Le CdB : 25 ans au cœur des Balkans, les Balkans au cœur de l’info

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Montée des nationalismes et des xénophobies, l’Union européenne va mal et se « balkanise », bien loin du projet d’« européanisation » des Balkans, qui sont plus que jamais une périphérie dominée et marginalisée. C’est dans ce contexte que le Courrier des Balkans célèbre son 25e anniversaire, avec trois mots-clés : solidarité, indépendance et engagement. Abonnez-vous !

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Par Jean-Arnault Dérens

Après les incendies, ce sont désormais de dramatiques inondations qui ravagent la Bulgarie, la Grèce et la Turquie, après avoir frappé la Slovénie et la Croatie il y a quelques semaines. Le gouvernement grec manque de canadairs et de camions de pompiers, mais continue d’acheter des avions de combat contre un ennemi jamais identifié... Les exilés, eux, meurent toujours en mer Egée et dans l’Evros.

Si l’été a apporté un calme précaire dans le nord du Kosovo, aucune solution ne semble s’esquisser, les entretiens de jeudi à Bruxelles ne dégageant aucune place à un compromis. Chacun retient donc son souffle, attendant de voir de quel côté viendra la nouvelle provocation. Les dirigeants européens, en tout cas, ont fait leur choix et sanctionnent le Kosovo, auquel ils imputent la principale responsabilité des événements des derniers mois. Pour eux, l’enjeu est surtout de ne pas froisser Aleksandar Vučić, de crainte de voir le maître de Belgrade se tourner encore plus vers son ami Vladimir Poutine... Cette realpolitik à courte vue ne peut produire que des effets négatifs : de durables frustrations au Kosovo et un sentiment renforcé d’impunité chez les dirigeants serbes, eux-mêmes surpris de constater que leur refus de sanctionner la Russie se retourne en leur faveur, leur permettant de tenir la dragée haute à Bruxelles.

Pendant ce temps, Milorad Dodik reprend, inlassablement, le seul tour de piste qu’il connaisse, celui des provocations à la « sécession ». En agitant ce chiffon rouge, le maître de la Republika Srpska réussit une fois de plus à détourner l’attention des vrais enjeux : la monopolisation du pouvoir par quelques clans et la corruption systémique dans toute la Bosnie-Herzégovine. Et il donne le tempo du pays, comme le chef de l’orchestre grinçant et désaccordé d’un paquebot qui n’en finirait pas de dériver à l’aveugle sans pourtant jamais couler.

Dans ce bal masqué de mauvais goût, où les nationalistes croates et bosniaques ne sont pas en reste, Milorad Dodik aime à se cacher derrière un loup aux couleurs russes, et tout le monde prend aussitôt peur. Pourtant, son allié le plus actif n’est autre que Viktor Orbán.

Le Premier ministre hongrois réunit ces jours-ci à Budapest tous ses amis pour le cinquième « Sommet démographique mondial ». Lui-même doit prendre la parole à une table-ronde consacrée à « la famille, clé de la sécurité », où s’exprimeront aussi le président serbe Aleksandar Vučić, la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni et le président bulgare Rumen Radev.

Viktor Orbán n’est pas du tout « anti-européen », comme le prétendent encore certains commentateurs naïfs ou de mauvaise foi. Non, il est résolument européen et bien décidé à construire son Europe, conservatrice, blanche et fermée sur elle-même, et il milite ardemment pour l’intégration de certains pays des Balkans, comme la Serbie, où il estime compter beaucoup d’amis.

Le projet politique de cette Europe-là – l’Europe des Meloni, Orbán, Vučić et Zemmour, de la famille Le Pen et consorts – risque bien de connaître un sérieux coup d’accélérateur à l’occasion des élections européennes de juin 2024, rebattant radicalement les cartes du processus d’élargissement...

1998-2023 : est-on sérieux quand on a 25 ans ?

