LGBTQI+, fiertés des Balkans (5/5) | Kosovo : Bubble, premier bar queer de Pristina

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Le Bubble Pub, premier bar queer du Kosovo, ouvert en avril 2022, lutte contre les discriminations à l’encontre de la communauté LGBTQI+. Son gérant a été élu « activiste pour les droits humains de l’année » par l’ONG Youth initiative human rights au Kosovo.

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Par Julie Chauvin

Lend Mustafa, propriétaire du bar.
© Julie Chauvin / CdB

Vendredi soir, les rues de Pristina s’animent, les jeunes sont de sortie. Les bars de la capitale balkanique se remplissent peu à peu et des rires s’en échappent. Dans une petite ruelle du centre, un air de musique techno résonne. Entourées de plantes qui s’agrippent à un grillage métallique, les lettres de l’enseigne Bubble invitent à entrer. À l’intérieur, les lumières intimistes rouges et violettes de la piste de danse et la petite superficie de l’espace confirment le nom de l’enseigne : le bar est une bulle, loin de la dure réalité du monde extérieur.

« La communauté LGBTQI+ kosovare avait besoin de cet endroit » explique Arta [1], qui vient régulièrement à Bubble. Ouvert en avril dernier, ce bar est l’aboutissement de plus de sept ans de travail. « Quand on a commencé à réfléchir à ce projet, l’idée était de pallier le manque d’endroits sûrs ouverts à cette communauté au Kosovo », explique le propriétaire Lend Mustafa.

Au moment du confinement, les violences se sont accentuées, de nombreuses personnes se sont retrouvées isolées avec leur famille, confrontées à une homophobie constante.

Insultes, attaques physiques, isolement... Dans cette société très conservatrice, les personnes LGBTQI+ sont régulièrement victimes de discriminations. « Au moment du confinement, les violences se sont accentuées, de nombreuses personnes se sont retrouvées isolées avec leur famille, confrontées à une homophobie constante », poursuit Lend. Peu éduqués aux questions de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, de nombreux Kosovars perçoivent encore l’homosexualité comme une maladie. « Certains parents amènent leur enfant chez un imam dans l’espoir qu’il puisse guérir, il y a encore beaucoup de progrès à faire », déplore le jeune homme.

Malgré les promesses du parti Vetëvendosje (VV) d’Albin Kurti, aucune mesure concrète n’a été prise pour soutenir les droits des personnes LGBTQI+. En mars dernier, le Parlement a même rejeté la loi sur les unions de même sexe lors d’une session houleuse ayant provoqué un déferlement de haine homophobe. S’affichant « progressiste » sur la scène internationale, le gouvernement peine à faire changer les mentalités. Son silence lui avait été vivement reproché à la sixième édition de la marche des fiertés de Pristina en juin dernier. « Avant Bubble, dès que je sortais dans des bars, j’étais constamment confrontée à des regards désapprobateurs, on m’a même déjà refusé l’entrée » s’indigne Gresa. L’ouverture du pub a changé la donne, créant un espace propice aux rassemblements en sécurité.

Collaboration avec la police kosovare

Dès l’ouverture du bar, Lend Mustafa a accepté l’aide de la police kosovare pour éviter les risques d’attaques homophobes. Ces dernières années, plusieurs bars gays qui ont tenté de s’implanter à Pristina ont dû fermer, sous la pression des discours haineux et des mesures d’intimidation. « Lorsque les médias ont commencé à parler de Bubble, on a eu très peur que des gens s’introduisent ici et détruisent ce projet, comme les autres avant lui », raconte le jeune propriétaire. Pendant plusieurs semaines, une voiture de police a stationné en permanence aux alentours du bar, pour pouvoir réagir vite en cas de problèmes. « La première semaine, une dizaine de personnes cagoulées ont essayé d’entrer. On a tout de suite appelé la police qui est venue et les a arrêtés », raconte Lend Mustafa. Par la suite, la situation s’est améliorée et la permanence policière n’est désormais plus nécessaire. « Les gens étaient surtout très curieux, ils passaient devant et jetaient un regard désapprobateur, mais ça s’arrêtait là. Aujourd’hui, tout le monde a compris l’identité du bar et personne ne trouve plus rien à redire », analyse-t-il.

