Intégration européenne des Balkans occidentaux : qu’en pensent les Français ?

| |

Les Français restent réservés à l’égard de l’élargissement de l’UE aux pays des Balkans occidentaux. Mais leurs craintes sont économiques bien plus que politiques ou « culturelles », et le sujet est bien moins mobilisateur qu’une éventuelle adhésion de la Turquie. Voilà ce que montre une étude publiée ce lundi.

Cet article est accessible gratuitement pour une durée limitée. Pour accéder aux autres articles du Courrier des Balkans, abonnez-vous !

S'abonner

Au premier regard, l’affaire semble entendue : 60% des Français seraient hostiles à l’intégration européenne des pays des Balkans occidentaux. L’hostilité à l’adhésion de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, du Kosovo, de la Macédoine du Nord, du Monténégro et de la Serbie est aussi forte en France qu’aux Pays-Bas, et légèrement plus marquée qu’en Allemagne (57%), en Autriche (57%) ou en Belgique (56%), ainsi que le révélait déjà l’Eurobaromètre 2019. On comprend donc mieux que le président Macron ait longtemps opposé son veto à l’ouverture des négociations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, décision finalement levée en mars 2020. Il pouvait s’agir, en somme, d’un geste électoraliste visant à rassurer l’opinion publique française.

L’enquête menée par la Fondation Open Society et le groupe de réflexion allemand d|part apporte néanmoins des éclairages inattendus sur cet état de l’opinion. Menée à l’automne 2020, l’étude, qui repose sur une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 2020 personnes et des entretiens de groupe menés dans la région lyonnaise, révèle en effet que les réticences à l’élargissement s’expliquent bien moins par les pays concernés que par une méfiance générale envers l’Union elle-même. Une personne sur deux hostile à l’élargissement a en effet une vision très ou assez négative de l’UE, tandis que deux personnes sur trois favorables à cet élargissement en ont une vision très ou assez positive.

La majorité des sondés estime également qu’un éventuel élargissement aux Balkans occidentaux aurait peu de conséquences sur leur vie quotidienne. En la matière, les réticences sont beaucoup plus vives à l’égard d’une éventuelle intégration de la Turquie : plus de la moitié (53%) estiment que celle-ci les affecterait, un chiffre qui tombe à 28% concernant les Balkans occidentaux.

L’opposition à l’intégration de ces pays apparaît donc comme peu mobilisatrice. 22% des personnes interrogées s’y opposent parce q’ils pensent que cela changerait quelque chose dans leur vie, mais seuls 4% se déclarent favorables à cette intégration parce qu’elle changera quelque chose à leur vie. Les groupes des « opposants particulièrement concernés » et des « partisans particulièrement concernés » par l’intégration des Balkans apparaissent donc tous deux comme relativement marginaux : de fait, cette question laisse largement indifférents les Français.

Des craintes avant tout économiques

Les craintes exprimées dans les groupes de discussion révèlent le poids de certains stéréotypes, associant toujours les Balkans à un risque de « tensions », certaines personnes évoquant également la corruption, la prégnance du crime organisé et le risque que l’adhésion ne profite qu’aux dirigeants, pas aux populations. Cependant, les craintes les plus clairement formulées sont de nature économique bien plus que politique ou culturelle.

Certains évoquent la nécessité qui se poserait de « subventionner » les économies des Balkans sur le budget européen, ainsi que la crainte de voir les habitants des Balkans quitter leurs pays pour trouver de meilleures conditions de vie. Mais c’est surtout le risque de voir les entreprises se délocaliser dans les Balkans qui est évoquée par les opposants à l’intégration. Paradoxalement, l’ouverture du marché du travail allemand aux ressortissants des Balkans occidentaux (Westbalkanregelung), généralement peu connue du public, est plutôt perçue positivement, quitte à y voir un préalable à l’intégration.

À l’inverse, les partisans de l’adhésion mettent surtout en avant des arguments géopolitiques, tels que la « stabilité » et la « promesse de paix ». Adversaires comme partisans de l’élargissement se retrouvent même pour penser que celle-ci permettrait de contrer les « mauvaises influences » russes ou chinoises dans les Balkans – les uns comme les autres s’entendent également pour reconnaître que « géographiquement », les Balkans font partie de l’Europe, ce qui ne serait pas le cas de la Turquie. Les deux groupes sont aussi d’accord pour souligner un manque d’information sur le sujet, ainsi qu’une opacité de la prise de décisions concernant l’élargissement.

L’étude conclut néanmoins qu’en France, « l’acceptation ou le refus de l’élargissement aux Balkans occidentaux est surtout associé aux appréciations de l’image de l’UE en général, à des sentiments de contrôle politique et de représentation dans l’Union, et aux vagues précédentes d’élargissement de l’UE, plutôt qu’à des préoccupations particulières concernant l’intégration des pays des Balkans occidentaux dans l’UE ».

Dans ces conditions, « il semble peu probable qu’une poursuite du processus d’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux puisse avoir un impact significatif sur la politique interne française 
en général, et sur le processus électoral en particulier. Les craintes que le gouvernement français puisse se voir pénalisé par l’électorat s’il avançait dans l’élargissement ne trouvent pas de fondement dans cette recherche ».