Cet automne, Le Courrier des Balkans célèbre son 25e anniversaire. 25 ans : à l’aune du temps Internet, c’est un âge antédiluvien. Cela fait en tout cas de notre journal l’un des plus vieux sites d’information en ligne francophone toujours actif. Les premiers articles ont paru à la fin novembre 1998, depuis le Monténégro où la rédaction était alors basée, tentant, pas toujours avec succès, de se connecter sur un modem téléphonique, via Tivat, Bijelo Polje ou Cetinje.

Ces « temps héroïques » de l’Internet ne sont plus, mais l’objet du Courrier des Balkans demeure, d’une brûlante actualité. Ses statuts le définissent comme « un outil de solidarité professionnelle avec les médias indépendants des Balkans ». Les critères de l’indépendance n’ont pas beaucoup changé. Elle se définissait alors par rapport aux pouvoirs nationalistes de Serbie, de Croatie et des autres pays de la région ; elle se joue désormais par rapport à des pouvoirs tout aussi corrompus et autoritaires, même s’ils se prétendent formellement « pro-européens », comme les régimes d’Albanie ou de Serbie. Cette indépendance se défend aussi face aux intérêts économico-mafieux des trafiquants et des oligarques mais, dans les Balkans, ceux-ci sont toujours très étroitement liés aux pouvoirs politiques. 30 années de « transition » n’ont même pas permis de dégager la mafia des rets de la politique !

Se retourner vers le quart de siècle d’histoire des Balkans que nous avons couvert peut donner un amer vertige, tant d’événements, tant de changements et si peu de choses qui ont changé. L’Ange de l’Histoire avance toujours, les yeux écarquillés, le visage tourné vers le passé, mais « là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe » ainsi que l’écrivait Walter Benjamin. Peut-être écarquille-t-il plus encore les yeux dans les Balkans, mais aucune illusion ne doit être de mise : il n’y a pas d’exceptionnalisme et encore moins d’exotisme balkanique.

L’« européanisation des Balkans », cette illusion néocoloniale qu’un Occident démiurge s’était fixé dans l’enthousiasme du changement de millénaire, a été rangée au magasin des accessoires.

L’« européanisation des Balkans », cette « mission civilisatrice », cette illusion néocoloniale qu’un Occident démiurge s’était fixé dans l’enthousiasme du changement de millénaire, a été rangée au magasin des accessoires tandis que l’Europe, sous nos yeux, se « balkanise » à grande vitesse. Le grand écrivain croate Miroslav Krleža l’écrivait, avec prémonition, en 1938, dans son Banquet en Blithuanie : « L’humanité se gorillise de jour en jour davantage, et cette glorieuse Europe, au lieu d’européaniser la Blithuanie, se blithuanise elle-même de plus en plus… »

Face à cette « gorillisation » qui ne cesse de s’étendre, Le Courrier des Balkans fait plus que jamais le pari de la solidarité, de l’indépendance et de l’engagement. La solidarité avec les médias et les luttes citoyennes des Balkans, l’indépendance par rapport à tous les pouvoirs politiques ou économiques, et l’engagement autour des espoirs que nous défendons : ceux d’une Europe du sud-est ouverte, démocratique, fière de ses richesses culturelles et naturelles.

Ces combats que nous poursuivons depuis 25 ans ne nous fatiguent pas, nous sommes prêts à les poursuivre et nous comptons sur vous, chers lecteurs et chères lectrices, pour poursuivre avec nous l’aventure en toute indépendance. Pour cela, pour nous en donner les moyens, le meilleur geste reste de vous abonner dès maintenant.

Et nous vous donnons d’ores et déjà rendez-vous pour trois événements :

• le 25 septembre pour un webinaire sur la situation en Bosnie-Herzégovine ;
• à la fin de l’année à la Bellevilloise, à Paris, pour une grande fête des 25 ans du Courrier des Balkans (on vous en dit plus très vite !) ;
• et le 3 février 2024 à Arcueil pour nos cinquièmes rencontres littéraires. Nous y rendrons hommage à notre ami Nicolas Trifon, disparu cet été, et nous parlerons aussi des partisans yougoslaves, de la guerre d’Algérie et du non-alignement, mais aussi d’une surprenante Odyssée balkanique... À très vite !