Quand j’ai commencé à aller à Bubble, j’étais très timide. Cet endroit m’a permis d’être plus confiante.

Sur la piste de danse, les corps se déhanchent, les gouttes de sueurs perlent sur les visages et les voix s’usent au son des notes techno dans une ambiance joyeuse. « J’ai trouvé une deuxième famille avec Bubble. Ici, je me sens moi-même, écoutée et comprise », sourit Blerona, elle aussi cliente régulière. Pour elle, le bar fait partie d’un long processus. « Quand j’ai commencé à aller à Bubble, j’étais très timide, je n’osais pas être moi-même, j’étais encore formatée par les normes de la société, cet endroit et les rencontres que j’ai pu y faire m’ont permis d’être plus confiante ».

Pour Yll Rrahmani, employé du bar et coordinateur de projets au Centre pour l’égalité et la liberté, la clé de voûte du projet est la bienveillance : « Certaines personnes s’assument entièrement et d’autres sont encore dans une période de recherche de leur identité, cette assurance les pousse à s’accepter et à enfin être elles-mêmes quelque soit le regard des autres » explique-t-il. Depuis l’ouverture en avril dernier, une quinzaine de personnes ont déjà confié au propriétaire avoir réussi à faire leur coming out.

Intégrer par l’emploi

Deux ONG kosovares ont participé au financement du projet : le Centre pour la liberté et l’égalité dont l’employé Yll Rrahmani est membre, et le Centre de développement des groupes sociaux. Au milieu de peintures représentant des personnes célébrant leur amour, plusieurs posters pour des appels à projets proposent des cours de genre ou un soutien psychologique gratuit. « Bubble n’est pas juste un endroit où on vient faire la fête le week-end, on s’y rend aussi pour participer à des projets ou encore discuter de la prochaine marche des fiertés » explique Maria, une autre cliente.

Le bar accompagne aussi la transition des personnes transsexuelles. « Ces personnes sont complètement isolées, ignorées du gouvernement », dénonce Lend Mustafa. « Celles qui veulent se faire opérer doivent se rendre en Macédoine du Nord et dépenser une fortune ». Pour les aider financièrement, le bar a déjà lancé des campagnes de crowdfunding permettant d’acheter le billet et payer une partie des frais.

Dans le monde du travail aussi, les discriminations sont omniprésentes. Lors d’entretiens d’embauche, les membres de la communauté LGBTQI+ sont souvent face à des responsables homophobes. Leur isolement est aussi bien social qu’économique. Pour soutenir les personnes queer, Bubble Pub a décidé d’ouvrir un local de tatouage dans son sous-sol. « On collabore avec des tatoueurs queer qui n’ont pas la possibilité de louer un local afin d’exercer leur profession. Les clients les contactent, les tatoueurs amènent leur matériel et le local est à leur disposition » explique Lend Mustafa.

Régulièrement, Bubble Pub ouvre sa scène à des drag-queen professionnelles. Samedi dernier, Adelina Rose y a réalisé une performance sur des airs de musique pop devant une foule endiablée. La célèbre drag-queen kosovare n’hésite pas à interrompre ses danses avec des blagues et des anecdotes motivantes. Habituée de Bubble, elle est perçue comme un modèle de réussite et d’acceptation.

À minuit, la musique s’arrête et les derniers clients s’en vont. « Ces moments de danse nous permettent d’oublier quelques instants notre quotidien, c’est vraiment notre bulle », conclut Gresa.

Notes

[1Les prénoms des client.e.s ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes

[2Les prénoms des client.e.s ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes