Blog • « Slava Ukraini ! », avec Serhiy Jadan et Mikhaïl Bakounine

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« Nous souhaitons que la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine, les Finlandais et les Lettons des États baltes, ainsi que la région du Caucase, retrouvent une entière liberté et le droit de disposer d’eux-mêmes et de s’organiser selon leur volonté, sans aucune ingérence, directe ou indirecte, de notre part » écrivait Bakounine dans la Cause du peuple en 1868 [1].

Ukraine, R. de Moldavie : Not Russia ! (Bucarest, devant l’ambassade de Russie)

En reprenant ces mots dans un article paru il y a quelques jours à la Fondation Pierre Besnard, Frank Mintz fait remarquer que : « Vu du passé, l’indépendance authentique de l’Ukraine et d’autres régions de la Russie tsariste était déjà envisagée par Bakounine et ses camarades »,
avant de conclure ainsi : « Ni la Russie tsariste ni l’URSS n’ont modifié leur politique de centralisation et de russification des ethnies non russes. »
Qu’on le veuille ou non, le retour sur l’histoire est indispensable pour voir plus clair dans l’actualité tragique actuelle et en saisir les enjeux.

Lénine, la bête noire de Poutine

On peut raisonnablement estimer que c’est dans les années 1920, sous les bolcheviques, que la nation ukrainienne ou plutôt le corpus du discours qui la façonnera dans ses grandes lignes, ont été forgés. Poutine ne se trompe pas quand il s’en prend ouvertement à Lénine sur ce point. Encore faut-il rappeler que cette ouverture de Lénine et de certains de ses proches sur la question des nationalités correspondait à la nécessité de chercher à mettre de leur côté, d’« occuper » en quelque sorte, la bourgeoisie intellectuelle présente et à venir des peuples de l’Empire défunt dans lesquels les bolcheviques étaient peu implantés. La décision, par exemple, d’introduire le système d’écriture en caractères latins et non pas cyrilliques dans les langues de la population turcophone d’Asie centrale est due aux insistances de Lénine qui adressait ainsi un signal aux bourgeoisies naissantes réticentes ou hostiles à la russification. Cette politique fut remise en question radicalement par Staline dans les années 1930. Par la suite, les peuples non russes, à commencer par les Ukrainiens, connaîtront l’histoire mouvementée qui débouchera sur la proclamation de l’indépendance des anciennes républiques soviétiques à la faveur de l’implosion du régime communiste soviétique.

Le mouvement de février 2014, une révolution démocratique typique (Serhiy Jadan)

Protestation à Saint-Pétersburg contre l’invasion de l’Ukraine

Les événements connus sous le nom de Maïdan ont coupé court aux tentatives de vassalisation de l’Ukraine par Moscou. Voici comment ils sont présentés par l’écrivain Serhiy Jadan [2] dans un entretien accordé en 2015 :
« C’était une révolution démocratique typique, portée par la bourgeoise libérale. En vérité, à Kiev, les « durs » ont commencé à donner le ton après un mois et demi de combats populaires. (…) Mais les affrontements violents ont été précédés par un mois et demi d’efforts de la société civile pour faire entendre ses revendications du gouvernement. Et le pouvoir n’a rien voulu entendre. » « Chez nous, à Kharkov, raconte-t-il, les anarchistes ont occupé la rue avec les nationalistes. Bien sûr, ils ne s’aimaient pas les uns les autres, mais ils faisaient le poing dans la poche, parce qu’ils comprenaient qu’ils avaient une cause commune à défendre. Pour moi, c’est ce qui montre bien qu’il s’est agi d’une authentique révolution. »
Où en est aujourd’hui cette « cause commune » ? Je n’ai pas les éléments nécessaires pour émettre un quelconque avis. La chose que je peux rapporter est que, contacté il y a quelques jours par son éditeur roumain de Chişinau Gheorghe Erizanu, Serhiy Jadan a donné signe de vie et transmis un appel pressant au renforcement de la mobilisation pour l’Ukraine. « Slava Ukraini ! « donc, surtout si l’on regarde du côté de la Fédération de Russie. En effet, il est surtout question du cynisme de la propagande de sa direction et des innombrables calculs d’ordre géopolitique qu’elle alimente.

28.12.2021 : l’interdiction du Memorial

Dans son article, Frank Mintz insiste, lui, sur le fait que : « Vladimir Poutine mène une politique néo-libérale comme au Chili, en Argentine, en Algérie ou en Égypte. Les personnes les plus critiques sont calomniées, insultées, puis si elles persistent passées en tabac ou liquidées, assassinées… ». Dans le même temps, il dénonce « le partage du monde actuel entre les capitalistes des intérêts privés et les capitalistes d’État, dont Poutine est un des dirigeants ».
Pour ce qui est des « génocides », Frank Mintz écrit :
« Un excellent exemple de ’’génocide’’ de la mémoire historique effectué par Vladimir Poutine est le 28 décembre 2021 la dissolution de l’ONG Memorial qui depuis 1989 a repris l’histoire des fusillés, des emprisonnés dans les camps, les prisons en donnant les noms des personnes, les motifs de l’accusation, les dates d’arrestation et d’exécution ou de libération. »
Enfin, pour rappeler l’actualité, il donne les coordonnées du site qui indique les noms des soldats russes tués ou prisonniers.

Contre l’invasion de l’Ukraine, à Moscou...

Notes

[1Хотим, чтоб Польше, Литве, Украине, Финнам и Латышам прибалтийским, а также и Кавказскому краю была возвращена полная свобода и право распорядиться собою и устроиться по своему произволу, без всякого с нашей стороны вмешательства, прямого или косвенного. (Народное Дело [Narodnoe Delo, la Cause du peuple, № 1, pages 6-7 ; стр. 6—7, 1868.)

[2Né en 1974, Sergiy Jadan est l’auteur de nombreux recueils de poèmes et romans dont le récit-essai Anarchy in the UKR, trad. française Iryna Dmytrychyn, éd. Noir sur Blanc, 2016.