revient dans ce post sur la situation politique en Roumanie, un pays qu’il connaît bien.

Sevil Shhaideh
D.R.

Le 11 décembre dernier, les élections législatives en Roumanie se concluaient par une nette victoire du Parti Social-Démocrate (PSD) [1]. Avec près de 46% des voix à la chambre des députés et au Sénat, le PSD est le grand vainqueur de ce scrutin, il écrase au passage le Parti National Libéral (PNL) du président Klaus Iohannis qui peine à atteindre 20% des voix. Malgré une faible participation (environ 40% des électeurs se sont exprimés) l’ampleur du succès des sociaux-démocrates est un choc politique.
Le PSD a pu aborder en position de force les négociations avec le président de la République pour la nomination du Premier ministre. Grâce à son alliance avec le parti centriste de l’Alliance des Libéraux et des Démocrates (ALDE) qui a obtenu 6% des voix, le PSD dispose en effet de la majorité parlementaire. Cette alliance a été ultérieurement renforcée par un protocole d’accord avec l’Union Démocrate des Magyars de Roumanie (UDMR) [2].

L’homme fort du PSD, son président Liviu Dragnea, a néanmoins renoncé à solliciter lui-même le poste de Premier ministre. Une récente disposition de la Cour constitutionnelle empêche les personnes définitivement condamnée à une peine de prison d’exercer un mandat politique, or Liviu Dragnea a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale [3].

Le 21 décembre, le PSD propose donc la nominalisation de madame Sevil Shhaideh. Ancienne secrétaire d’Etat puis ministre du Développement régional et de l’Administration publique. Inattendue, la nomination de Sevil Shhadeih constitue une double nouveauté ; elle serait la première femme Premier ministre mais également la première musulmane à accéder à ce poste [4]. Pour les opposants au PSD, la nomination de la peu médiatique Sevil Shhadeih, s’explique essentiellement par les liens étroits qu’elle entretient avec Liviu Dragnea [5].

Un paysage politique en pleine recomposition

Avec près de 9% des voix, l’Union « Sauvez la Roumanie » (USR) est l’autre gagnant de ce scrutin et devient la troisième force politique du pays. Ce très jeune parti est issu d’une association bucarestoise de défense du patrimoine « Sauvez Bucarest » [6]. En juin 2016, c’est en tant que parti politique qu’il prend part à la campagne des municipales à Bucarest où il rencontre un certain succès. L’ « Union Sauvez Bucarest » devient l’ « Union Sauvez la Roumanie » pour se lancer dans la bataille des législatives.
L’USR regroupe essentiellement des jeunes urbains de la classe moyenne, diplômés et civiquement impliqués. Elle promeut la méritocratie et s’engage à renouveler les pratiques politiques. Ses membres et ses sympathisants sont néanmoins très divers. Le parti réunit des militants écologistes, des défenseurs des minorités, des néo-libéraux comme des représentants de l’extrême gauche, des activistes civiques ou associatifs. Leur principal point commun est le rejet de la classe politique traditionnelle mais la cohérence idéologique du parti est très problématique, notamment sur les questions économiques.

Malgré trois ans loin du pouvoir, l’Union Démocrate des Magyars de Roumanie [7] confirme avec un honorable 6% des suffrages qu’elle reste une force stable dans le paysage politique roumain, elle montre également la persistance d’un vote ethnique quasi-mécanique.

Le Parlement roumain accueillera enfin des représentants d’ALDE et du Parti Mouvement Populaire (PMP). Ces deux partis récemment créés servent de refuges à des chevaux de retour de la scène politique. L’ancien Premier ministre Călin Popescu-Tăriceanu [8] est ainsi le leader d’ALDE qui se positionne (pour l’instant) en satellite du PSD. Le PMP est la création hétéroclite de l’ancien président Traian Băsescu [9], qui y a unit ses derniers fidèles avec les restes de la défunte Union Nationale pour la Roumanie (UNPR). Le PMP n’a franchi que de justesse la barre des 5% qui lui permet d’entrer au Parlement, un score obtenu essentiellement grâce aux votes des citoyens roumains de la république de Moldavie. La seule proposition politique claire de ce parti étant l’unification des deux pays.

Les partis d’extrême droite, le Parti Roumanie Unie (3%), le Parti de la Grande Roumanie ou l’Alliance Notre Roumanie (moins de 1%) ne seront pas représentés au Parlement.

2014-2016 : deux ans de révolte

Ce résultat constitue une revanche spectaculaire pour le PSD. En novembre 2014, Victor Ponta, Premier ministre et candidat du PSD perdait les élections présidentielles face à Klaus Iohannis. Parti favori, Victor Ponta était défait par une forte mobilisation de la jeunesse urbaine, des entrepreneurs et des Roumains établis à l’étranger réunis dans l’hostilité à un parti accusé de maintenir le pays dans ses mauvaises habitudes, ; corruption, népotisme, clientélisme et féodalisme politique. Une des craintes principales en cas de victoire de Ponta était l’affaiblissement des pouvoirs de la direction nationale anti-corruption (DNA) lancée dans une grande campagne d’assainissement de la vie publique.

Pour de nombreux observateurs, la Roumanie européenne, dynamique et inventive battait la Roumanie post-communiste enfermée dans son immobilisme et ses petits arrangements. « Reprenons le pays » déclarait alors le slogan des vainqueurs.
Victor Ponta, menacé par la justice pour faits de corruption allait néanmoins résister un an à la tête du gouvernement jusqu’à l’énorme scandale du club Colectiv . Le 30 novembre 2015, un incendie se déclenche pendant un concert dans une boîte de nuit de Bucarest. Le drame provoque la mort de 64 personnes et fait des dizaines de blessés graves. Les causes du désastre sont claires ; Autorisations accordées à la légère, normes de sécurité ignorées, secours courageux mais totalement désorganisés, hôpitaux incapables de faire face à l’afflux de blessés, conditions sanitaires douteuses entrainant une multitude d’infections parmi les victimes. La catastrophe du Colectiv mettait une nouvelle fois en accusation le « système » soit pour ses contempteurs un mélange d’indolence, d’incompétence, de désorganisation et de corruption rendant les services publics inutiles, inefficaces et coûteux.

La jeunesse descend une nouvelle fois dans la rue avec le slogan « la corruption tue » [10]. Face à la pression, Victor Ponta démissionne et met fin à un an de cohabitation houleuse avec Klaus Iohannis. Malgré une majorité relative au Parlement, le PSD semblait alors au bord du gouffre ; ses leaders étaient la cible de la justice et son alliée, l’Union Nationale Pour la Roumanie anéantie par la mise en examen de son président, l’ancien ministre de l’Intérieur Gabriel Oprea [11].

Pour répondre à cette crise politique sans précédent, un gouvernement de transition est mis en place avec à sa tête l’ancien commissaire européen à l’agriculture Dacian Cioloş.

Des limites de la technocratie

Ce gouvernement qualifié de « technocrate » a généralement été loué pour son sérieux et son sens du service. Il est perçu comme largement favorable au travail mené par la direction nationale anti-corruption mais l’intérêt pour l’action de la procureure Kovesi [12] diminue et la DNA commence à être accusée de partialité. Le gouvernement persévère néanmoins et s’attaque fortement à la bureaucratie génératrice de corruption et favorise la lutte contre la fraude fiscale. Cependant, dans un pays fier de son fort taux de croissance, le discours officiel sur les réformes et la nécessité d’une grande modération budgétaire commence à lasser une grande partie de la population qui se sent toujours exclue des fruits de cette croissance. Quelques grosses erreurs de communication sur les mesures à adopter envers les plus défavorisés aggraveront cette situation.

Le gouvernement Cioloş se retrouve par ailleurs dans une situation politique délicate. La solution technocrate a initialement été envisagée comme une transition avant l’arrivée d’un gouvernement PNL rendu possible par une victoire de ce parti aux législatives. Las, si le gouvernement apolitique bénéficie d’une certaine confiance, ce n’est pas le cas du PNL. Quelques mois avant les élections, les libéraux se lancent dans une surprenante danse de séduction vis-à-vis du Premier ministre. Il devient évident que l’unique chance du parti libéral est de promettre le maintien de Dacian Cioloş à la tête du futur gouvernement. L’ancien commissaire européen s’accroche à son indépendance en refusant de devenir membre du parti libéral. Au début de la campagne électorale Dacian Cioloş accepte néanmoins d’apporter un tiède soutien à la campagne du PNL mais également à celle de l’USR. Un gouvernement de coalition PNL-USR commence donc à être envisagé, avec Cioloş à sa tête.

Le Premier ministre choisit donc son camp mais sans vraiment se décider à livrer bataille.
Le PSD y trouve son angle d’attaque. Cioloş est un candidat post-démocratique. Il ne fait pas de politique et n’est pas élu par le peuple. Il obéit à des commandes extérieures, celles des multinationales, celles de Bruxelles ou de puissances étrangères. Cioloş fait partie d’une élite distante et le PNL lui a fait allégeance. Insidieusement, les discours du PSD ou de son allié ALDE assimilent également les actions de justice contre la grande corruption à des opérations commanditées de l’extérieur. Le DNA fait de la justice spectacle pour détourner l’attention et s’en prendre à ceux qui veulent réellement défendre la population.

La politique post-vérité, version roumaine

Les élections municipales de juin 2016 avaient déjà marqué le retour en grâce du PSD. Sa campagne législative s’inscrit dans la même lignée. Promesses d’une plus grande équité sociale, augmentation du salaire minimum, baisses de la TVA, hausse du financement de l’éducation ou de la santé, le tout agrémenté d’une dose de nationalisme et de conservatisme sociétal. Le PSD s’impose très vite comme le favori des sondages malgré la condamnation de son président, Liviu Dragnea.

Face à cette montée en puissance le PNL ne sait plus sur quel tableau jouer, hésitant entre discours pro-réformes et accents nationalistes, il balbutie sa campagne. Le grand parti de droite se retrouve face à ses nombreuses contradictions ; il est en effet traversé par des courants très disparates ; réformistes pro-européens sincères, nationalistes conservateurs, ultra-libéraux très atlantistes et a bien des difficultés à émettre un message cohérent. Le soutien distant du président Iohannis et la tiède implication de Dacian Cioloş sont ses seuls atouts.

L’USR est tout aussi pétrie de contradictions mais qu’ils soient libéraux ou très ancrés à gauche, ses membres ont quelques convictions communes. Ils veulent bousculer le paysage politique en intensifiant la lutte contre la corruption, ils s’opposent au nationalisme patriarcal du PSD qui s’appuie souvent sur un lien fort avec l’église orthodoxe ; Certains de ces membres osent se positionner sur des terrains longtemps ignorés ou quais tabous comme l’environnement, la situation des Roms ou la défense des minorités sexuelles. Les positions de l’USR dérangent de nombreux libéraux mais ces alliés de circonstance ne s’en prennent pas aux nouveaux venus. Le PSD au contraire va faire de son hostilité à l’USR un axe majeur de sa rhétorique.
Le PSD et ses alliés animent les débats dans une campagne souvent terne en jouant la défense de la Roumanie éternelle contre les iconoclastes de l’USR. Les propos deviennent inquiétants quand ils se teintent d’une bonne dose de cosmopolitisme. Les membres de l’USR sont attaqués sur le lien avec des ONG. Dans une argumentation très poutinienne, l’USR est accusée d’avoir été créée et d’être soutenue par le financier américain d’origine hongroise George Soros. Les thématiques du cosmopolitisme contre la nation roumaine, du banquier contre l’homme du peuple sont déclinées à l’envi.
Certains membres du PSD diffusent sur les réseaux sociaux des affiches détournées de l’USR, rebaptisée « Union Soros Roumanie » [13]. Une photographie inquiétante de l’homme d’affaires remplace celle des candidats. Le détournement n’est pas sans rappeler l’imagerie antisémite d’avant-guerre mais les sentiments anti-hongrois ne sont pas non plus oubliés. Le nom de Soros est orthographié avec un ö tréma fautif mais du meilleur effet tant il accentue le côté magyar de l’ennemi désigné. Au-delà, de la figure fantasmatique de Soros, c’est la mise en place d’une gouvernance étrangère qui est dénoncée, celle dont serait garant la véritable cible de cette polémique artificielle, Dacian Cioloş.

Une semaine avant le scrutin, la paranoïa atteint avec les rumeurs propagées sur les réseaux sociaux ; Dacian Julien [14] Cioloş ne serait autre que le fils caché de Georges Soros… Les leaders du PSD se gardent de jouer frontalement sur ce terrain mais ils disposent d’instruments médiatiques puissants qui se chargent de ce travail [15]. En outre, la thématique est largement reprise par les candidats des partis extrémistes, en mal de notoriété et de programme qui servent d’ « idiots utiles » au PSD pendant toute la campagne.

Les éternels errements de la droite roumaine

Les résultats du scrutin ont plusieurs explications. Il s’agit d’abord d’une défaite du PNL lui-même et l’illustration de la myopie de la droite roumaine. Les réactions de ses partisans l’illustrent parfaitement ; à l’annonce des résultats, un quasi-dicton [16] circule parmi eux, mi-explication, mi-consolation, il accompagne toutes les défaites de la droite depuis des années : Idiots mais nombreux. Pour le PNL, chaque victoire du PSD est celle des ruraux arriérés, des assistés, des pauvres, des ignorants, des vieillards. Longtemps hantée par la lutte contre les réminiscences du régime communiste, la droite roumaine est aveuglée par son élitisme. La Roumanie qui l’intéresse est celle des centres urbains européanisés, des entrepreneurs ou de la jeunesse éduquée, celle de la croissance à 4% [17] ou des nouvelles technologies. Cette facette du pays est aujourd’hui une réalité, celle que l’on veut promouvoir à l’extérieur mais on en oublie trop facilement le revers. Il existe une autre Roumanie avec 48% de population rurale et 25% [18] de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, de très nombreux retraités, une main d’œuvre sous qualifiée et mal payée, des pratiques religieuses d’un autre âge.
Le PNL ne sait pas s’adresser à cette Roumanie-là, honteuse, ancrée dans le passé, pas assez européenne, gogolienne, pauvre. Au mieux, elle l’ignore, au pire, elle la méprise [19].

Rebuté par cette attitude mais également déçue par la prestation terne du président Iohannis ou par les nombreuses affaires qui éclaboussent le PNL une partie de son électorat cible privilégié s’est détournée vers l’USR. Le parti libéral est aujourd’hui en pleine crise et n’échappera pas à une profonde remise en question.

Une machine politique adaptable

Contrairement à son concurrent, le PSD, éternel Phoenix de la politique roumaine, montre une nouvelle fois sa capacité à s’adapter à l’air du temps. Héritier de l’ancien régime dans les années 90, il devient un efficace promoteur de l’européanisation et de l’ouverture au marché au début des années 2000. Aujourd’hui il n’hésite pas à reprendre à son compte la rhétorique nationaliste, anti-establishment et eurosceptique à la mode [20].
Au prix d’une bonne dose de démagogie, le PSD sait s’adresser à un public très varié. Il récolte certes le plus de suffrages dans l’électorat rural ou parmi les plus âgés et les plus modestes mais, contrairement à un cliché tenace, il est aujourd’hui le premier parti parmi les plus jeunes et parmi les étudiants [21]

Le PSD a su jouer sur l’insatisfaction sociale mais aussi sur des phénomènes qui prennent une ampleur nouvelle en Roumanie ; la méfiance envers l’Union Européenne dont a pâti le gouvernement Cioloş et une forme de repli sur une tradition considérée comme menacée. A cet égard, le débat autour du mariage homosexuel et du référendum sur la famille est révélateur.

