Blog • Le 24 mai vu par trois auteurs bulgares vivant au Luxembourg

|

Le 24 mai est une des plus grandes fêtes civiles en Bulgarie. La fête religieuse des saints Cyrille et Méthode (de nos jours le 11 mai) est dissociée, depuis l’époque communiste, de la fête civile de la culture, de l’alphabet, de l’instruction, de l’alphabétisation, de la science, de la langue. Le point de vue de trois auteurs bulgares vivant au Luexembourg.

La Bibliothèque nationale de Sofia et la statue des saints Cyrille et Méthode
© Wikipedia Commons

Le 24 mai est traditionnellement une des plus grandes fêtes civiles en Bulgarie, et ce de plus en plus au fil du temps. Il est également fêté en Macédoine du Nord. La fête religieuse des saints Cyrille et Méthode (de nos jours le 11 mai) est dissociée, depuis l’époque dite communiste, de la fête civile de la culture, de l’alphabet, de l’instruction, de l’alphabétisation, de la science, de la langue, enfin de tout cela à la fois. L’intitulé officiel de la fête change régulièrement, si bien qu’il est difficile de dire ce que l’on fête avec précision. Trois auteurs bulgares employés par les institutions européennes au Luxembourg proposent leur vision des choses, dans des discours prononcés en public le 18 mai 2022.

Orlin Chochov

Pour moi, le 24 mai est une date sacrée. C’est une fête que je célèbre tous les jours, car j’ai choisi un métier indissolublement lié à la langue et à l’écriture. J’ai eu la chance de suivre les cours de professeurs remarquables et passionnés, qui m’ont encouragé à aimer ce métier, que je pourrais également appeler une vocation. Être « philologue », qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? La traduction du concept à partir du grec ancien serait « qui aime les mots/le verbe »… Le fait est que tel est bien le cas pour moi : j’aime les mots, leur histoire, que je peux deviner, grâce à mon éducation, avec une exactitude relative. J’aime les nuances en eux, je maîtrise les synonymes, ce qui importe en vue de leur bon usage. Je m’efforce d’employer les mots du cru au lieu des emprunts devenus de plus en plus incontournables. Lorsque j’aperçois une graphie erronée d’un mot, j’en ressens une douleur. Mes enfants se plaignent tout le temps de mes sempiternelles corrections.

Ce qu’il y a de beau dans ce métier, c’est qu’il a plusieurs ramifications. Les philologues peuvent travailler dans différents domaines : enseignants, traducteurs, correcteurs, journalistes, publicitaires, etc. J’ai choisi de devenir traducteur. Pour ce métier, il est primordial de maîtriser sa langue natale, avec toutes ses variantes : les langages administratif, littéraire, parlé, etc.

La conception prévaut selon laquelle la traduction à partir d’une langue étrangère serait un processus mécanique. Ainsi, on reconnaîtrait le mot dans une langue, on trouverait l’équivalent dans sa langue natale et basta… Rien de plus faux ! Le traducteur est un créateur, il doit avoir conscience de ce qu’il traduit et pour quel public il le fait. Étant donné que les œuvres langagières font partie de la culture de tout peuple donné, il doit maîtriser à la perfection tant la culture du peuple ayant créé le texte que la culture du peuple pour lequel la traduction est réalisée. On trouve un excellent exemple de la nécessité d’une intervention humaine dans la traduction du fait des tentatives d’automatisation du processus de la traduction. Quels que soient les succès récents de la traduction automatique, celle-ci ne saurait remplacer l’intervention du traducteur-auteur…

C’est sans doute par ce biais que les traducteurs deviennent souvent des écrivains corrects. Moi aussi, c’est sans scrupules que je me suis tourné vers un tel passe-temps, si bien que j’écris des romans policiers humoristiques depuis cinq ans. Pour adultes. Je peux dire, la main sur le cœur, qu’ils sont rédigés en un bulgare correct. Bien souvent, mes personnages parlent en dialecte, ou bien ce sont des gens du peuple n’ayant pas fait beaucoup d’études. C’est une démarche particulière en vue d’une caractéristique linguistique pour le personnage en question et il faut moult connaissances pour que le lecteur puisse bien comprendre de quoi il retourne. La beauté et la valeur du verbe natal s’y retrouvent précisément. Je considère comme étant ma vocation de les préserver et de les transmettre de la meilleure façon, tant dans mes traductions que dans mes œuvres littéraires.

Katerina Ilieva

Chers amis,

Je vous adresse mes félicitations au sujet de la fête à venir des saints Cyrille et Méthode, de l’alphabet, de l’éducation et de la culture bulgares.

À titre personnel, cette fête m’offre l’occasion de ressentir une fierté nationale, mais aussi professionnelle, car je travaille au sein du seul département de la Commission où le principal instrument de travail est le clavier en cyrillique. Nous servons fidèlement l’alphabet cyrillique, tout comme il nous sert, et nos recherches professionnelles quotidiennes sont orientées vers la transmission la plus exacte du sens de textes rédigés par d’autres personnes, la formulation la plus exacte des phrases en bulgare littéraire, ainsi que vers le strict respect des règles grammaticales. C’est pourquoi, en dehors de mon milieu professionnel, ma disposition d’esprit m’entraîne plutôt dans une direction différente, qui me permet de me tourner davantage vers mes propres pensées et sentiments et de les exprimer librement, sans limitations, mais avec la même amour de la langue.

Je dois vous avouer que je n’ai jamais eu pour ambition d’écrire un livre. L’idée de départ consistait pour moi à décompresser suite au stress accumulé au cours de la pandémie en écrivant des histoires humoristiques/satiriques sur l’Internet. De ce fait, le style du livre est celui de la langue vivante de la communication d’aujourd’hui dans le milieu numérique, avec une structure plus libre et des jeux de mots, une conversation imaginaire quasi intime. Peu à peu, l’histoire conçue comme une simple boutade est devenue tellement volumineuse et exigeante que j’ai décidé de lui trouver une place en dehors de l’Internet. Mon fidèle compagnon et lecteur Ivaylo Popov a spontanément trouvé l’inspiration nécessaire pour illustrer ce qu’il venait de lire, tandis que notre éditeur Hristo Patsov a réservé un accueil favorable à l’écrit, ce qui a permis au livre illustré La création du Yin et du Yang de voir le jour.

Ceux qui ont déjà lu le livre savent que pour moi, le 24 mai recèle une valeur sentimentale sur le plan personnel. L’une des scènes-clés, fortement autobiographique, s’ouvre précisément sur cette imminente fête lumineuse :

« Je rentre à la maison, avec le futur père, on traîne jusqu’à minuit, lorsque nous décidons – Pourquoi ne pas regarder Le dernier samouraï ? Je ne me souviens plus du tout de ce film, et toi ? On s’assied et on regarde, le lendemain on n’aura pas besoin de se dépêcher, n’est-ce pas, on va juste déposer à un moment donné une gerbe sur le nouveau bas-relief dédié à Cyrille et Méthode, à l’occasion de la fête de l’écriture et de la culture slaves. Il n’y a pas d’erreur, pas la peine de relire, nous sommes encore au Luxembourg, dans un des plus beaux coins, c’est à l’intérieur de l’abbaye de Neumünster proprement dite que se trouve ledit bas-relief. Je me contenterai de préciser que le jour d’après, de nombreuses autres gerbes de fleurs recouvriront le bas-relief, mais non la nôtre ».

Les développements ultérieurs ont fait que mes enfants en bas âge ont très tôt commencé à répondre sans faille à la question : « Qui a créé l’alphabet bulgare ? ». Pour avoir un point de comparaison, je préciserai qu’aux autres questions, par exemple : « Qui a créé l’État bulgare ? », il est arrivé que j’obtienne, en guise de justification de la lacune, la réponse : « Pas moi, c’était pas moi ». C’est un exemple typique de la façon dont la mélodie de la langue peut l’emporter sur le sens.

Dès lors, je vous invite vous aussi à prêter une oreille attentive à la mélodie de notre langue magnifique, car c’est en elle que l’âme de notre peuple et de notre patrie est encodée ; à chérir l’alphabet qui reflète le mieux cette mélodie et que nous avons légué à une partie considérable du monde slave, jusques et y compris à des peuples non slaves ; à transmettre à vos enfants l’écriture et la langue dans ce qu’elles ont de plus riche et beau. Je vous félicite de tout cœur, soyez vous aussi des éclaireurs au quotidien et construisons ensemble un avenir meilleur !

