Blog • Traian Sandu, historien du fascisme roumain

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Un fascisme roumain : histoire de la Garde de Fer est le titre du livre de Traian Sandu paru en France en 2014. Sa traduction en roumain cette année ne manquera pas d’avoir un impact sur la perception de la vie politique pendant l’entre-deux-guerres, perception déformée en Roumanie par les passions générées par la concurrence mémorielle concernant les victimes du fascisme et du communisme.

Le qualificatif de fasciste pour la Légion de l’Archange Michel plus connue sous le nom de Garde de Fer a toutes les chances de choquer les Roumains qui ont tendance à évaluer le Mouvement légionnaire roumain à partir des actes de bravoure de ses adeptes contre le régime communiste imposé en Roumanie après la Seconde Guerre mondiale par l’URSS en se focalisant sur les persécutions auxquelles ils ont été soumis.

Né en 1967 en Roumanie, pays qu’il a quitté à l’âge de 10 ans, actuellement directeur du département Etudes européennes de l’Université Sorbonne-Nouvelle à Paris III, l’auteur reconstitue « à froid » l’idéologie mortifère et les formes de terreur et contre-terreur apparues tout au long des treize ans qui ont précédé l’élimination politique de la Légion en juin 1941 [1]. Il s’appuie méthodiquement sur les archives de la Direction générale de la police pendant la période 1927-1941, qui ne sont disponibles que depuis 1990. Les archives de la Légion ont été en grande partie détruites.

Par ailleurs, Traian Sandu, qui procède à une analyse fouillée du contexte politique roumain, des itinéraires des chefs du parti légionnaire, de la composition sociale de ses membres et de ses électeurs, fait appel à des méthodes récentes d’analyse critique du fascisme européen sans pour autant fournir une explication toujours convaincante de l’originalité de la doctrine légionnaire et de la dynamique dans laquelle elle s’est inscrite. La parution de son livre ne présente pas moins l’avantage de court-circuiter efficacement la perception courante de la vie politique pendant l’entre-deux-guerres, perception déformée par les passions générées par la concurrence mémorielle concernant les victimes du fascisme et du communisme.

L’analyse des causes du succès de la Légion parmi les Aroumains [2], dits aussi Macédoniens ou Macédoroumains en Roumanie, et en particulier parmi ceux originaires de Grèce, Bulgarie, Albanie ou Serbie ayant participé à la colonisation de la Dobroudja du Sud, constitue un des aspects les plus novateurs du livre. Contrairement au stéréotype courant qui fait d’eux une sorte de super-roumains, ils apparaissent comme les membres d’une minorité facile à identifier mais difficile à définir dans les mêmes termes que les autres minorités nationales, ethniques et religieuses présentes sur le territoire roumain.

Traian Sandu est également l’auteur d’une Histoire de la Roumanie (Perrin, 2008) ; pour ce qui est de ses vues concernant la nation et le nationalisme roumain, on peut consulter son entretien avec Pauline Maufrais qui a eu lieu en avril 2017.

Notes

[1Les légionnaires auraient été absous par le tribunal de Nuremberg, fait-on souvent remarquer en Roumanie pour rejeter la qualification de fascistes, ce qui est erroné puisque ce tribunal a jugé les crimes de guerre commis par l’Allemagne nazie, pas par ses alliés. Après janvier 1941, ils n’ont plus exercé le pouvoir tandis que, leurs exactions, ils les ont commises avant cette date. En règle générale, on insiste sur les différences qui distinguent leur idéologie nationaliste-chrétienne du fascisme italien et du nazisme allemand. Les organisations et les symboles relevant du mouvement légionnaire sont nommément désignés comme à caractère fasciste par la loi promulguée en 2015 par le Président Iohannis.

[2Sur cet aspect, cf. en roumain "Les Aroumains et le phénomène légionnaire"