Il serait néanmoins bien naïf de penser que le PSD va maintenant réellement prendre la défense des plus défavorisés. Quant à son patriotisme économique, il peut prêter à sourire dans une économie en tout point dépendante des exportations et des capitaux étrangers. Une crainte est en revanche plus crédible, celle d’une multiplication des obstacles à l’encontre du système judiciaire.
Comme il l’a fait par le passé, le futur gouvernement PSD ne changera pas grand-chose à la politique économique du pays mais il multipliera effet d’annonces, coups médiatiques et prise de positions traditionalistes puisque celles-ci sont en vogue. Utilisant un cliché dépassé, les opposants au PSD dénoncent la « peste rouge ». C’est là encore une erreur d’analyse, le PSD n’a guère d’idéologie, c’est avant tout une machine politique efficace et dédiée à un seul objectif ; gagner et garder le pouvoir dans l’intérêt bien compris de ses dirigeants et de ses affiliés.

« Au fond, les Roumains n’aiment pas les gens comme Cioloş, ils préfèrent les farceurs qui volent, les voyous » [22]

Les révoltes de la partie la plus visible de société civile en 2014 et 2015 ont fait reculer temporairement cette conception clientéliste et clanique de la politique. Ce mouvement social, représenté aujourd’hui par l’USR, a porté Dacian Cioloş à la tête du gouvernement. Incontestablement, le Premier ministre « technocrate » a su démontrer qu’il était possible de faire de la politique autrement en Roumanie. Pourtant, force est de constater qu’à Bucarest comme ailleurs, le temps de la bonne gouvernance libérale semble être passé. Le temps des partis extrémistes en revanche ne semble pas être arrivé, leurs scores les cantonnent à la marginalité.

Le PSD a allègrement joué sur les cordes sensibles orthodoxe, traditionaliste, patriarcale et nationaliste pendant toute la campagne électorale. Cela ne l’a nullement empêché de nommer à la tête du gouvernement une femme musulmane, ni de trouver un accord avec le parti représentant la minorité nationale la plus revendicatrice.
Cette nomination montre que le pragmatisme et la ruse politique tiennent bien lieu d’idéologie au parti social-démocrate et semble confirmer le fait que la Roumanie est une exception dans la région, tant elle semble immune aux tendances extrémistes. C’est oublier un peu vite que la radicalité peut facilement entrer dans le discours des partis politiques classiques. Ici comme ailleurs, le mauvais génie est sorti de la lampe, les dérapages de la campagne électorale sont là pour nous le rappeler.

Vincent Henry
Paris et Bucarest, le 21 décembre 2016

Addendum, Bucarest, le 4 janvier 2016

La Roumanie n’aura finalement pas une femme musulmane à la tête de son gouvernement. Le 27 décembre le président Klaus Iohannis faisait usage d’une de ses prérogatives constitutionnelles et refusait d’accepter Sevil Shhaideh au poste de Premier ministre.
Aucun motif n’a officiellement été invoqué pour justifier ce rejet de la candidate désignée par le Parti Social-Démocrate et son alliée l’Alliance des Libéraux et des Démocrates Européens (ALDE) . La presse a évoqué des craintes concernant l’entourage immédiat de madame Shhaideh ; son mari syrien étant considéré comme un franc partisan du régime de Bachar El Assad, une proximité jugée potentiellement dangereuse et mal venue.
Difficile de dire ce qui a justifié le refus du président de la République ; crainte d’un risque réel ou simple acte de défiance de Klaus Iohannis à l’encontre de son principal adversaire, Liviu Dragnea ?
C’est cette seconde interprétation qui a été privilégiée par le leader des sociaux-démocrates visiblement furieux de ce premier revers. Quelques heures après l’annonce du rejet de la nomination de Sevil Shhaideh, Liviu Dragnea laissait planer une lourde menace, celle de la destitution du président Iohannis par le Parlement. Le lendemain la coalition PSD-ALDE jouait la prudence et proposait une seconde nomination, celle de Sorin Grindeanu [23]. La proposition est finalement acceptée de mauvaise grâce par Klaus Iohannis le 30 décembre. Le gouvernement est validé le 4 janvier. Cette fois, le PSD ne fait pas de concessions, les noms et les parcours de nombre des nouveaux ministres font grincer bien des dents [24].
La cérémonie d’intronisation du nouveau gouvernement est marquée par l’ironie grinçante du discours présidentiel, Klaus Iohannis s’y déclarant « vivement intéressé » de savoir comment la nouvelle équipe allait tenir ses nombreuses promesses.
La Roumanie se prépare donc à un nouvel épisode de cohabitation politique houleuse entre l’institution présidentielle et le gouvernement. Les amateurs de petites phrases assassines s’en réjouissent sans doute mais après la parenthèse de gouvernance technocrate de Dacian Ciolos, la Roumanie semble bien être revenue à sa conflictualité et à son instabilité politique habituelle.