Vyara Timcheva

Le premier type de littérature avec lequel on entre en contact, ce sont le plus souvent les contes. Ils existent dans toutes les cultures, chez tous les peuples. Là où il n’y a pas d’écriture, ils sont racontés oralement. De plus, les contes se ressemblent beaucoup à travers le monde. Ni les ethnologues ni les critiques littéraires n’ont à ce jour réussi à expliquer comment des tribus complètement isolées du reste du monde traitent des mêmes thèmes et sujets que les autres peuples.

Souvent, les contes racontent la même histoire de diverses manières : leur personnage principal part en voyage. Et bien souvent, ce personnage est en réalité loin de se douter qu’il est un personnage : souvent, c’est le fils cadet, un peu bêta, ou bien la fille cadette, la plus vulnérable en plus d’être la plus jeune. Pourquoi les plus jeunes ? Eh bien parce que le chemin qu’ils empruntent leur sert à grandir.

Beaucoup de gens pensent que les contes sont une invention. Mais ils sont en réalité très réels. Chacun d’entre nous est le héros de son propre conte. Chacun d’entre nous emprunte le chemin appelé la vie. Et chacun d’entre nous, tout comme les personnages des contes, croise sur son chemin de gentils et méchants magiciens, se retrouve dans des situations comiques et tragiques et bénéficie de la protection d’objets magiques.

Or, parmi les objets les plus magiques qui nous ont été donnés, on trouve le verbe, la culture, l’écriture, la littérature. Ne croyez-vous pas qu’ils soient magiques ? Grâce à eux, on peut se transporter partout dans le monde, voyager librement non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. L’humanité est parvenue à décrire toutes les émotions, toutes les situations, toutes les époques. Lorsque l’on lit des choses au sujet de celles-ci, on devient plus sage et plus fort. Peu importe à quelle sorte de problèmes on doit faire face, on voit que d’autres sont déjà passés par là et les ont surmontés. Ils nous montrent le chemin, et de la sorte on ne se sent jamais seul.

La force de la création, de l’imagination et de la littérature est si grande que le Parlement européen décerne chaque année un prix spécial récompensant la « liberté de pensée ». Imaginez-vous un prisonnier abandonné seul dans une prison qui, au lieu de s’apitoyer sur soi-même et de pleurer son triste sort, ferme les yeux et se transporte ailleurs. Son corps est enfermé, mais sa pensée est libre. Grâce à son imagination, il peut se transporter partout, et par les livres, il peut communiquer de nouveau avec tout le monde.

De ce fait, la fête que nous célébrons aujourd’hui est particulièrement précieuse, utile et belle.

Bon nombre d’enfants bulgares grandissent aujourd’hui loin de leur patrie. Ils sont bulgares, mais aussi citoyens du monde. Je leur souhaite, outre les langues et cultures qu’ils s’approprieront, de ne jamais perdre leur lien avec la Bulgarie, pas plus qu’avec sa langue, son histoire et sa littérature. Car la Bulgarie est en eux et fait partie d’eux, quand bien même ils n’en seraient parfois pas pleinement conscients. Quand leurs démarches sont couronnées de succès, lesdits succès sont toujours également ceux de la Bulgarie, où que l’on se trouve dans le monde.

Planez libres de par le monde, chers enfants bulgares, chers compatriotes, sans oublier vos racines, car ce sont elles qui nous rendent stables et forts.

Bonne fête de l’alphabet bulgare ! Bonne fête de la littérature et de la culture bulgares et, partant, de la création et de l’imagination, de l’envol et de la liberté de pensée !

Ce sont véritablement des objets magiques. Pourvu que, quelle que soit la situation dans laquelle vous vous retrouvez dans votre conte, ces objets magiques soient toujours avec vous et éclairent votre chemin. Qu’ils vous apportent la sagesse et le sentiment d’être relié à la Bulgarie et à l’humanité tout entière.

Bonne fête !