Libéralisation des visas Schengen au Kosovo (1/6) : « j’ai encore du mal à y croire »

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Au Kosovo, on se prépare à pouvoir - enfin - voyager librement au sein de l’espace Schengen à partir du 1er janvier 2024. Une avancée majeure, qui anime les discussions et pose des questions. Faut-il redouter un exode encore plus massif ou espérer que cela change positivement le pays ? Militant pour les droits humains à Mitrovica, Genti Behramaj veut voir le verre à moitié plein. Témoignage.

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Par Julie Chauvin

Genti Behramaj, la trentaine, milite pour les droits humains depuis une décennie.
© Gaia Kosovo

Le 19 avril, Pristina était en fête. Dans certains bars du centre-ville, on laissait éclater sa joie en offrant généreusement des verres de raki. L’heure de « la liberté » avait enfin sonné. Après des années de blocage, le Parlement européen venait enfin de voter la fin des visas Schengen pour les ressortissants kosovars, à partir du 1er janvier 2024.

Cela faisait longtemps que le Kosovo attendait cette décision, accordée en 2009 et 2010 aux autres pays des Balkans occidentaux. Pristina a plusieurs fois entrevu la lumière, avant que les espoirs ne soient douchés. Pourtant, sur le papier, tous les critères d’éligibilité étaient remplis depuis 2018. Mais pour diverses raisons internes à l’Union européenne, sûrement accentuées par les tensions avec la Serbie, le processus a sans cesse été retardé.

J’ai l’impression que les discussions autour des visas ont toujours fait partie de ma vie.

À Mitrovica cet automne, les discussions vont bon train sur cette mesure tant attendue. Symbole des tensions intercommunautaires qui continuent de diviser le Kosovo, la ville reste paradoxalement l’une des plus cosmopolites du pays. De part et d’autre de l’Ibar vivent des Albanais, des Serbes, mais aussi des Roms, des Ashkalis et des Égyptiens, ou encore des Goranis.

À deux pas du square Isa Boletini, Genti Behramaj, le directeur de l’ONG Social Space for Deconstruction, s’interroge. « J’ai l’impression que les discussions autour des visas ont toujours fait partie de ma vie. Pendant des années, on a cru que le moment était arrivé, et puis ça se soldait par un échec. J’ai eu du mal à réaliser que l’on pourra bientôt réellement disposer de la liberté de mouvement. »

Genti Behramaj fait part de sa « frustration » à l’égard des institutions européennes. Pour lui, le processus de libéralisation des visas résume « les injustices » que subit son pays. Sur son visage, on lit de l’incompréhension. « Les demandes de visas ont été une véritable humiliation pour les gens du Kosovo. Nous avons dû débourser des sommes astronomiques pour voyager à l’étranger. Nous n’avions pas le luxe de choisir où aller en vacances ou encore d’imaginer aller étudier ailleurs. Je pense que cela a vraiment affecté ma foi en l’Union européenne en tant que système qui promeut les droits humains et encourage la démocratie. »

Une évolution positive pour tout le Kosovo ?

Alors que l’exode qui frappe le Kosovo met déjà en péril les services publics, beaucoup redoutent que cette libéralisation des visas ne porte le coup de grâce. D’un naturel optimiste, Genti Behramaj veut de son côté croire que « les personnes qui voulaient partir sont déjà parties ». Au contraire, pour lui, la libéralisation des visas pourrait même améliorer les salaires et les conditions de travail des gens qui restent. « Pour garder leur salarié.e.s., les entreprises vont devoir s’aligner sur les standards des autres pays européens », veut-il croire.

Désormais plus libres de voyager, les Kosovar.e.s pourront « découvrir des sociétés réellement démocratiques », insiste-t-il. « Certain·e·s verront pour la première fois un véritable système de transport en commun et pourront ensuite se mobiliser pour en avoir un au Kosovo. Les gens ne se posent pas la question tant qu’ils ne l’ont pas vu ailleurs. Cela vaut également pour les droits des communautés marginalisées, pour la vie culturelle ou encore pour la construction d’espaces verts et toutes les préoccupations écologiques. Je pense que la situation chaotique que nous connaissons actuellement va considérablement s’améliorer, pour le bien de tous. »

Depuis que je suis né, jamais je n’ai eu une telle opportunité.

Depuis déjà une décennie, Genti Behramaj s’engage dans des actions en faveur de la paix et du respect des droits de toutes les communautés vivant au Kosovo. Il a co-créé le Social Space for Déconstruction en 2020, un lieu dédié au dialogue intercommunautaire et à la promotion d’initiatives culturelles. La libéralisation des visas l’aidera dans son travail, en facilitant sa participation et celles des bénéficiaires de son association aux échanges et rencontres organisés à l’étranger.

« Je pense que de nombreux jeunes ont hésité à participer à de tels événements en raison de l’insécurité liée à la procédures d’obtention des visas. Faut-il avoir de l’argent ? Faut-il avoir ceci ou cela ? Leur suppression peut en outre élargir les financements auxquels nous sommes éligibles en renforçant la coopération avec de nombreuses organisations en Europe. »

Genti Behmaraj rêve déjà de voyages et d’explorations. Comme beaucoup de Kosovar·e·s, ses proches sont éparpillé·e·s aux quatre coins du continent. Pour lui, la libéralisation des visas sera donc aussi l’opportunité de leur rendre visite, sans avoir à attendre l’été et le retour de la diaspora. La fin des visas Schengen marque à ses yeux l’acquisition d’un droit fondamental : la liberté de mouvement. « Je peux enfin planifier un week-end à l’étranger, sans avoir à me soucier de quoi que ce soit. J’ai du mal a y croire. Si je veux aller quelque part, je peux y aller… Et ça, pour moi, c’est incroyable. Depuis que je suis né, jamais je n’ai eu une telle opportunité ! »

Cet article est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.