Serbie : Belgrade, havre d’asile pour les exilés LGBT russes et ukrainiens

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La Pride de Belgrade a lieu ce samedi. La capitale serbe abrite beaucoup d’exilés LGBTQI+ russes et ukrainiens. Ils vont vivre leur première marche des Fiertés, comme Sandr, originaire de Saint-Petersbourg, qui expose ses images de personnes et de couples queers ayant fui la guerre et le régime de Poutine. Rencontre.

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Propos recueillis par Philippe Bertinchamps

Sandr, 24 ans, a été mannequin avant de passer de l’autre côté de la caméra. « Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est de montrer l’humain dans sa beauté », explique-t-il pour décrire son geste artistique. Ses images sont visibles jusqu’à dimanche soir au Centre culturel de Belgrade.

Des images de Sandr exposées durant la semaine des fiertés au Centre culturel de Belgrade.
© Courrier des Balkans | Sandr

Courrier des Balkans (CdB) : Comment êtes-vous arrivé en Serbie ?

Sandr (S.) : J’ai atterri il y a presque un an, en octobre 2022. J’ai choisi de m’y installer, car je savais qu’en tant que ressortissant russe, je n’avais pas besoin de visa. C’était facile. Et puis, les Russes et les Serbes ont beaucoup de choses en commun, notamment une proximité linguistique. Cela dit, je ne connaissais pas vraiment ce pays. J’en ai entendu parler pour la première fois il y a environ trois ans, en regardant à la télé un documentaire sur la Yougoslavie. Je savais également que de nombreux Russes, dont certains de mes amis, y avaient trouvé refuge depuis le début de la guerre en Ukraine. Je ne regrette pas mon choix. Contrairement à d’autres pays d’Europe, je n’ai pas honte d’être russe. Ici, tout le monde s’en fiche.

CdB : Pourquoi avez-vous quitté la Russie ?

S. : Quand on est un homme en Russie, la situation peut être très dangereuse. On risque à tout moment d’être mobilisé, que l’on ait une expérience militaire ou pas. D’autre part, parallèlement à la guerre en Ukraine, le pouvoir a renforcé une loi visant à interdire la « propagande » LGBTQIA et qui proscrit désormais la « promotion de relations sexuelles non traditionnelles ». Autrement dit, quand on est une personne LGBTQIA, on a tout intérêt à se cacher, sinon on risque de graves ennuis. Des amis à moi qui avaient organisé une fête chez eux à Moscou, et qui s’embrassaient, ont été dénoncés à la police par leur voisin. Or, je veux vivre ma sexualité comme je l’entends et être moi-même sans me mettre en danger, ni exposer ma famille aux menaces.

CdB : Quelles sont vos impressions de la Serbie ?

S. : Je me sens certainement plus en sécurité ici qu’en Russie. D’ailleurs, mon exposition sur les queers russes et ukrainiens aurait tout simplement été impensable à Moscou ou Saint-Pétersbourg. On l’aurait aussitôt taxée de « propagande ». Pour tout vous dire, avant le vernissage, quand j’ai vu des policiers serbes entrer dans la salle, mon premier réflexe a été la peur. Je croyais qu’ils allaient détruire l’exposition et me jeter en prison. Eh bien, non ! Ils étaient venus s’assurer que tout se passait bien. Ça m’a paru incroyable que la police soit là pour nous protéger, alors qu’en Russie, c’est elle qui nous tabasse !


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CdB : Avez-vous l’intention de rentrer un jour en Russie ?

S. : Saint-Pétersbourg me manque... C’est là où vivent ma famille et mes amis. C’est là aussi où j’ai laissé mon chat Apollon. Malgré tout, je ne compte pas revenir au pays. Je suis né en 1999, j’ai toujours connu Poutine au pouvoir, et je ne crois pas que les choses s’amélioreront de sitôt. C’est pourquoi j’ai fait mes adieux à la Russie, quoi qu’il m’en coûte.

CdB : Une partie de la société serbe ne cache pourtant pas son admiration pour la Russie de Poutine…

S. : Oui, bien sûr. Il y aura toujours un chauffeur de taxi qui, entendant que je suis russe, me dira qu’il adore la Russie et que Poutine est un type formidable. Mais cette russophilie-là, j’ai surtout l’impression qu’elle est le fait des anciennes générations. Il ne faut pas s’y arrêter. Pour des raisons essentiellement géopolitiques, la Serbie a, pardonnez-moi l’expression, le cul entre deux chaises, entre Moscou et Bruxelles. Il me semble cependant que les jeunes Serbes sont plus ouverts que les anciens, plus aimables et sans doute plus proches des valeurs de l’Union européenne.

CdB : Qu’est-ce qui vous a motivé à faire cette exposition ?

S. : J’ai voulu être utile à la semaine des fiertés en montrant que des LGBTQIA russes et ukrainiens vivaient ici ensemble, en bonne entente. Ils n’ont pas besoin de se cacher. Je les ai rencontrés dans des bars qui appartiennent à des exilés russes, des gens bienveillants à notre égard. Que je sois clair : je ne dis pas qu’il est facile d’être LGBTQIA en Serbie, car il y a encore beaucoup d’homophobie. Dans les faits, on est loin du compte et c’est quasiment impossible de s’afficher ensemble, de s’enlacer et de s’embrasser dans la rue. Mais la situation reste infiniment moins dure qu’en Russie. Cette semaine des fiertés en est la preuve.

CdB : Ce samedi a donc lieu la Marche des fiertés. Comment vous sentez-vous ?

S. : Ce sera ma toute première Marche ! J’en suis extrêmement fier, bien que j’aie encore du mal à croire que j’y participerai et que tout cela est bel et bien réel.

Ce reportage est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.