Notes

[1Ces élections désignent à la proportionnelle les députés et les sénateurs en un seul tour.

[2Le protocole de « collaboration parlementaire » avec l’UDMR a été signée le 21 décembre.

[3Condamnation définitive en avril 2016.

[4Sevil Shhaideh est issue de la minorité tatare de Roumanie, sa mère étant la nièce de l’historien Kemal Karpat. Le quotidien Adevărul daté du 21.12.2016 rapporte que Liviu Dragnea et Nicuşor Constantinescu ont été ses témoins lors de son second mariage civil avec le Syrien Akram Shhaiadeh.

[5L’USR et le PNL ont immédiatement accusé Liviu Dragnea d’avoir nommé un « homme de paille » et de vouloir diriger le gouvernement par cet intermédiaire. « Sevil Shhaideh fait partie de la bande Mazăre–Nicuşor Constantinescu. Elle est devenue ministre du Développement avec le PSD. Je l’ai personnellement connue lorsqu’elle soutenait des modifications de la loi de l’urbanisme afin de favoriser des opérations immobilières spéculatives », a déclaré Dan Nicuşor. Respectivement ancien maire de Constanţa et président du conseil général du département de Constanţa, Radu Mazăre et Nicuşor Constantinescu ont été tous les deux condamnés pour corruption

[7L’UDMR a servi de force d’appoint à de nombreuses coalitions gouvernementales depuis 1990.

[8Premier ministre de 2004 à 2008 et actuel président du Sénat.

[9Président entre 2004 et 2014.

[10Cf. La Roumanie, une société civile sous tension http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1632

[11Au moment du drame, Gabriel Oprea était déjà impliqué dans un scandale d’utilisation abusive de colonne officielle, jugé responsable de la mauvaise organisation des secours, il devint la bête noire des manifestants.

[12Laura Codruţa Kövesi est à la tête de la DNA depuis 2013, ses enquêtes ont permis la condamnation de nombreuses personnalités politiques, du monde des affaires ou des médias. Son travail est régulièrement salué par les partenaires européens de la Roumanie.

[14Certains leaders du PSD, notamment Victor Ponta, utilisent à dessein le deuxième prénom à consonance française du Premier ministre.

[15La chaîne Antena 3 notamment, d’autres médias répercutent ces débats par sensationnalisme.

[16En fait, une citation apocryphe du prince moldave Alexandru Lăpuşneanu.

[173,8 % en 2015, prévision de 3,9% en 2016.

[18Chiffre de la Banque Mondiale en 2013 (calculé en fonction du taux de pauvreté national).

[19A droite, seul l’ancien président Băsescu avait su s’adresser à un éventail plus large de catégories sociales.

[20La confiance de la population en l’UE est récemment tombée à 53%.

[21Cf. le sondage de l’Institut Roumain pour l’évaluation et la stratégie (IRES) http://www.ires.com.ro/articol/344/alegeri-parlamentare-2016-/profilul-votantilor

[22Citation du philosophe Andrei Pleşu dans son article « Le niveau d’exigence » publié dans le quotidien Adevarul en avril 2016.

[23Président du conseil départemental de Timis et éphémère ministre des communications du gouvernement de Victor Ponta (2014-2015). Il est généralement considéré comme un proche, voire un affilié de Liviu Dragnea.

[24Sevil Shhaideh fait également partie de ce gouvernement. Ministre du développement régional, elle est également et ironiquement vice-Premier ministre.