Blog • Moldavie : le ministre des Affaires étrangères rattrapé par la guerre du Dniestr

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« Le gouvernement de Chişinău a tout intérêt à faciliter la vie de nos concitoyens qui, en vertu de certains… d’une guerre civile…, vivent dans la région transnistrienne », affirmait le 1er juillet dans son allocution le ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration européenne de Moldavie, en visite officielle à Bucarest.

Nicu Popescu et Teodor Meleşcanu le 1er juillet
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Les hésitations indiquées par les trois petits points annonçaient et accentuaient, si besoin était, l’impair commis par Nicu Popescu, le jeune ministre du gouvernement formé par Maia Sandu trois semaines plus tôt. En effet, comment parler de « guerre civile » à propos de la guerre opposant au printemps 1992 les forces armées de la République de Moldavie, qui venait d’être reconnue comme pays membre de l’ONU, aux formations sécessionnistes de Transnistrie soutenues ouvertement par Moscou et la XIVe armée stationnée à Tiraspol ? Le démenti ne tardera pas :

« Dans le contexte de notre opposition très ferme à la fédéralisation de la République de Moldavie », tentera-t-il de rectifier le tir dans un premier temps, « j’ai eu recours à un syntagme pas vraiment réussi… Tout le monde sait que la Fédération de Russie n’a pas été un acteur neutre dans ce conflit et que l’armée russe a entrepris des actions hostiles contre notre pays. » Puis, dans un deuxième temps, il s’excusa en reconnaissant explicitement sa « gaffe ».

Le MGIMO, pépinière de diplomates et d’espions

Son autocritique sera diversement appréciée. Pour ce qui est des satisfecit, si on laisse de côté les partisans de Moscou ravis de constater un infléchissement de la position officielle moldave, une réaction résume bien la tendance : « Voici un ministre qui a enfin le courage de reconnaître s’être trompé ! » Plus nombreux furent ceux, y compris parmi les Moldaves favorables au nouveau gouvernement, qui se montreront dubitatifs sur les explications fournies. Né en 1981, il était âgé de 11 ans lors des combats meurtriers qui ont fait des centaines de morts de part et d’autre, font d’aucuns remarquer. Le principal grief émis par les plus critiques d’entre eux porte sur les débuts du cursus universitaire de l’actuel ministre. Entre 1998 et 2002, Nicu Popescu a étudié à l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou, le MGIMO, pépinière d’espions et de diplomates à l’époque soviétique dont est issu entre autres l’actuel ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov (promotion 1972). Depuis les réformes de Gorbatchev, le marxisme-léninisme n’y est plus enseigné, sa réputation n’en a d’ailleurs pas souffert, les méthodes les plus modernes ont été introduites et l’institution a plus que jamais la cote, y compris sur le plan international. Le HEC Paris par exemple figure parmi ses partenaires. Sans doute, le MGIMO, qui demeure sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, continue-t-il de former quelques espions et des diplomates, mais pas seulement, loin s’en faut. Pour les chercheurs occidentaux, un stage dans cet institut représente une référence appréciée. Inutile, en revanche, de s’attarder sur les suggestions malveillantes qui allaient s’abattre sur l’actuel ministre moldave en raison du diplôme obtenu à Moscou, ce qui le rend automatiquement suspect aux yeux notamment des Moldaves prêchant l’union immédiate avec la Roumanie.

Et si le passage par Moscou était un atout ?

Rappelons cependant que ce n’est pas à Berlin ou à Paris et encore moins à Bucarest ou à Iaşi mais dans les prestigieuses universités de la Russie tsariste qu’ont été formés les principaux précurseurs et artisans de la sortie d’Empire de la Bessarabie à la faveur de la révolution de février 1917. Et si le fait d’avoir commencé au MGIMO était justement un atout pour le futur chargé des Affaires étrangère moldave ? La suite de son cursus peut le laisser entendre. Entre 2003 et 2009, il préparait à l’Université central-européenne de Budapest sa thèse de doctorat qu’il soutiendra sous le titre « L’intervention cachée : les conflits UE et post-soviétiques ». Puis il multiplie les rapports, les conférences et autres interventions fort appréciés en raison de leur précision et de leur impartialité à Londres, Bruxelles ou Paris pour le compte de divers organismes internationaux, de fondations privées et, surtout, de l’Union européenne. Entre 2010 et 2012, il a été le conseiller pour les affaires internationales du Premier ministre moldave. Il arrive donc à la tête du ministère sans avoir gravi les étapes en interne, donc à titre d’analyste, d’expert et d’ancien conseiller et non pas de diplomate. Rien ne l’empêche de le devenir, pourrait-on estimer sans forcément pêcher par un optimisme démesuré.

En attendant, il s’est exposé à de multiples reproches. Pour certains, sa gaffe relève de l’acte manqué, qui révélerait des convictions inavouables, pour d’autres elle s’apparente à une provocation doublée d’une ruse censée gagner la sympathie des Transnistriens, très remontés contre Chişinău, et les forcer au dialogue.

L’action délétère de la Fédération de Russie

Pourtant, une fois rectifiée, la gaffe du ministre moldave des Affaires étrangères aurait pu donner lieu à un autre débat, que l’on évite trop souvent en Moldavie et à son sujet. En effet, autant l’utilisation de la catégorie de « guerre civile » pour la guerre du Dniestr de 1992 relève de la contre-vérité, autant le fait de ne pas prendre la mesure des tensions et des conflits au sein de la société de l’ancienne Moldavie soviétique qui ont favorisé la guerre tout court de 1992 et qui continuent de faire des dégâts est illusoire dans la perspective d’une explication cohérente et d’une solution pérenne. Or c’est très précisément dans la provocation, l’alimentation méthodique et l’exacerbation de ces tensions et conflits qui n’ont d’ethnique que le nom dont on les affuble parfois et qui reposent sur un enchevêtrement de facteurs historiques, politiques, sociaux et économiques d’une rare complexité que réside l’action délétère de la Fédération de Russie depuis l’implosion de l’Union soviétique. Cette action, combinée avec la réponse en retour de certains Moldaves, Ukrainiens ou Géorgiens sur le même terrain, avec des arguments du même ordre, condamnent la possibilité d’un fonctionnement démocratique tant en Russie que dans les anciennes république soviétiques. C’est dire l’urgence d’une solution négociée pour la République de Moldavie, un pays particulièrement fragile en raison de sa configuration sociolinguistique et mémorielle éclatée. Une telle solution ne peut être envisagée que dans un cadre international apaisé, ce à quoi l’actuel gouvernement est appelé à s’atteler. Espérons que le nouveau ministre des Affaires étrangères, fort de ses acquis en matière d’expertise des relations Est-Ouest, fera preuve à la fois de réalisme, avec les concessions indispensables que cela implique, et de constance pour ce qui est du respect des valeurs de la Communauté européenne dont son pays entend se rapprocher.

Post scriptum : les soviétologues relais de la propagande russe ?

La critique la plus acerbe est celle formulée par le blogueur Vitalie Vovc. Elle est d’autant plus déroutante que celui-ci est l’auteur par ailleurs de chroniques fort inspirées dans les publications online moldaves en roumain.

« Formé à Moscou, puis en Europe occidentale, il [N. Popescu] a été imprégné de théories étrangères sur ces événements [les combats sur le Dniestr au printemps 1992]. Même si on suppose que le MGIMO est devenu quelque chose d’autre après la dissolution de l’URSS, je doute qu’on lui ait présenté là-bas la Russie comme Etat agresseur. Enfin, en Europe, la perception des événements de l’ancienne URSS et l’« expertise » de ce monde ont été construites par des anciens soviétologues qui prenaient en compte avant tout la Russie présentée comme force impliquée dans les conflits tout simplement de par son voisinage et à cause d’atavismes d’un monde divisé en ’’sphères d’influence’’ et non pas comme principale responsable de ces conflits. Voilà l’erreur. Puis, il y a l’opinion de l’Occident universitaire, considéré comme objectif, qui s’efforçait de trouver un cadre théorique aux événements de l’après-1986… L’opinion des locaux, elle, n’était pas vraiment prise en compte, soi-disant parce qu’ils ne pouvaient pas être objectifs jusqu’au bout puisqu’ils faisaient partie des belligérants. Tout cela sans oublier que le milieu académique occidental (et français en particulier) était plutôt gauchiste et russophile. Malheureusement, la Russie a réussi imposer au monde sa façon de concevoir ces événements… »

Avec ce type de raisonnement tortueux puisqu’il mélange le vrai et le faux, le réel et le possible, la boucle est bouclée ! Il ne reste qu’à l’inverser et voir dans l’Occident (et ses soviétologues si longtemps décriés comme chantres de l’anticommunisme) le seul responsable de la chute des régimes communistes, de la décadence de la Russie et des malheurs du monde entier. Décidément, il y a de quoi s’inquiéter en constatant l’impasse ou plutôt l’isolement dans lequel se retrouvent les « locaux » lorsqu’ils s’adonnent à de telles explications tout aussi radicales qu’inconsistantes.